Qui a encore peur de Human Rights Watch ?

Il fut un temps où les communiqués de Human Rights Watch faisaient trembler jusque dans les couloirs de la Maison Blanche. Aujourd’hui, il faut être une dictature ou bien naïf pour encore croire en HRW, largement financée par des fonds contestables et dont la partialité est dénoncée par…des militants de droits de l’Homme. Grandeur et décadence d’une ONG dirigée depuis 27 ans par Kenneth Roth. Sa longévité à la tête de l’organisation, n’a rien à envier à celles des tyrans que l’association dit dénoncer, ni à celle de son directeur de la région MENA, Éric Goldstein au même poste depuis 31 ans.

Du temps de son fondateur Robert L. Bernstein, un éditeur idéaliste épris de liberté, le moindre rapport de ce qui fût l’une des plus grandes organisations de défense de droits de l’Homme au monde, pouvait ébranler un gouvernement.

Dans une tribune désormais célèbre publiée le 19 octobre 2009 dans les pages du New York Times, Bernstein fustigeait les dirigeants de Human Rights Watch pour avoir dévoyé la mission première qu’il avait imaginé pour l’organisation qu’il a dirigée pendant 20 ans et ce en pleine guerre froide. Robert L. Bernstein est mort en 2019 à l’âge de 96 ans, non sans rendre la tâche plus ardue aux dirigeants de HRW, qualifiant l’association de « morally bankrupt ».

Une lettre ouverte historique signée par des prix Nobel de la Paix

Cette faillite morale de l’organisation qui dit « défendre les droits des personnes dans le monde», avait fait l’objet en mai 2014 d’une lettre ouverte inédite de deux lauréats du prix Nobel de la Paix et d’une centaine d’universitaires, militants des droits humains et journalistes de renommée mondiale, tels que l’ancien Secrétaire Général Adjoint des Nations-Unies, Hans Von Sponeck, Chris Hedges, auteur de “War Is a Force That Gives Us Meaning”( « la guerre est une force qui nous octroie du sens »), chase Madar, auteur qui a signé « The Passion of Chelsea Manning : The Story Behind The Wikileaks Whistelblower »(« la passion de Chelsea Manning: l’histoire derrière le lanceur d’alerte de Wikileaks »), Norman Solomon, journaliste et activiste américain antiguerre,  Oliver Stone, réalisateur co-auteur de « l’Histoire interdite des Etats-Unis » ou encore Keane Bhatt, écrivain et activiste, l’un des promoteurs de cette lettre.

En fait, ce sont deux lettres qui avaient ébranlé l’organisation et provoqué un débat aux Etats-Unis et dans les cercles de défense des droits humains. Elles  avaient  été rédigées par Mairead Maguire, militante originaire d’Irlande du Nord et lauréate du prix Nobel de la Paix et l’activiste argentin également lauréat du prix Nobel de la Paix, Adolfo Perez Esquivel.

Une organisation qui répond aux orientations de l’administration américaine

Parmi les critiques à l’encontre de Human Rights Watch figuraient sa politique d’embauche de cadres issus de différentes entités de l’administration américaine, son incapacité à dénoncer la pratique de la restitution extrajudiciaire, son approbation de l’intervention militaire américaine en Libye et son silence assourdissant lors du coup d’État de 2004 en Haïti. Mais c’est surtout les liens étroits de HRW avec le gouvernement des Etats-Unis et donc la remise en cause de son indépendance, sur lesquels s’attardent les signataires de ces lettres adressées à Kenneth Roth.

« Les relations étroites de HRW avec le gouvernement nord-américain diffusent l’apparence d’un conflit d’intérêts », relèvent les signataires, exemples à l’appui, pour démontrer que l’organisation est si « proche » de la politique étrangère américaine qu’elle est incapable de la critiquer. Plus encore : elle œuvre dans le sens de l’accompagner. De Cuba à l’Equateur, en passant par la Syrie, la Colombie ou encore l’Ethiopie, les rapports et les communiqués  de HRW sont souvent en conformité avec la politique étrangère américaine.

La diffusion de fausses informations sur la situation des droits de l’Homme au Maroc, en Egypte au Rwanda, en RDC ou en Erythrée pour ne citer que ces quelques pays du continent africain, vient renforcer l’image trouble d’une association à la partialité manifeste dont les choix ne sont plus guidés pas la protection des droits humains.

Sur cela, la réaction de HRW à l’intervention américaine en Irak constitue un véritable cas d’école aujourd’hui encore, si l’on considère le communiqué publié alors par l’organisation : « nous évitons les jugements sur la légalité de la guerre elle-même car ils ont tendance à compromettre la neutralité nécessaire pour surveiller le plus efficacement possible la guerre menée ». Ce communiqué avait alors créé de tels remous qu’il avait divisé les équipes de HRW.

Ces cadres de Human Rights Watch recrutés au sein de l’administration américaine

Tom Malinowski

Parmi les cas les plus emblématiques de « profils » adoubés par l’administration américaine et cités dans la lettre ouverte des prix Nobel de la Paix, celui de Tom Malinowski, responsable du lobbying de HRW à Washington, et qui avait, avant cela, servi comme assistant spécial du président Bill Clinton.

Il était également celui qui rédigeait les discours de Madeleine Albright, alors Secrétaire d’Etat. En 2013, Malinowski avait démissionné de HRW après avoir été nommé sous-secrétaire d’État à la Démocratie, les Droits Humains et le Travail, sous l’autorité de John Kerry. Aujourd’hui, il est membre du congrès élu en 2018 sous la bannière du Parti Démocrate.

« Actuellement », poursuivent les auteurs de cette lettre ouverte datée de mai 2014, « le Comité Consultatif de HRW-Amériques se compose de Myles Frechette, ancien ambassadeur des États-Unis en Colombie, et Michael Stifter , ancien directeur du pôle Amérique latine au sein de l’organisation National Endowment for Democracy (NED), financée par le gouvernement des États-Unis. Plus loin dans la lettre ouverte : « Miguel Diaz, un analyste de la Central Intelligence Agency (CIA) dans les années 90, a participé au comité consultatif de HRW-Amériques entre 2003 et 2011. Aujourd’hui, Diaz est au Département d’État ».

Autre exemple, celui de Susan Manilow. Dans sa biographie sur hrw.org, la vice-présidente du conseil d’administration, se décrit comme « une vieille amie de Bill Clinton », « très impliquée » dans son parti politique et qui a « participé à des dizaines d’événements » pour le Comité National Démocrate.

Enfin, le cas de Javier Solana qui avait été Secrétaire Général de l’Otan lors de l’intervention en ex-Yougoslavie en 1999, un évènement décrit alors par HRW comme suscitant « des violations du droit international humanitaire », interroge sur le modèle de « recrutement » de l’association. Le diplomate espagnol est devenu membre du conseil d’administration de HRW en janvier 2011, deux ans après l’intervention en ex-Yougoslavie.

Cesser ce jeu de « chaises musicales »

A la fin de leur lettre ouverte adressée à Kenneth Roth, les signataires l’exhortent à « prendre des mesures concrètes et immédiates pour réaffirmer avec vigueur » indépendance de l’organisation : « cesser ce qui peut apparaître comme un jeu de chaises musicales serait une première mesure raisonnable : interdire à ceux qui ont développé ou mis en œuvre la politique étrangère des États-Unis d’être des employés », ajoutent les auteurs du courrier. En guise de réponse quelques semaines plus tard, le directeur exécutif de l’organisation a qualifié leurs critiques de « déplacées » et a rejeté leurs recommandations.

L’influence des donateurs et du monde économique

Les liens avec le monde économique et la manière dont HRW les a développés, questionnent, quant à eux, sur les compromissions inévitables de l’association dont le modèle de fonctionnement dépend directement de ces sources de financement. Le plus spectaculaire de ces liens est celui qui lie l’organisation au magnat de la finance George Soros, par le truchement de sa fondation philanthropique Open Society Foundation, dotée d’un budget colossal pour promouvoir la conception du monde du multimilliardaire américain.

 

 

Le généreux bienfaiteur qui continue d’investir dans les matières premières notamment en Afrique, a octroyé en 2010 la modique somme de 100 millions de dollars à HRW pour la période allant de 2010 à 2020.

Les liens de HRW avec des entreprises comme Exxon Mobil, Coca-Cola ou encore Boeing, toutes trois pourtant accusées de graves atteintes aux droits de l’Homme, place l’organisation dans une position telle que chacune de ses contributions aux droits humains est légitimement questionnée. Comment pourrait-il en être autrement, sachant que le Conseil d’Administration compte de nombreux dirigeants d’entreprises dont des banquiers d’investissement ?

Lire aussi: Histoires interdites du financement des ONG de droits de l’Homme et de protection des journalistes

Donation pour enterrer un rapport défavorable ?

Ceux qui seraient tentés de croire que ces pratiques ne sont que des allégations ou font partie du passé, déchanteront assez rapidement en prenant connaissance des révélations de la plateforme journalistique The Intercept. Elles impliquent un milliardaire saoudien et compromettent Human Rights Watch. Les faits : peu de temps après que des chercheurs de l’association aient établi un rapport sur des abus commis dans l’une des entreprises de cet opérateur économique saoudien, HRW acceptait un don de 470 000 dollars de ce même milliardaire saoudien, à travers sa fondation basée au Royaume-Uni.

Cet article, signé par Alex Emmons et mis en ligne par The Intercept le 2 mars dernier, renseigne sur le niveau de mercantilisme atteint par Kenneth Roth, le directeur exécutif de HRW. Il était en effet personnellement impliqué dans la sollicitation de cette donation, selon un courrier interne de HRW dont The Intercept affirme détenir une copie. Le conseil d’administration de l’organisation n’aurait pris connaissance de ce don que récemment, selon le même mail.

Devant ces révélations, HRW a été acculée à publier une déclaration sur son site, affirmant qu’accepter un don d’une entreprise précédemment mise en cause dans un rapport de l’organisation de droit de l’Homme, était une décision « profondément regrettable ».

« Des publications qui reflètent l’absence de normes professionnelles »

Une affaire de plus dans la longue série qui entache la réputation déjà fortement entamée de l’association, également épinglée pour ses « publications qui reflètent l’absence de normes professionnelles », analyse NGO Monitor « avec des partis pris idéologiques » pointés du doigt. « Toute organisation à but non lucratif qui accepte des contributions volontaires peut être soumise à l’influence de ses sponsors. HRW ne diffère pas des autres organisations à but non lucratif », analyse Ivan Eland du « Center on Peace and Liberty » de « l’Independance Institut ».

Le dirigeant de HRW, Kenneth Roth, y règne en maître absolu depuis 1993. L’un des rares cadres de l’organisation à pouvoir rivaliser avec lui en longévité est Éric Goldstein, directeur adjoint, division Moyen-Orient et Afrique du Nord, dont le mandat a commencé en …1989. Depuis le départ de Sarah Leah Whitson, Il assure l’intérim de la direction.

Il a fallu de nombreuses recherches à AtlasInfo.fr pour identifier cette information dans une interview publiée par l’hebdomadaire marocain Tel Quel et reprise sur le site de HRW en date du 7 avril 2014. Simple coquetterie sur son âge ou crainte de se voir reprocher une durabilité suspecte ? Quoi qu’il en soit, sa fiche de présentation sur le site de HRW reste générale pour ne pas dire floue. A quels réseaux doit-il cette longévité (31 ans) pour le moins exceptionnelle dans ce genre d’organisation ?

C’est là une question qui mérite d’être posée car son parcours est à l’image de HRW : partis pris idéologiques, absence de transparence, crédibilité ternie et soutiens occultes.

Un communiqué qui illustre les manquements professionnels de l’association

A la lecture de tous ces éléments, quelle interprétation faire alors du communiqué de HRW rendu public le 29 juillet suite à l’arrestation d’Omar Radi ? Le journaliste marocain a vu les accusations qui pèsent contre lui s’alourdir, après une plainte pour viol. Le communiqué de HRW ne présente, en soi, rien d’anormal pour une organisation de droits humains si ce n’est, peut-être, son inconsistance.

Il manque en effet de substance, d’informations et de perspective. Il constitue une illustration exemplaire des critiques formulées à l’encontre de l’association. La citation qui « peut être attribuée à Éric Goldstein », précise le communiqué, trahit l’esprit, les valeurs et les méthodologies de travail que met en avant HRW : « nos chercheurs mènent des enquêtes sur le terrain et documentent les violations de droits humains de manière exhaustive, précise et objective », peut-on lire sur le site de l’ONG.

Une enquête a-t-elle été menée par HRW dans l’affaire O.Radi? Si oui, où sont les éléments exhaustifs, précis et objectifs ? La citation du directeur par intérim de la région MENA vient altérer un peu plus la perception de l’organisation qu’il représente : « bien que toutes les allégations de viol doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies et équitables, le contexte fait craindre que les deux accusations contre Omar Radi soient une manipulation flagrante du système judiciaire pour réduire un journaliste critique au silence, alors que les attaques contre la liberté d’expression au Maroc se multiplient ».

L’usage du mot « allégation » à lui seul est déjà un parti pris puisqu’il suggère qu’il y a « assertion le plus souvent considérée comme mal fondée ou mensongère » (Larousse)

Par ailleurs, aucune précision ou fait ne sont présentés pour étayer l’affirmation « attaques contre la liberté d’expression au Maroc se multiplient ». Dernière remarque : l’auteur de la citation parle de « manipulation flagrante du système judiciaire » sans suggérer le moindre élément pour l’illustrer.

Instrumentalisation de la question des droits de l’Homme

Enfin, il est assez curieux qu’Éric Goldstein veuille voir citer son nom dans cette affaire, qu’il souhaite s’octroyer nommément une position dans un domaine où le vedettariat n’a pourtant pas sa place.

Nul besoin d’être spécialiste de la gestion des ressources humaines pour constater que c’est là l’un des travers des personnes qui occupent trop longtemps un même poste.

Sous couvert de bons sentiments sur la question des droits humains, Éric Goldstein a de plus en plus de mal à fournir un vernis de validation à des positions politiques, qui fasse correctement illusion. Tout comme il n’arrive plus à donner le change sur ses positions personnelles, dès qu’il s’agit du dossier du Sahara.

Celui, qui passe plus de temps à partager les repas des dirigeants du Polisario à Tindouf qu’avec les pauvres gens qui y sont retenus, devra pourtant s’habituer à l’idée qu’il lui faudra bien partir un jour, d’une manière ou d’une autre.

 

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