Edwy Plenel: «Sarkozy hystérise le débat politique»

Le patron du site d’informations en ligne Mediapart Edwy Plenel est l’invité du Grand Oral Le Soir/La Première. Entretien vidéo.

C’est l’homme et le média de la semaine. Edwy Plenel, journaliste français et cofondateur de Mediapart, est à l’origine via son site d’informations en ligne, des révélations sur le contenu des écoutes des conversations de l’ex-président français Nicolas Sarkozy, forçant ce dernier à sortir vendredi de son silence dans une longue lettre publiée dans Le Figaro.

Ces scandales révélés ne mettent-ils pas plus à mal la démocratie qu’ils ne la soignent ? Mediapart et l’Extrême droite de Marine Le Pen ne sont-ils pas les seuls à finalement bénéficier de ces révélations ? Edwy Plenel explique au contraire en quoi selon lui, ces publications sont indispensables et révèlent un dysfonctionnement majeur et très grave de la République française. C’est pourquoi dans son livre « Dire Non » (Editions Don Quichotte), il en appelle à un sursaut, à prendre son sort en main, et à croire en cette France qui existe mais souffre d’une crise de représentation…


Le Grand Oral La Première-Le Soir avec Edwy Plenel par Le_Soir

Sur l’affaire des écoutes de Sarkozy

Edwy Plenel dénonce la réponse donnée par Sarkozy, par écrit, aux accusations multiples dont il est l’objet : « C’est à la fois un immense aveu de faiblesse et une grave faute politique. Vous vous rendez compte, au début de cette lettre, et cela n’a pas été assez souligné, il s’en prend au Conseil constitutionnel de la république française. Dont, je rappelle qu’il est, hélas – parce que c’est une disposition qu’on pourrait critiquer – toujours membre de droit en tant que président de la République. Et, il critique cette institution, pourquoi ? Parce qu’elle a, en effet, annulé ses comptes de campagne parce qu’ils étaient faux, parce qu’ils ne tombaient pas juste. Donc, alors qu’il y a un financement public, Monsieur Sarkozy a été sanctionné par l’institution dont il est membre. Et même ça, il en prend à témoin les Français, comme s’il s’agissait d’un acharnement alors que nous savons – c’est l’affaire Karachi sur la campagne Balladur, ce sont les soupçons sur la campagne 2007 et cette affaire de financements libyens – qu’il y a derrière ça un immense problème ».

Sur les soupçons de financement libyen de la campagne 2007 de Sarkozy

Sarkozy souvent accusé, mais pour l’instant jamais inculpé ? Ne s’acharne-t-on pas sans preuves ?

Edwy Plenel demande aux journalistes belges de ne pas tomber dans le travers de leurs collègues français, qui pour l’affaire Cahuzac par exemple, n’ont cessé de passer leur temps à contester la validité des preuves et non à chercher l’information. « L’affaire libyenne, c’est une enquête commencée à l’été 2011 par Mediapart, ce sont les documents Takieddine, ce sont des témoignages libyens, ce sont des documents libyens, ce sont maintenant des témoignages dans le cabinet du juge d’instruction. Le dossier de Mediapart sur cette affaire ne comporte pas moins d’une petite soixantaine d’articles. »

Avez-vous la certitude qu’il y a bien eu un financement de la campagne de Nicolas Sarkozy par l’entourage proche de Kadhafi ? Financement comme pour l’affaire Cahuzac, imaginez-vous pouvoir un jour sortir les preuves qui vont attester définitivement de cela ?

« Nous sommes aussi sûrs de notre fait que dans l’affaire Cahuzac. Et notre formulation est très précise : il y a eu, avant 2007, des financements de la dictature libyenne « à l’occasion de la campagne électorale ». Ecoutez bien ce mot « à l’occasion de la campagne électorale ».

A vous entendre et à entendre la presse française, on a l’impression qu’il y a un système Sarkozy ?

« Nicolas Sarkozy a été maire de Neuilly, le lieu où il y a la plus grande concentration d’impôts sur les grandes fortunes, une sorte de ghetto des super riches en France. Eh bien, monsieur Nicolas Sarkozy, son système clanique, son système personnel s’est totalement démultiplié à partir du moment où il était à la présidence. Vous savez les documents Takieddine, qui sont le point de départ de beaucoup de nos enquêtes – sur l’affaire Karachi, et sur l’affaire libyenne –, vous retrouvez tous les protagonistes. Vous trouvez monsieur Hortefeux, vous trouvez monsieur Guéant ; vous trouvez un personnage oublié, Monsieur Thierry Gaubert. Donc, en effet, il y a eu un système qui est un système au cœur du département le plus riche de France, Les Hauts-de-Seine, où il y a beaucoup de grandes sociétés qui y ont leur siège. Et, quand il est arrivé à la présidence, je dirais à la différence de Monsieur Chirac, qui s’est peut-être assagi (entre la Mairie de Paris et la présidence de la République, ndlr), – du coup ses opposants à droite l’ont qualifié de roi fainéant – mais. dans le cadre de monsieur Sarkozy, c’est l’inverse. Ça s’est démultiplié. »

Sur l’état de la France

Dans son livre « Dire non », Plenel fustige aussi bien la France de Sarkozy que celle de Hollande. Il y décrit la France d’aujourd’hui « comme un Titanic dont l’équipage irait consciemment vers l’iceberg mais ne trouvant rien pour l’empêcher… » Il y évoque une sorte de plaisir de « détester ensemble » juifs, musulmans, arabes, noirs, roms, homosexuels, femmes. Le portrait de cette France est un bilan extrêmement dur pour la démocratie.

Quelle alternative démocratique pour le journaliste ? Comment susciter un sentiment de révolte collective, qui aujourd’hui s’exprime plutôt par un vote pour l’extrême droite ou un vote blanc ?

« Vous avez une grande crise de la représentation politique, je le dis dès les premières pages de ce livre. La république ce n’est pas l’immobilité, c’est la création, c’est l’invention. On ne peut pas être dans cette fixité, cette peur, cette régression. Et donc, moi, j’appelle à ça. J’ai donné un exemple tunisien mais vous en avez un autre sous nos yeux, c’est quand même l’Euromaïdan, c’est l’Ukraine. Ils savaient ce à quoi ils disaient non. Puis après, bon, bien sûr que c’est difficile. Excusez-moi mais sur l’Euromaïdan, il y avait des forces régressives qui protestaient aussi. Vous savez, les révoltes, elles sont parfois confuses. Mais l’important, c’est de s’ébranler ensemble. Nous sommes dans un moment de transition où nous ne pouvons pas continuer à croire que la simple démocratie représentative, où on délègue son pouvoir en le perdant en même temps qu’on le délègue, est l’avenir. Nous devons inventer autre chose. Et, nous devons à la fois inventer ceci et par ailleurs – c’est au cœur quand même des batailles sur la corruption, sur la fraude et l’évasion fiscale –, nous devons mener un combat féroce sur les inégalités ».

Plenel cite cette phrase de Gramsci, pour qualifier aussi la période actuelle : « Une crise c’est un moment où l’ancien meurt et où le nouveau ne peut pas naître. Pendant cet interrègne, naissent les phénomènes morbides les plus variés ». C’est à un sursaut s’opposant à l’émergence de ces « monstres » que le journaliste appelle. Prendre son sort en main ? Il donne son exemple, avec la création de Mediapart, face à une presse française en perdition. Le site d’information fêtait mercredi ses 6 ans, avec 80.000 abonnés, 50 journalistes et deux années bénéficiaires. Sa recette : les révélations qui attirent l’internaute – mais il insiste sur le fait que Mediapart est un quotidien comme Le Monde et Libération avec bien plus à lire que les seules « scoops » –, et une indépendance farouche. Il conclut : « Un bon journaliste doit avoir mauvaise réputation »

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