Tensions entre la France et le Maroc : la relation entre les deux pays doit être clarifiée

La relation entre la France et le Maroc traverse une passe délicate. La visite à Rabat de Nicolas Hulot, envoyé spécial de François Hollande pour la planète, prévue le 24 février, a notamment été annulée. À l’origine de ce coup de froid diplomatique : plusieurs plaintes déposées en France contre un haut responsable marocain. Faut-il s’en inquiéter ? Décryptage d’Abdelmalek Alaoui.

Les récentes tensions entre le Maroc et la France ont connu une escalade graduelle depuis deux semaines qui a conduit le royaume à interrompre l’entraide judiciaire et à rappeler son magistrat permanent installé à Paris.

Il s’agit là d’un précédent suffisamment significatif sur le plan diplomatique pour que l’on s’intéresse aux fondements de cette crise et aux réponses qui doivent y être apportées, des deux côtés de la Méditerranée.

Une accumulation de signes négatifs

Cette crispation subite et rapide des relations franco-marocaines – habituellement excellentes – ferait en effet suite à des dysfonctionnements présumés de l’appareil judiciaire français. Selon Rabat, ces dysfonctionnements auraient conduit à signifier une convocation de justice à un haut responsable sécuritaire marocain – le patron du renseignement intérieur – d’une manière précipitée et surdimensionnée, au mépris des canaux diplomatiques.

S’est ajouté à cet incident des propos rapportés par l’acteur espagnol Javier Bardem, soutien du front révolutionnaire "Polisario" qui s’oppose au Maroc sur la question du Sahara occidental.

Bardem a ainsi affirmé par voie de presse que l’ambassadeur de France auprès de l’ONU, Gérard Arau, lui aurait confié lors d’une entrevue privée en 2011 que le Maroc serait "une maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n’est pas particulièrement amoureux, mais qu’on doit défendre". Le diplomate Français, qui réfute ces propos, a depuis manifesté sa volonté d’attaquer en diffamation l’acteur.

Côté marocain, ce n’est pas tant le principe d’une convocation judiciaire d’un haut responsable qui a choqué car la justice française doit évidemment faire son travail de manière indépendante. Ce n’est pas non plus le fait supposé qu’un diplomate français aie tenu des propos légers – certains diront grivois – à propos d’un pays considéré comme un partenaire stratégique sur les plans économiques, commerciaux et sécuritaires.

En réalité, les sentiments des marocains ont été heurtés par une accumulation de signes dont ces deux événements ne constituent que la crête.

La doctrine économique française en question

Depuis trois ou quatre ans, le Maroc est souvent mis à l’index comme étant une terre d’accueil pour les entreprises françaises qui délocalisent. Les centres d’appels marocains – qui permettent notamment aux consommateurs français d’obtenir de la relation client à bas coût – ont ainsi été régulièrement mis à l’index, accusés à eux seuls de creuser le chômage en France.

L’usine Renault-Dacia de Tanger, qui a contribué au redressement de la marque, a quant à elle été attaquée très violemment lors de son inauguration début 2012 et accusée de "voler des emplois aux Français".

Pourtant, les Marocains ont eu beau jeu au cours de la période écoulée de rappeler que 38 des entreprises du CAC 40 sont présentes au Maroc et que la balance commerciale entre les deux pays est très largement faveur de l’Hexagone.

Le Maroc est de surcroit un marché d’export de premier plan et la France y a vendu lors des cinq dernières années les tramways de Rabat et Casablanca, un TGV liant Tanger à Marrakech, ainsi qu’une frégate construite par DCNS sans parler des milliers de biens manufacturés français qui représentant plusieurs milliards d’euros par an.

Cette nécessaire pédagogie des intérêts économiques français au Maroc, et pourquoi pas, en Afrique, implique qu’un aggiornamento de la doctrine qui prévaut actuellement en France soit effectuée.

Le Sahara occidental, un "faux" problème

Paris doit en effet passer du concept de "Made in France", qui a cours en ce moment, à celui de "French Quality", qui a permis à l’Allemagne d’imaginer une nouvelle relation économique centre-périphérie avec les pays de l’ancien bloc de l’est, créant ainsi une vaste zone de prospérité commune.

Au delà de l’économie, c’est sur le plan politique qu’il convient de rappeler à la lumière de cette crise que la France est effectivement un soutien important du Maroc dans la résolution du conflit au Sahara occidental, dont le processus de règlement est confié à l’ONU.

Malgré la pression médiatique croissante à laquelle elle est soumise, Paris n’a pas à rougir du soutien apporté à Rabat dans le dossier du Sahara occidental car il s’agit là d’une cause juste, en adéquation avec les principes de respect des droits de l’homme et des libertés individuelles, auxquels la France est fortement attachée.

Cette cause juste est portée par un pays, le Maroc, qui a soumis en 2007 une proposition de large autonomie pour ce territoire que l’ONU a jugée "sérieuse et crédible" dans de multiples résolutions.

La France a d’autant moins à rougir de sa position qu’elle coïncide avec les aspirations de 30 millions de marocains qui souhaitent préserver l’unité nationale, et lutter contre le séparatisme qui fait planer le risque de balkanisation d’une région en proie à l’instabilité.

Le front Polisario et les quelques dizaines de milliers de séparatistes sahraouis qui revendiquent plus de la moitié du territoire marocain ont quant à eux naturellement le droit de faire valoir leur point de vue, bien qu’abrités et financés par l’Algérie. Ces adversaires politiques du Maroc, toutefois, ne sauraient imposer leur vision à la France ni à la communauté internationale.

Réinventer le présent sans en insulter l’avenir

De manière globale, il faut voir dans cette brutale cristallisation bilatérale les signes que la relation entre la France et le Maroc est arrivée à un stade où une clarification rapide s’impose, au risque de heurter les intérêts réciproques.

Un nouveau partenariat tridimensionnel visant à l’intensification des échanges avec l’Afrique doit en effet être mis sur pied sans attendre, afin que les deux pays oeuvrent à la création d’un vaste espace économique et commercial euro-africain plus fluide, plus efficace et plus solidaire.

À cet égard, les chefs d’État des deux pays, François Hollande et Mohammed VI, on tous deux donné des gages de leur fort engagement africain et ont montré les zones de convergence de leurs actions. Tous ceux qui estiment que la relation franco-marocaine doit être préservée dans l’esprit mais réinventée dans la manière doivent donc se mettre au travail pour donner, sans attendre, une traduction opérationnelle à cette vision commune.

Ce ne sera pas là chose aisée, car les réflexes habituels ainsi que la tentation de revenir au "business as usual" une fois la crise passée font planer le risque que la relation s’installe dans une zone de confort qui doit impérativement être dépassée.

Ce chemin exigeant, avec tout ce qu’il implique de discussions désagréables mais franches, doit désormais être emprunté, afin de réinventer le présent de l’axe Paris-Rabat sans en insulter l’avenir.

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