Une ruée de jeunes voulant étudier en France suscite l’émoi en Algérie

La récente ruée de milliers de jeunes Algériens désireux d’aller étudier en France a suscité l’émoi dans leur pays, en mettant en lumière le malaise social dont souffre cette frange pourtant relativement privilégiée de la population.

Les images d’une rue bondée d’étudiants, garçons et filles, se pressant devant l’entrée de l’Institut français d’Alger (IFA) pour s’inscrire au Test de connaissance du français –indispensable pour étudier en France– ont été largement diffusées.

Cet afflux inédit, dû à une hausse des inscriptions et à une saturation du système d’inscription en ligne, a provoqué un choc en mettant en lumière le désir d’ailleurs de nombreux jeunes Algériens, même éduqués.

"Pourquoi veulent-ils tous partir?", a titré le quotidien francophone Liberté. "Emigrer pour étudier ou étudier pour émigrer?", s’est interrogé El-Watan.

L’Algérie dispose d’une centaine d’établissements d’enseignement supérieur, qui accueillaient en 2015 1,5 million d’étudiants, selon le ministère de tutelle.

Nombre des étudiants, souvent déjà diplômés, qui ont patienté de longues heures à l’IFA, ont toutefois expliqué à l’AFP vouloir "améliorer des compétences", avoir "un plus" dans leur CV, ou chercher un "enrichissement intellectuel", avant de revenir en Algérie.

En réalité, "la majorité de ceux qui sont ici veulent s’installer à l’étranger pour de bon", affirme Mehdi, 26 ans, ingénieur diplômé en génie civil de l’Ecole polytechnique d’Alger, arrivé avant l’aube devant les locaux de l’IFA.


– ‘Pas d’avenir’ –

Pour Karima, 28 ans, venue de Tizi-Ouzou, à une centaine de km à l’est d’Alger, "personne ne va revenir s’il peut rester" à l’étranger. "Ici, il n’y a pas d’avenir", estime-t-elle.

Elle aussi présente devant les grilles dès 06H30 du matin, elle a patienté cinq heures pour s’inscrire et a déboursé comme les autres 10.000 dinars (75 euros) de frais d’inscription, soit plus de la moitié du salaire minimum mensuel algérien.

Diplômée en gestion, Karima a déjà travaillé deux ans à Alger, vivant en colocation avec d’autres jeunes femmes. Mais "le salaire était très bas" –à peine suffisant pour le loyer, les charges et la nourriture–, et "des filles seules dans un appartement ont vite mauvaise réputation"–, signale-t-elle.

Autant de raisons qui l’ont poussé à repartir en Kabylie avant de tenter sa chance en France.

En 2017, plus de 32.000 jeunes Algériens ont déposé des dossiers en vue d’étudier dans ce pays, selon le directeur de l’IFA, Grégor Trumel. Sur l’année, 8.500 visas étudiants doivent être délivrés contre 7.000 en 2016, soit une hausse de plus de 20%.

D’après Campus France, l’agence publique de promotion à l’étranger de l’enseignement supérieur français, les Algériens –proximité culturelle et géographique aidant– constituaient déjà l’an dernier le troisième contingent étranger avec 22.600 étudiants, derrière les Marocains (32.000) et les Chinois (30.000).

Les jeunes Algériens ayant témoigné dans la presse locale ou auprès de l’AFP ont encore expliqué leur envie d’ailleurs par des diplômes dévalorisés et un marché de l’emploi bouché. Souvent, transparaît chez eux un mal-être.


– ‘Barque’ ou ‘visa’ –

Licenciée en anthropologie, Faroudja, 20 ans, veut partir en France faute de travail dans sa spécialité mais aussi "pour avoir une meilleure vie".

En Algérie, "il y a beaucoup de problèmes avec la famille, dans la société; Ici une femme ne peut pas avoir une vie libre", juge-t-elle.

"Il n’y a pas d’avenir ici", abonde Akila, 25 ans, titulaire d’un master 2 en français, sans poste malgré le concours d’enseignante réussi. Ce qu’elle va faire en France? "Je ne sais pas, l’essentiel est de partir".

Selon le sociologue Nacer Djabi, interrogé par le quotidien arabophone El-Khabar, "les jeunes partent parce que le rêve algérien n’existe plus" et les études sont un moyen d’émigrer: "Les pauvres partent en barque, les instruits avec un visa", dit-il.

Dans Liberté, l’historien Ahmed Rouadjia a pour sa part vu dans la ruée des étudiants "le ras-le-bol de vivre dans un pays qui leur offre peu de perspectives réjouissantes, de réussite sociale, de bonheur".

En pleine célébration de la lutte pour l’indépendance contre le colonisateur français, ces images et réactions ont aussi agacé les autorités algériennes.

Le secrétaire général du FLN, au pouvoir depuis l’indépendance, Djamel Ould Abbes, y a vu le résultat de "l’invasion culturelle dont l’Algérie est victime". Allié du FLN, le RND, parti du Premier ministre Ahmed Ouyahia, a de son côté dénoncé une tentative de "nuire à l’image de l’Algérie". (AFP)

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