Le journaliste Omar Radi utilisé par Amnesty International dans sa guerre contre la société israélienne NSO Group ?

Le rapport d’Amnesty International sur les activités de NSO Group en relation avec le Maroc, complètent en réalité toute une série d’actions entreprises ces 5 dernières années par l’organisation de Droits de l’Homme dans un bras de fer avec l’entreprise israélienne spécialisée dans les logiciels de surveillance. Amnesty International s’est bien gardé d’en faire état dans son rapport ou auprès des 17 médias qui ont relayé l’information sur Omar Radi. Ce vendredi soir, le Maroc apporte un démenti ferme au contenu de ce rapport et exige de l’ONG des preuves dans « une réponse officielle détaillée ».

L’organisation internationale de défense des droits de l’homme révèle dans un rapport publié le 22 juin dernier que le journaliste marocain Omar Radi aurait fait l’objet d’une surveillance, grâce à un logiciel développé par la société israélienne NSO Group.

Une technologie qui permettrait d’avoir accès à toutes les données du téléphone portable d’un individu et également d’en activer la caméra et le micro.

A lire le rapport de 18 pages (dans sa version en français), Omar Radi serait donc « la cible », et le commanditaire “les autorités marocaines”, lesquelles selon Amnesty international seraient les clients de NSO Group depuis 2018.

Omar Radi aurait fait l’objet de 5 attaques via ce logiciel, selon le rapport auquel ont eu accès, en avant-première , 17 médias internationaux et Le Desk au Maroc, auquel Omar Radi avait pris part à la création aux cotés de Ali Amar.

C’est Forbidden Stories, qui a eu la charge de coordonner cette opération de diffusion du rapport auprès de ces 17 médias. Selon Le Desk, dans un article publié le 22 juin et intitulé “Omar Radi : enquête sur une traque technologique”, ce n’est pas par hasard si Omar Radi a été pris pour cible : « depuis 10 ans, il publie des enquêtes qui dérangent les autorités marocaines. Il a notamment travaillé sur les liens entre les pouvoirs politique et économique au Maroc mais aussi sur les violations des droits de l’homme dans le pays”, écrivent les co-auteurs de l’article, Phineas Rueckert et Cécile Schilis-Gallego.

Omar Radi un journaliste comme les autres, jusqu’à ce qu’il tweete

Pourtant, dans le parcours professionnel de Omar Radi, rien d’exceptionnel jusqu’à ce qu’un tweet virulent à l’égard de l’autorité judiciaire ne provoque sa convocation devant la justice.

Les engagements qu’il a pu avoir au sein du mouvement du 20 février 2011 sont les mêmes que ceux qu’ont pu prendre d’autres journalistes à l’époque, ses enquêtes sur les carrières de sable, ne revêtent aucun caractère exclusif par rapport à celles qui l’ont précédées dès 2011 grâce notamment à une chercheuse de l’Université Ibn Tofail de Kenitra et la publication en novembre 2012 de la liste exhaustive de tous les exploitants des carrières de sables et de pierre au Maroc.

Les thèmes de  la corruption, la spoliation ou la dépossession des terres, présentés comme exclusifs par Omar Radi,, avaient largement été traités dans des reportages critiques, y compris par des médias publics (2M, grand Angle, octobre 2015).

Quant aux évènements du Rif, c’est toute la profession qui les a traités et certains journalistes ont pu être « inquiétés », compte tenu de la sensibilité du contexte, conduisant même certains d’entre eux à répondre de leur prise de position devant la justice comme Hamid El Mahdaoui, Mohammed El Hilali, Rabiaa Al Ablak ou encore Jawad Al Sabiry, quand Omar Radi, lui, faisait l’objet d’une garde à vue de 48 heures.

Il aura fallu qu’il soit poursuivi pour un tweet critique à l’égard de l’autorité judiciaire, publié le 5 avril 2019, après le verdict prononcé à l’encontre des membres du Hirak du Rif pour que le journaliste, âgé de 33 ans, acquiert une certaine notoriété. Sa convocation par la justice en décembre 2019 pour ce tweet publié 7 mois plus tôt avait provoqué un tollé sur les réseaux sociaux et dans les médias marocains. Le 17 mars dernier, il était finalement condamné pour cette publication jugée diffamatoire à l’égard d’un magistrat, à 4 mois de prison avec sursis et 500 dirhams (45 euros) d’amende.

Qu’est ce qui justifierait alors que les services de sécurité marocains « ciblent  » Omar Radi ? La question mérite d’être posée et à la lumière de la réponse de Omar Radi dans Le Desk, elle n’en est que plus sérieuse : « j’ai été puni pour l’ensemble de mon œuvre. »

Ce que dit le rapport d’Amnesty International

Selon le rapport de Amnesty International, le Maroc aurait déjà été auparavant identifié comme l’un des clients “potentiels” de la société israélienne NSO Group par Citizen Lab.

Le Desk traitait de cette même information déjà un an plus tôt dans un article mis en ligne le 22 mai 2019, sous le titre “le Maroc utilise le logiciel espion israélien qui a percé WhatsApp”, soutenant qu’un programme secret baptisé « Atlas » serait attribué aux services secrets marocains . Ce programme lui permettrait d’espionner les smartphones grâce au logiciel de cyber surveillance Pegasus conçu par l’israélien NSO Group , selon Le Desk.

Security Lab, l’équipe spécialisée dans la sécurité numérique de l’organisation aurait réalisé une analyse « forensique » du téléphone d’Omar Radi et y aurait décelé “des traces portant à croire qu’il a fait l’objet des mêmes attaques par injection réseau que celles observées contre Maati Mounjib et Abdessadak El Bouchattaoui décrites dans un précédent rapport de l’organisation. Security Lab dit que Omar Radi aurait également été visé de Janvier 2019 à fin janvier 2020.

Les traces constatées “constituent de solides éléments permettant d’établir un lien entre ces attaques et les outils conçus par NSO Group », peut-on lire dans le rapport, qui use fortement du conditionnel pour pointer la responsabilité des services secrets marocains. Ainsi peut-on lire à la page 5 : “il ressort des attaques qui ont ciblé par le passé des défenseurs des droits humains au Maroc et qui ont été examinés par Amnesty International que des outils de NSO Group ont pu servir à mener des attaques par injection réseau (…) l’hypothèse selon laquelle les outils d’injection réseau de NSO Group auraient été utilisés, apparaît de plus en plus solide.”

Plus loin : “les preuves numériques qu’Amnesty International a extraites de l’appareil (de Omar Radi) donnent à penser que des attaques par injection réseau se sont produites les 27 janvier, 11 février et 13 septembre 2019”.
Enfin toujours page 5, l’organisation parle d’”hypothèse” s’agissant des mêmes preuves trouvées dans les portables de Omar Radi et Maati Mounjib pour parler de l’utilisation du « même logiciel espion » utilisé dans les deux cas.

S’entourant du maximum de précautions, le rapport parle de l’utilisation du « logiciel espion de NSO Group au Maroc”, se gardant d’être direct ou affirmatif quant à l’utilisation par le Maroc de cette technologie.

Deux rapports en 9 mois d’Amnesty International sur le même sujet

En octobre 2019, l’organisation avait publié un premier rapport sous le titre : “Maroc, des défenseurs des droits humains ciblés par un logiciel espion de NSO Group ». Elle y présentait des informations selon lesquelles le téléphone de l’historien Maati Mounjib aurait fait l’objet d’”un programme malveillant exécuté à partir de début 2018 “ et ce jusqu’au début 2019.

Ce qui est troublant, c’est que Amnesty International relève que « entre 2017 et 2018, il a reçu des messages SMS contenant des liens malveillants associés à NSO Group ».

Troublant car si le Maroc n’avait fait appel à cette technologie qu’en 2018, comme le soutient l’organisation, qui donc espionnait Maati Mounjib en 2017 ? Dans ce rapport d’octobre 2019, Amnesty International utilise encore une fois le conditionnel pour dire que “le téléphone de Maati Mounjib semble avoir fait l’objet de redirections malveillantes lorsqu’il consultait internet avec le navigateur Safari”.

Aucun élément pour prouver l’implication des services de sécurité marocains

Si le rapport de l’organisation de droits de l’homme dit apporter des “éléments solides “, montrant que Omar Radi aurait été ciblé aux moyens des outils de NSO Group, il n’apporte aucune preuve de l’implication des autorités marocaines dans l’utilisation de cette technologie.

Une analyse sémantique de base sur les tournures de phrase, l’usage parfois excessif du conditionnel et le style rédactionnel indiquent le souci des rédacteurs de ce rapport de prendre toutes les précautions nécessaires pour cibler les services marocains, en se contentant de clauses de convenance et de formules consacrées sans incidences importantes, sur le plan juridique tout du moins.

Ainsi, et uniquement à partir de ses propres hypothèses et de ses propres déductions, Amnesty International dit “juger les autorités marocaines responsables”.L’organisation écrit avoir demandé à la société israélienne de réagir “aux révélations” de son rapport sur Omar Radi. NSO Group n’a “ni infirmé ni réfuté l’affirmation selon laquelle les autorités marocaines auraient utilisé la technologie développée”, rapportent les rédacteurs du rapport de Amnesty International . Ils ajoutent que la société israélienne leur a répondu qu’elle allait procéder à l’examen des informations présentées dans le rapport.

Tout au long des 18 pages du rapport, l’organisation des droits de l’homme, n’évoque à aucun moment son « historique » avec NGO Group. Pourtant, il revêt toute son importance puisque Amnesty International a même intenté une action en justice contre la société israélienne en mai 2019 .

Amnesty International et NSO Group : un bras de fer qui dure depuis 5 ans

En octobre 2019, après son rapport faisant état de l’utilisation de la technologie de NSO Group pour “surveiller “Maati Mounjib, Amnesty International dit avoir interpellé la société israélienne, laquelle avait alors répondu  » nos produits sont conçus pour aider les services de renseignement et les organes responsables de l’application des lois dont la mission est de sauver des vies. Ils ne sont pas destinés à surveiller les opposants ou les militants des droits humains. C’est la raison pour laquelle tous nos contrats, quel que soit le client, n’autorisent l’utilisation de nos produits qu’aux seules fins légitimes de préventions de la criminalité et du terrorisme et d’enquête dans ce type d’affaires ».

Dans ce rapport, l’organisation s’attèle à démontrer le non-respect des engagements de NSO Group en matière de droits de l’homme rappelant par exemple, (page 10) la prise de participation importante en février 2019 d’un fond d’investissement privé installé au Royaume Uni dans NGO Group. Le groupe avait alors annoncé son intention de mettre en œuvre une politique en matière de droits humains mais sans résultat , écrit Amnesty International, ajoutant que c’est là “un autre élément qui vient corroborer le net décalage qui existe entre la ligne de conduite affichée par l’entreprise et son comportement dans la pratique”.

C’est toute une partie de ce rapport que l’organisation consacre à NSO Group qui compterait 45 clients à travers le monde, tentant de faire la démonstration de son “absence d’initiative (…) pour lutter contre l’utilisation de ses outils à mauvais escient”, qu’elle “n’a pas fait la preuve de la diligence requise en matière de droits humains” et qu’elle « a manqué à l’obligation qui lui incombe ».

L’action en justice d’Amnesty International devant une juridiction israélienne

Difficile, à la lecture de ces éléments d’ignorer l’étrange persévérance d’Amnesty International à faire la démonstration des manquements de l’entreprise israélienne.  Il suffit d’aller sur le site de l’ONG pour trouver les éléments de compréhension de la guerre qu’elle semble avoir déclaré à l’entreprise technologique et ses logiciels espions.

Dans un article daté du 21 mai 2019 et publié sur son site  sous le titre  » mettre fin au système de surveillance de NSO Group », l’organisation annonce le dépôt d’un recours pour le lendemain 22 mai, devant un tribunal du district de Tel Aviv pour que les activités de la société israélienne soient contrôlées.

Le 16 janvier dernier une trentaine de militants d’Amnesty International étaient devant la juridiction israélienne dans le cadre de la poursuite de cette action destinée à obliger le ministère de la défense israélien à restreindre les activités de NSO .Ils l’accusent avec son logiciel Pegasus d’avoir ciblé au moins 24 journalistes dans le monde, notamment aux Emirats Arabes Unis, en Arabie Saoudite ou encore au Mexique.

Un membre d’Amnesty International visé par NSO Group

En aout 2018, un membre d’Amnesty International aurait lui-même été ciblé par ce logiciel espion Pegasus, peut on lire sur le site d’Amnesty International. Il aurait reçu un SMS suspect visant à pirater son téléphone et cette tentative a été attribuée par Amnesty International à NSO Group.« Il a été envoyé à un moment où Amnesty menait campagne pour la libération de militantes saoudiennes des droits humains », explique l’organisation sur son site.

Enfin, les premières recherches d’Amnesty International sur les activités de NSO Group remontent au 24 aout 2016 à travers Citizen Lab, qui révèle dans un rapport de 13 pages, les activités de la société israélienne à laquelle les Emirats Arabes Unis , l’Arabie Saoudite, le Mexique et le Panama auraient alors fait appel pour « espionner » leurs dissidents.

Omar Radi manipulé par Amnesty International ?

Cela fait donc cinq ans qu’Amnesty International « traque » NSO Group. Les faits ainsi mis bout à bout interrogent sur « l’utilisation » du journaliste Omar Radi pour alimenter la liste des accusations portées par l’organisation à l’encontre de l’entreprise israélienne qu’AltlasInfo.fr a tenté de joindre dans le cadre de cet article, sans succès.
Il est possible que le journaliste marocain trouve lui aussi des avantages au statut de « victime du système » qu’il semble cultiver. En somme, Amnesty International et Omar Radi y trouveraient chacun son compte. Encore faudrait-il que les services de sécurité marocains soient en possession du logiciel Pegasus depuis 2018, comme le soutient Amnesty International.
Dans un communiqué rendu public ce vendredi 26 juin, les autorités marocaines opposent un démenti ferme et catégorique à ce rapport de l’Ong . Rabat y informe avoir reçu le directeur exécutif d’Amnesty international au Maroc, Mohamed Sektaoui, pour exprimer « son « étonnement des  allégations » contenues dans le rapport.
Un communiqué qui soutient que les autorités marocaines n’ont jamais été contactées par Amnesty international, contrairement à ce qu’avance l’organisation dans son rapport pour lequel les autorités marocaines exigent qu’elle fournisse, dans les plus brefs délais, les preuves de ces assertions dans le cadre d' »une réponse officielle détaillée » .

 

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