Les faits remonteraient à un peu plus de 2 semaines, très exactement dans la nuit du 12 au 13 juillet dernier. Il aura donc fallu 10 jours de réflexion à H.B pour prendre la décision de se rendre chez le procureur du roi de la cour d’appel de Casablanca, et le lendemain au poste de gendarmerie le plus proche du lieu où se seraient déroulés les faits pour porter plainte contre celui qu’elle accuse aujourd’hui de viol. Dix longues journées tétanisée par le doute, à s’interroger sur l’impact que cette plainte pourrait avoir sur sa propre vie, sa famille, son fiancé, ses amis et ses relations professionnelles.

Affronter le regard des autres

Faire face au jugement des siens, aux reproches de toutes sortes, car pour certains peut-être qu’elle l’avait bien cherché. Du haut de ses 27 ans, H.B semble avoir bien évalué tout cela, soutenue par ses parents dans ce long chemin pavé d’épreuves qui l’attend. « S’il n’était pas allé parler de moi dans les bars en riant de ce qu’il m’avait fait subir, peut être que je me serais tue, j’avais peur du scandale », explique-t-elle avant un long silence.
Mais c’est la réaction des soutiens d’Omar Radi dans l’affaire qui l’oppose à la justice marocaine qui l’inquiétait le plus, dit-elle. L’écouteraient-ils, ou se rangeraient ils en détournant la tête du côté de celui qu’ils accompagnent depuis le début de ses péripéties avec la justice ? Qu’allaient-ils dire ? Dénonceraient-ils, comme ils l’ont souvent fait ces derniers mois, une « manipulation » des pouvoirs publics contre un journaliste sans chercher à écouter la victime ? La cloueraient-ils au pilori, elle qui travaille depuis plus d’un an et demi au sein de l’équipe du même journal en ligne que celui qu’elle accuse de viol ? Allaient-ils la faire passer pour une « femme légère » qui avait accepté d’avoir des relations librement consenties avec Omar Radi avant de dénoncer une agression sexuelle ?

Un soutien sans faille apporté jusque là à son collègue de travail

H.B dit connaitre la réponse à toutes ces questions et en assumer les conséquences car, précise-t-elle, elle a soutenu Omar Radi sans faillir dans ce qu’il convient d’appeler l’affaire du rapport d’Amnesty International. Elle l’a également défendu et s’est mise de son côté lorsqu’il fut convoqué par la BNPJ pour être interrogé sur les fonds qu’il est soupçonné d’avoir reçus « de parties étrangères » contre des informations. « Nous étions comme une famille, je me suis sentie piégée et trahie. Je ne me serais jamais imaginée qu’il irait jusqu’à m’agresser sexuellement », nous raconte-t’elle au téléphone.
AtlasInfo.fr n’aurait pas pu joindre H.B si à 22h ce mercredi 29 juillet, Omar Radi ne s’était pas adressé à l’opinion publique à travers le compte Facebook de son père, Driss Radi. Nous avions jusque-là réussi à obtenir des précisions d’une source proche du dossier sur le lieu du viol présumé et grâce aux initiales de la plaignante publiées par Le Desk, nous avons pu l’identifier parmi l’équipe de la publication en ligne et accéder ensuite à l’un de ses avocats, Maîtres Abdelkrim Amlih et Fatima Zahra Ibrahimi.

Quand l’AMDH « dénonce la victime auprès de son bourreau »

Devant ce que son avocat considère comme étant une violation du secret de l’instruction et « les mensonges dégoûtants » contenus dans le post de Omar Radi, H.B décide de nous parler. « Une seule fois pour que les gens sachent la vérité », précise-t-elle, « après je ne dirai plus rien. Omar Radi a une certaine pratique des médias, il s’est entrainé toutes ces dernières semaines à s’adresser aux gens. Moi je ne suis pas connue, et on va aller fouiller dans ma vie pour me calomnier, me rabaisser comme il vient de le faire avec ce post sur FB ».

Ce n’est pas tant la version donnée par Omar Radi de la confrontation qui a eu lieu le 27 juillet avec H.B et un témoin, qui semble le plus choquer la jeune femme. C’est, dit-elle, lorsque celui qu’elle accuse raconte qu’il a été contacté par l’Association Marocaine des Droits de l’Homme : « l’AMDH m’a informé samedi dernier, 25 juillet, qu’une femme leur a rendu visite au siège de l’association à Rabat pour porter à leur connaissance qu’elle a présenté une plainte devant le Parquet Général dans laquelle elle m’accuse de l’avoir violée dans la nuit du 12 au 13 juillet dernier et qu’elle a demandé à l’AMDH de la soutenir ». H.B s’indigne que l’association « dénonce la victime auprès de son bourreau ».

« L’avocat de l’association m’a fait subir un véritable interrogatoire à charge », ajoute HB, « il a essayé de m’amener à dire que c’était une relation consentie. Je ne comprends pas, Je me suis sentie jugée et salie », déplore H.B non sans ajouter : « Il se sent intouchable car il a une certaine notoriété et moi pas, tout comme il s’est senti puissant en passant à l’acte alors qu’il y avait du monde qui dormait à l’étage, qu’il y avait un témoin, qui est son ami et qu’il savait qu’il ne dirait rien ».

Retour sur la nuit du 12 au 13 juillet dernier

Un communiqué, rendu public hier mercredi 29 juillet, nous apprenait que le juge d’instruction avait ordonné la mise en détention préventive d’Omar Radi après qu’il ait fait l’objet d’un interrogatoire préliminaire dans le cadre de deux affaires distinctes : attentat à la pudeur avec violence et viol dans l’une et « réception de fonds étrangers dans le dessein de porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État et d’entreprendre des contacts avec des agents de pays étrangers » dans l’autre.

Ce même communiqué, faisait état d’une plainte déposée par une citoyenne auprès du procureur du roi nous apprenait qu’une enquête a été ouverte par les services de la Gendarmerie Royale à Casablanca. Le parquet général avait déféré Omar Radi devant le juge d’instruction près la Cour d’appel de Casablanca.

 

Aucune précision n’est apportée par le communiqué sur le profil de la plaignante ou les circonstances des faits qui sont reprochés à Omar Radi. C’est un article mis en ligne par Le Desk dans la foulée du communiqué, qui nous apprend que la jeune femme « HB », « l’accuse d’un viol commis dans la nuit du 12 au 13 juillet » 2020.

Lors d’une confrontation lundi 27 juillet au siège de la Gendarmerie Royale, entre la plaignante et Omar Radi, ajoute Le Desk, Omar Radi aurait plaidé « une relation consentie ».

Une affaire « dérangeante » pour Le Desk

Une source proche du dossier contacté par Atlasinfo.fr nous confirmait que les faits remontaient bien à la nuit du 12 au 13 juillet 2020, ajoutant qu’ils auraient eu lieu au siège du journal Le Desk. Nous avons contacté la publication qui s’est refusée à tout commentaire, faisant prévaloir « le secret de l’instruction ». Un journaliste proche du Desk nous a cependant confié que « c’est une affaire dérangeante ». Gênante en effet si l’on considère qu’elle implique deux membres de l’équipe pour ne pas dire trois, si l’on doit tenir compte du « témoin », également journaliste au sein de l’équipe du journal, un ami proche de Omar Radi.

Embarrassante, car les faits auraient eu lieu dans les locaux mêmes du Desk, transférés provisoirement dans le sous-sol du domicile personnel du directeur de la publication Ali Amar, dans les environs de Casablanca. Pour soulager HB de la navette en cette période d’état d’urgence sanitaire, car elle réside à Rabat, son employeur lui avait mis à disposition une chambre depuis le 16 juin et ce jusqu’au 26 juillet, nous relate HB.

Avant la nuit du 12 au 13 juillet, Omar Radi et son ami journaliste, avaient passé la nuit dans le salon à une ou deux reprises, poursuit HB. La nuit des faits, la chambre dans laquelle elle dormait habituellement était occupée par un membre de la famille du propriétaire des lieux. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée à dormir dans le coin bibliothèque du grand salon du rez-de-chaussée de la maison, un espace ouvert, où Omar Radi et son ami avaient pris place, après que les occupants de la maison et leurs proches se soient tous rendus dans leurs chambres respectives.

A la question de savoir si cette situation lui semblait « normale », H.B répond : « nous étions des collègues, la maison était pleine, avec des enfants, les employées de maison, des proches. Pourquoi aurais-je eu peur d’Omar Radi ? ». Au cours d’un dîner une semaine avant cette malheureuse nuit, elle déclare : « il a eu des gestes déplacés envers moi » mais « j’ai mis cela sur le compte de l’alcool et de ses problèmes personnels ».

« Les jours qui ont suivi, j’étais toujours dans une démarche d’entraide et de solidarité avec lui », poursuit H.B, « il n’était vraiment pas bien et je compatissais à sa situation. J’essayais d’être compréhensive mais pas au point de me laisser faire, de me faire violer ».

« Je pensais naïvement que Omar voulait juste discuter »

Lorsque nous évoquons des SMS sibyllins qu’elle aurait échangé avec lui juste avant les faits, H.B hausse la voix, s’énerve et dénonce le fait qu’on puisse y voir une invitation à une relation intime : « c’est cracher sur mon éducation que de croire que je pourrais, dans une maison pleine ou je suis invitée, avec des gens que je considère comme de la famille, que je pourrais avoir une relation consentie sur un canapé au milieu du salon.

Quand il m’écrit « je viens ou tu viens », je lui réponds spontanément « viens toi quand j’aurais fini » parce que j’étais au téléphone avec mon fiancé et je pensais naïvement que Omar voulait juste discuter ». Lorsque Omar Radi rejoint H.B dans le salon où elle se trouvait, elle discutait en appel vidéo avec son fiancé.

De son côté, l’accusé nie catégoriquement les faits dans le post publié par son père hier soir. Il soutient qu’il s’agirait d’une « vengeance ». Il écrit : « pendant l’interrogatoire, j’ai démenti avec force toutes les accusations fallacieuses et j’ai affirmé aux enquêteurs que cette affaire n’est qu’une plainte motivée par la vengeance ». Plus loin, il parle de « piège » et de « machination », ajoutant : « mon seul tort dans cette affaire c’est d’avoir exercé ma libertés individuelle sans tenir compte des dangers qui m’entouraient, sans faire attention ».

On peut s’interroger sur cette prise de parole publique d’Omar Radi et l’état d’esprit dans lequel elle a été rédigée pour prendre à témoin l’opinion publique « nationale et internationale ». Au-delà du trouble qu’elle vient jeter sur le secret de l’instruction, elle questionne sur la sérénité nécessaire au traitement de cette affaire par la justice, tout comme elle interroge sur la théorie du complot une fois encore évoquée par le journaliste, sans doute une fois de trop.

Un lexique qui banalise les affaires impliquant des journalistes

« Machination », « piège », « manipulation », « harcèlement », « complot », « oppression » : cette dialectique récurrente qui s’est intensifiée ces derniers mois dans différentes affaires liées notamment à des journalistes, présente l’écueil de banaliser ces mots aux yeux de l’opinion publique, au point de les vider de tout leur sens. Elle fait également peser un risque sérieux sur une éventuelle prochaine affaire qui impliquerait un journaliste, le risque de ne pas être écouté, tout comme elle mettrait en danger toute femme qui voudrait dénoncer son agresseur.

Le fait est que cette affaire qui engage des personnes qui se connaissent et qui se côtoient au quotidien, n’a pas la même résonance que les précédentes. A la justice de la démêler et de se prononcer à partir du 22 septembre prochain.