Au Maroc, Miguel, Marina, Carlotta ou Juan Carlos ont décidé de refaire leur vie

Restaurateurs, cadres, retraités, chômeurs, maçons… ils sont des milliers à traverser la Méditerranée pour fuir l’Espagne en crise et chercher meilleure fortune au Maroc. Miguel, Marina, Carlotta ou Juan Carlos ont décidé de quitter leur pays plombé par le chômage. Mais au lieu de prendre, comme beaucoup de leurs concitoyens, la direction du Nord, ils ont opté pour le Sud.

Carlotta Lopez, une Galicienne de 32 ans, est arrivée à Tanger (Maroc) en 2012. " Avant, je regardais vers la France, les Pays-Bas, je ne m’attendais pas à venir en Afrique du Nord ", dit-elle. Une annonce sur Internet l’a fait changer d’avis. Aujourd’hui, elle est cadre dans une PME espagnole installée à Tanger, qui loue des chariots élévateurs. " Je gagne 1 200 euros par mois, c’est bien plus que ce que je pouvais espérer en Espagne, mais je suis inquiète car j’ai peur que la croissance au Maroc ne dure pas ", s’interroge Carlotta, qui aimerait fonder ici une famille.

" C’est difficile pour des Espagnols de dire qu’ils cherchent du travail dans un pays arabe ", avoue Marina, une Madrilène de 49 ans. " Je fais des allers et retours. Ce n’est pas autorisé, mais je veux pouvoir profiter un jour de ma pension de retraite : j’ai cotisé pendant vingt-deux ans en Espagne. " Elle vivait chez sa soeur, après avoir perdu son emploi dans un laboratoire d’analyses médicales. Elle a rejoint en avril la terre de son enfance. Née à Tanger où sa mère réside encore, Marina se rappelle : " Après plusieurs boulots, dont professeure de guitare classique, j’ai été au chômage pendant des années et mes allocations sont tombées à quelques centaines d’euros ", raconte-t-elle dans les couloirs de l’Institut Cervantes de Tanger, qui dépend du ministère espagnol de la culture, où elle croise de nombreux compatriotes.

Avant la crise de 2009, le Maroc accueillait officiellement près de 3 000 migrants espagnols. En 2011, ils étaient quatre fois plus nombreux. Le phénomène est largement relayé. Un reportage consacré au sujet a été diffusé en mars sur la chaîne marocaine 2M. Le même mois, le site Tanjanews.com a évoqué les " mendiants espagnols ", qui font de la musique dans les rues de Tanger. Les réactions ont été vives sur le Net.

Maria Jesus Herrera, du bureau espagnol de l’Organisation internationale pour les migrations, relativise : " La migration espagnole se fait davantage vers l’Amérique latine, où il n’y a pas de barrière linguistique. Ou vers la France et l’Allemagne. Mais le Maroc n’est qu’à treize kilomètres et des PME espagnoles, c’est une tradition, pensent à venir s’y installer. "

" Pas de futur " en Espagne

Pere Navarro, conseiller social à l’ambassade d’Espagne à Rabat, insiste aussi sur les nouvelles implantations d’entreprises. Une image plus valorisante à défendre pour cet officiel que d’évoquer celle de chômeurs ou de salariés fuyant un pays en crise. L’ambassade évoque le chiffre de 10 000 Espagnols enregistrés auprès de ses services. Mais quid de tous ceux qui ne se déclarent pas ?

Miguel Martinez, 52 ans, n’avait pas vraiment de projet quand il a débarqué, fin février, avec sa vieille voiture et sa valise à Rabat. Son idée d’ouvrir un restaurant à une vingtaine de kilomètres de Barcelone a avorté après une déconvenue financière. Miguel a dû se résoudre à quitter son pays et sa fille de seize ans, qui lui reproche d’" être loin ". Chef dans un restaurant de luxe, Les Trois Palmiers, qui domine l’Atlantique au sud de Rabat, il explique simplement que " travailler en Espagne est devenu impossible ". Il se dit plus heureux au Maroc.

Un constat que partage Juan Carlos Sevilla, 44 ans, qui a ouvert son restaurant à Tanger en 2012. Originaire de Valence, l’homme est robuste. En Espagne, il n’était pas du tout restaurateur mais chef de chantier dans une cimenterie. Crise de l’immobilier oblige, il a quitté l’Espagne pour ouvrir un parc zoologique. Trop de tracas. Il s’est rabattu sur la paella. " La vie est insupportable chez nous, raconte Juan Carlos.Même mon fils qui a 16 ans veut arrêter ses études et venir me rejoindre, il dit qu’il n’a pas de futur. "

Enrique Martinez reprend à son compte ce jugement sans appel. La mine estudiantine, le jeune homme de 28 ans a pointé plusieurs mois au chômage, malgré sa formation de dessinateur industriel. En octobre 2012, il rejoint à Tanger son père, professeur d’espagnol, et donne quelques cours de mathématiques et de dessin. De quoi lui assurer 230 euros par mois. " Je ne désespère pas de retourner dans quelques années en Espagne ", avoue-t-il. Mais pour lui, la crise est loin d’être terminée. " Il s’agit de la faillite du modèle économique des pays occidentaux ", estime-t-il.

" Beaucoup viennent faire un premier repérage ", explique Alberto Gomez Font, de l’Institut Cervantes de Rabat. Ils échangent tous les mercredis leurs tuyaux dans un restaurant de la capitale marocaine. " Il y a des gens qui cherchent un peu partout, estime Barnabe Lopez, universitaire espagnol vivant à Tanger. Mais la vie ici n’est pas aussi bon marché qu’on pourrait le croire et le chômage existe aussi au Maroc… "

Comme chaque année au printemps, des centaines de Marocaines ont traversé le détroit pour faire la campagne de fraises à Huelva en Andalousie. Les migrations se croisent. " A quelque chose, malheur est bon, résume Abdellatif Mâzouz, le ministre des Marocains installés à l’étranger. Notre pays est ouvert : il doit tirer profit de ces nouvelles opportunités. "

Rémi Barroux

Une mobilité accrue au sein de l’Europe

Plus de migrants venant du sud du continent Entre 2009 et 2011, le nombre de migrants issus du sud de l’Europe a progressé de 45 %, selon un rapport de l’OCDE rendu public le 13 juin.

L’Est de l’Europe aussi La Pologne, la Roumanie et la Chine sont les trois premiers pays d’origine des migrations vers l’Europe.

L’Allemagne, destination importante Dans ce pays, entre 2011 et 2012, le nombre d’immigrés grecs a progressé de 73 %, celui d’Espagnols et de Portugais de 50 %, ce 35 % d’Italiens.

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