Affaire Radi/Viol: « Je sentais son odeur d’alcool, sa transpiration. J’avais envie de vomir alors que lui riait », déclare HB à Atlasinfo

Dans la soirée du 29 juillet dernier, HB*, qui a porté plainte contre son collègue Omar Radi pour viol, acceptait de nous donner une interview exclusive par téléphone en réponse à un post que le journaliste, incarcéré le jour même, avait fait publier sur le compte Facebook de son père. Il y donnait sa version des faits, parlant de « relation consentie », chose que réfute catégoriquement HB. Nous avions publié une partie de ses propos dans un article mis en ligne le 30 juillet en début d’après-midi. Devant ce qui s’apparente à une cabale à l’encontre de HB, la rédaction d’AtlasInfo.fr a décidé de publier l’intégralité de l’entretien de la jeune femme, expurgé de quelques éléments à même de porter atteinte au secret de l’instruction.

Propos recueillis par Hasna Daoudi

Vous avez dénoncé un viol qui aurait été commis par votre collègue, le journaliste Omar Radi. Pourriez-vous nous en raconter les circonstances ?

HB : Je tiens tout d’abord à dire que je n’aurais jamais pris la parole si Omar Radi n’avait pas posté ce qu’il présente comme sa version des faits sur le compte Facebook de son père. Mon avocat considère que c’est une violation grave du secret de l’instruction et je ne peux pas rester les bras croisés et le laisser dire ce qu’il veut pour me salir. J’ai été choquée par les mensonges dégoûtants qu’il y avait dans ce post. J’ai décidé de ne parler qu’une seule fois pour que les gens sachent la vérité. L’opinion publique doit savoir que j’ai beaucoup réfléchi avant de porter plainte, je savais que cela serait difficile mais, hamdoullah, mes parents me soutiennent et c’est ce qu’il y a de plus important pour moi. Ce sont des gens simples et sans histoires. Quand j’en ai parlé à mon père, il s’est profondément senti blessé et il était très en colère de ne pas avoir pu me protéger, de ne pas avoir pu être là pour moi. Il s’est senti impuissant devant cette situation car Omar Radi a des soutiens. Il se sent intouchable car il a une certaine notoriété et pas moi. Tout comme il s’est senti puissant en passant à l’acte alors qu’il y avait du monde qui dormait à l’étage, qu’il y avait des enfants et qu’il y avait un témoin, IS, qui est son ami et qu’il savait qu’il ne dirait rien.

Justement, que s’est-il passé exactement ?

HB : Je travaille au sein de la société éditrice du Desk depuis dix-sept mois. Je suis chargée des relations publiques et de la publicité. Comme je devais régler des dossiers restés en suspens avec le confinement et que j’habite à Rabat, j’ai été hébergée par mes patrons, Ali Amar et son épouse Fatéma- Zahra Qadiri pour m’éviter les allers-retours entre la capitale et Casablanca. Ils m’ont gentiment mis à disposition une chambre à l’étage à partir du 16 juin et ce jusqu’à il y a quelques jours, le 26 juillet. Il m’arrivait donc très souvent de passer la nuit chez eux pendant toute cette période. Au-delà de mon travail, nous avions une vraie relation d’amitié et de respect mutuel. Ils étaient pratiquement ma seconde famille et j’espère qu’ils le resteront encore. Le siège du Desk avait été provisoirement transféré dans le sous-sol de leur maison. Alors, c’était pratique pour tout le monde.

Le soir où Omar Radi m’a violée, nous étions le 12 juillet. Omar Radi et IS, journaliste lui aussi, étaient là et ce n’était pas la première fois qu’ils venaient passer la nuit. Nous avons dîné et passé la soirée tous ensemble. Ali et Fatema-Zahra recevaient des membres de leur famille en plus de nous trois. Vers minuit, Ali Amar, Omar Radi et IS sont descendus pour travailler au sous-sol où étaient installés les bureaux. J’en ai profité pour appeler mon fiancé qui vit à San Francisco. Avec le décalage horaire, il était encore à son travail. Je me suis assoupie sur le canapé du coin bibliothèque en attendant de le rappeler et à 1h47 très exactement je l’ai eu en appel vidéo et il savait évidemment chez qui j’étais. A ce moment-là, tout le monde était déjà allé dormir. Il y avait une chambre au rez de chaussée et toutes les autres à l’étage. Comme celle où je dormais habituellement était occupée par un membre de la famille, je devais dormir dans le salon bibliothèque. En fait, il y avait 3 coins séparés dans un grand espace ouvert. Chacun pouvait y avoir son intimité, éloigné l’un de l’autre. Moi j’ai donc pris le salon bibliothèque, Omar Radi le coin avec un canapé en cuir, transformable en lit, et IS le coin salon télévision. Je n’avais aucune raison de ne pas me sentir en sécurité étant chez des amis. Nous étions des collègues, la maison était pleine, avec des enfants, des employées de maison, des proches. Pourquoi aurais-je eu peur de Omar Radi?

Justement, vous connaissez Omar Radi depuis quand ? Comment vous qualifiez votre relation avec lui avant cette nuit du 12 au 13 juillet ?

HB : C’était une relation d’amitié entre collègues et je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit qui puisse lui faire croire le contraire. Je l’ai toujours soutenu sans la moindre hésitation après le rapport d’Amnesty International et je l’ai défendu et me suis rangée de son côté quand il a été convoqué par la BNPJ pour être interrogé sur l’argent qu’on le soupçonne d’avoir touché de l’étranger. La première fois que j’ai rencontré Omar Radi c’était en janvier 2020. Ali Amar avait organisé une soirée pour Omar Radi lorsqu’il est sorti de prison après l’affaire du tweet. Nous nous sommes revus le 13 juin dernier dans le cadre du travail. Je devais lui remettre les clés de la voiture de service du Desk de la part de mon patron Ali Amar.

Avant cette nuit du 12 juillet, il n’y a vraiment rien qui se soit passé ?

HB : Si, un incident très gênant mais que je n’ai pas pris au sérieux. Quelques jours avant, le 7 juillet très exactement, Omar Radi est passé à la villa de mes employeurs avec IS. Il avait rendez-vous le lendemain à la BNPJ pour une nouvelle audition. Nous avons dîné et passé la soirée tous ensemble et nous l’avons tous soutenu et encouragé. Mais pendant la soirée, il a eu des gestes déplacés à mon égard. J’étais très mal à l’aise mais Il avait bu et il n’était pas bien alors j’ai mis ça sur le compte de l’alcool et de ses problèmes personnels. Les jours qui ont suivis, j’étais toujours dans une démarche d’entraide et de solidarité avec lui. Il n’était vraiment pas bien et je compatissais à sa situation. J’essayais d’être compréhensive mais pas au point de le laisser faire, de me laisser violer! Tout le monde savait que j’étais fiancée et que je tenais à cette relation par dessus tout. Jamais je n’aurais trahi mon engagement vis à vis de l’homme que j’aime. Au Desk, nous étions soudés, comme une famille. Ce n’est pas de la faute de mes employeurs et je ne leur en voudrai jamais mais je me suis sentie trahie et piégée. Nous n’étions pas seuls, il y avait IS. Nous étions trois collègues qui dormaient dans le salon et je le répète, je n’avais aucune raison de me méfier ou de croire que l’un pouvait me sauter dessus et que l’autre puisse lâchement le couvrir.

Vous avez échangé des sms avec Omar Radi. Vous ne craignez pas qu’ils puissent être mal interprétés ?

 HB : il faut être très malveillant pour y voir une invitation à une relation intime. C’est aussi cracher sur mon éducation que de croire que je pourrais, dans une maison pleine où je suis invitée, avec des gens que je considère comme de la famille, avoir une relation consentie sur un canapé au milieu du salon.

Quand il m’écrit « je viens ou tu viens* », je lui ai répondu spontanément « viens toi quand j’aurais fini » parce que j’étais au téléphone avec mon fiancé et je pensais naïvement que Omar voulait juste discuter de ses problèmes. Il a été pervers et s’est approché de moi pour me sauter dessus. Cela m’a totalement surprise, il y avait du monde dans la maison et il avait bu. J’ai essayé de le raisonner mais il a mis sa main sur ma bouche et l’autre autour de mon cou en serrant très fort et il m’a violé. (HB marque un long silence pendant l’interview avant de poursuivre). J’étais comme paralysée, je n’arrivais plus à bouger et je ne sentais plus mes jambes. Je sentais son odeur d’alcool, sa transpiration et j’ai eu envie de vomir pendant que lui riait. Quand j’ai réussi à me dégager, je me suis enfuie et me suis enfermée dans les toilettes pendant au moins une heure, le temps de me calmer. Mais je n’arrivais pas à réfléchir, je voulais juste m’en aller mais sur le coup  j’ai eu peur du scandale, que cela crée des problèmes à Ali et Fatéma-Zahra.

J’ai eu aussi très peur qu’on dise que ‘je l’avais cherché », que je l’avais voulu ou que je « l’avais mérité ». Aucun être humain ne mérite ce que j’ai subi cette nuit-là. J’aurais voulu mourir plutôt que ça ne se produise. Aujourd’hui encore, je me sens sale comme si cela venait de se passer. Je me réveille en pleine nuit avec cette sensation d’étouffer, de ne pas pouvoir crier. Je veux juste que cette odeur de vomi disparaisse mais elle est toujours là.

Vous avez déposé plainte le 23 juillet. Pourquoi avoir attendu 10 jours ?

HB : S’il n’était pas allé parler de moi dans les bars en riant de ce qu’il m’avait fait subir, peut-être que je me serais tue comme la plupart des personnes qui se font violées. Et comme je vous l’ai déjà dit, j’avais peur du scandale. Franchement, vous croyez vraiment que c’est facile de s’adresser à la justice pour ce genre de choses dans une société comme la nôtre ? Que c’est facile de prendre le risque qu’on vous réponde que vous l’avez peut-être bien cherché ? Qu’on se demande ce que vous faisiez là ? J’ai eu terriblement peur d’être jugée d’abord par mes proches, mon fiancé, mes amis, mes relations de travail. Je ne voulais pas mettre à mal mes employeurs qui m’ont toujours bien traitée et avec lesquels je travaille depuis 17 mois dans la bienveillance. Je me suis posée mille fois cette question dans ma tête : allait-on m’aider ? Omar Radi est connu et a de nombreux soutiens et moi, je n’ai rien mais ça m’est égal, je me défendrais jusqu’au bout. En allant déposer plainte, j’ai failli rebrousser chemin plusieurs fois mais j’ai pensé à mon père qui m’a prise dans ses bras et m’a serrée très fort en me disant qu’il me soutiendrait quoi qu’il arrive et c’est tout ce qui compte aujourd’hui pour moi.

Comment ont réagi vos employeurs ?

HB : Honnêtement, je ne souhaite pas parler de cela. Ils savent que je suis quelqu’un d’honnête et ils sont dans une position difficile. Ce que je peux vous dire c’est que je les ai informés une fois que je suis allée porter plainte.

Lors d’une confrontation dans les bureaux de la gendarmerie de Bouskoura, Omar Radi a dit que c’était une relation consentie ?

C’est ce que les bourreaux disent pour salir leurs victimes. Sur Facebook, il parle de « piège » et de « machination » pour se faire passer pour une victime mais la victime, c’est moi et pas Omar Radi. Vous croyez que j’aurais répondu à son sms si je voulais le « piéger » ? Que j’aurais pris le risque qu’il y ait un témoin en la personne de IS qui est son ami et qui dira ce qu’il faudra pour le couvrir ? Si c’était une machination, la première chose que j’aurais faite est de crier pour que toutes les personnes dans la maison se réveillent et soient témoins de cela. Il était en train de me violer en pensant que je ne dirais rien ou peut-être que je n’attendais que cela. C’est juste sale et dégoûtant.

Avez-vous des craintes après le dépôt de cette plainte ?

 HB : Oui, bien sûr. J’ai très peur, j’ai une boule au ventre qui ne me quitte plus et si j’arrive encore à me lever chaque matin et mettre un pied devant l’autre pour avancer, c’est grâce à Dieu. J’ai peur aussi de certaines réactions. J’ai été choquée et bouleversée par l’attitude de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH). Je suis allée les voir pour solliciter leur soutien. L’avocat de l’association m’a fait subir un véritable interrogatoire à charge. Il a essayé de m’amener à dire que c’était une relation consentie. Je me suis sentie jugée et salie comme s’il m’avait craché dessus, comme si j’étais une moins que rien. Et comme si ça ne suffisait pas, l’AMDH a dénoncé la victime auprès de son bourreau. Vous avez lu le post de Omar Radi sur Facebook ? Il dit que l’association l’a alerté. Je suis sidérée par cela et mes avocats également. Je pensais que j’y serais protégée, comme quand on va chez le médecin, qu’il y a un secret professionnel à respecter. Si j’avais su, je n’y serais jamais allée.

Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?

 HB : je ne vais pas bien. Qui pourrait l’être dans une telle situation ? Je souffre beaucoup et je vais entamer une thérapie pour tenter de surmonter cela. C’est très éprouvant et heureusement que ma famille est là pour moi. Ce soutien est très important car je sais que le contexte de cette affaire va compliquer les choses et qu’on fera tout pour me discréditer et faire pression sur moi. Mais cela m’est égal, je me défendrai.

C’est vraiment très douloureux d’en parler car j’ai été violée par un collègue que je respectais et que je soutenais. Si des femmes subissent le même sort que moi, elles ne doivent pas avoir honte ou avoir peur du jugement et du regard des autres ou se dire « hchouma », elles doivent parler. C’est en tout cas ce que moi j’ai décidé de faire. Quel que soit le prix à payer, je ne me tairai pas.

 

*Bien que la plaignante ait directement communiqué sur les réseaux sociaux son identité depuis cette interview, Atlasinfo.fr a fait le choix pour des raisons éthiques et déontologiques de ne pas révéler son identité tant que l’instruction suit son cours.

*Nous sommes en possession des captations des échanges entre HB et Omar Radi sur plusieurs jours. L’instruction étant toujours en cours et ces éléments étant contenus dans le dossier, Atlasinfo.fr ne les publiera pas.    

 

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