"Coup d’État" des juges, "assassinat politique", "persécution": depuis cet été, Marine Le Pen a multiplié les attaques contre cette confiscation. Une décision "inadmissible" qui "n’est absolument pas justifiée", a répété dimanche la présidente du RN sur Europe 1, dans une nouvelle charge contre l’institution judiciaire.
Le RN avait immédiatement saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel pour contrer cette ordonnance de saisie, signée le 28 juin par les juges d’instruction financiers Renaud Van Ruymbeke et Claire Thépaut.
Le parquet général a demandé la confirmation de cette mesure, inédite pour un parti politique, mais quelle que soit l’issue mercredi, l’épreuve de force devrait probablement aller jusqu’à la Cour de cassation.
Concrètement, cette mesure conservatoire a privé le RN d’une partie de l’avance qu’il devait percevoir début juillet sur l’aide publique attribuée selon ses résultats aux législatives, soit une manne de 4,5 millions d’euros par an.
Depuis cet été, le parti agite la menace d’un dépôt de bilan et a lancé un appel aux dons pour "payer les salaires", qui lui a permis à ce jour de récolter plus de 600.000 euros, selon Marine Le Pen. Mise en examen dans ce dossier pour "complicité d’abus de confiance", tout comme le parti, elle doit être réentendue en octobre par les juges.
Pourquoi cette saisie ? Dans leur décision dont a eu connaissance l’AFP, les magistrats avançaient "le risque" que le parti, "très endetté", ne s’en serve pour rembourser ses emprunts et ne soit plus en mesure de payer les amendes ainsi que les dommages et intérêts en cas de condamnation à un procès.
A huit mois des européennes, l’affaire empoisonne le parti, déjà renvoyé en procès pour des soupçons d’escroquerie aux frais de l’État lors des législatives de 2012.
A l’instruction depuis 2016, le dossier porte sur un possible "système" organisé par le parti et sa présidente – ce qu’ils contestent – pour financer des salaires de ses permanents sur les deniers de l’Union européenne, en détournant les enveloppes des eurodéputés réservées à l’emploi d’assistants parlementaires.
pas insolvable
Ouverte en 2015 après un signalement du Parlement européen, l’enquête repose en partie sur le rapport de l’Olaf, le gendarme antifraude de l’UE, et sur les "nombreux indices" réunis par les enquêteurs français. Parmi lesquels, "l’absence totale ou quasi-totale de travail d’assistants parlementaires", relèvent les magistrats dans leur ordonnance.
A leurs yeux, le Front national a organisé ce système de détournement "de manière concertée et délibérée". Le préjudice, contesté par le parti, est évalué par le Parlement européen à 6,8 millions d’euros entre 2009 et 2017.
Pour calculer le montant de la saisie, soit 2,04 millions d’euros, les juges ont retenu, à ce stade, les salaires indument versés à neuf assistants pour lesquels il existe des "indices suffisants".
En face, le parti dénonce une mesure sans fondement légal et contraire au pluralisme démocratique consacré par la Constitution. "La survie même du Rassemblement national, premier parti d’opposition de France, est donc mise en péril", estime l’avocat du RN David Dassa-Le Deist dans son mémoire transmis à la cour.
Il aurait fallu selon lui prouver que l’argent saisi soit le produit de la fraude, or il n’y aucun lien possible entre la dotation attribuée par le ministère de l’Intérieur et l’affaire des eurodéputés, soutient-il. Quant au risque d’"insolvabilité", il est écarté, le parti étant assuré de recevoir plus de 4 millions d’euros d’aides publiques annuelles pendant la mandature.
Le RN fait valoir aussi que le Parlement européen a déjà lancé des procédures pour récupérer les sommes liées à des emplois d’assistants litigieux.
L’information judiciaire cible 17 députés et les contrats d’une quarantaine d’assistants parlementaires. Les juges envisagent désormais d’alourdir la quinzaine de mises en examen déjà ordonnées, en les requalifiant en "détournements de fonds publics".