Frédéric Pommier, porte-parole des « invisibles » des Ehpad

Lorsqu’il consacre en décembre 2017 une chronique sur France Inter, puis un livre, "Suzanne", à sa grand-mère, Frédéric Pommier ne se doute pas qu’il va se faire le porte-parole des "populations invisibles" des Ehpad.

"Le temps que je regagne mon bureau, j’avais déjà des mails. J’ai reçu des témoignages par centaines, et sur les réseaux sociaux par milliers", raconte-t-il à l’AFP.

Dans sa chronique, Frédéric Pommier évoque la nourriture infâme, l’unique douche par semaine, les humiliations, l’infantilisation.

"Ça et là, on maltraite nos vieux dans une indifférence quasi générale. C’est un scandale d’Etat (…) Depuis qu’elle a quitté son domicile, elle a perdu près de 20 kilos et moi, quelques grammes d’humour, parce que cette vieille dame de 95 ans, c’est ma grand-mère", conclut sa chronique.

En octobre, il publie "Suzanne": "Ce qui m’intéressait, c’était de raconter l’histoire d’une femme et pas de faire un livre sur les Ehpad. Dans ces établissements, on a tendance à oublier qu’ils ont eu une vie avant, des amours, un corps, qui court vite, qui a du plaisir parfois".

"On me parle des repas immangeables et quand on sait que certains cuisiniers n’ont que 4,50 euros pour faire 4 repas dans la journée, ça peut difficilement être bon. On me raconte les toilettes que le personnel n’a pas le temps de faire en entier, les douches, Suzanne c’était une fois par semaine, dans certains endroits c’est une toutes les deux semaines ou une fois par mois. On me parle des animations. Il y a des endroits où il se passe des choses formidables, mais dans d’autres, à part l’atelier épluchage de légumes et pliage de serviettes il n’y a pas grand chose".

Frédéric Pommier ne jette pas la pierre aux soignants: "ils n’en peuvent plus. Il y a un problème de nombre, de qualification, de salaire, de reconnaissance."

"Maltraitance silencieuse"

Il y a un mois et demi, il est invité dans un lycée qui forme aux métiers du médico-social. "Là, j’ai la mâchoire qui se décroche". L’un des élèves "raconte les 24 plateaux repas pour 30 résidents, qu’il faut partager. Un autre dit qu’on lui a conseillé d’attacher les personnes âgées aux toilettes avec les draps de lit, comme ça on n’est pas obligés de revenir dans l’immédiat".

Une jeune fille de 15 ans doit faire une toilette mortuaire avec l’aide soignante, et s’étonne que le personnel se partage les objets de la personne décédée. "Mais ce qui m’a le plus choqué c’est quand les profs ont expliqué qu’ils conseillaient à ces élèves de se taire, sinon ils n’auraient plus de stage".

Le journaliste reçoit aussi des témoignages de soignants malheureux de rendre les résidents incontinents en les équipant de couches faute de temps pour les accompagner aux toilettes. Ce qui provoque des escarres.

"C’est de la maltraitance silencieuse, une accumulation de petites choses du quotidien qui font que certains meurent très vite parce qu’ils ne supportent pas et que d’autres dépriment, il y a beaucoup de gens dépressifs".

Pourtant, il y a des établissements bien-traitants, des personnels "admirables". "Dans les établissements labellisés Humanitude – il n’y en a que 15 – ils arrivent à respecter le rythme des résidents, à faire mieux avec un personnel bien formé".

"C’est frapper à la porte, regarder dans les yeux, aller chercher le regard, apprendre à les lever sans leur faire mal et se faire mal, à les laver … dans ces établissement labellisés il y a moins de médicaments, il y a moins d’escarres, il y a moins d’arrêts maladies, le personnel se porte mieux", dit-il.

Frédéric Pommier évoque "une détresse essentiellement féminine": "les résidents sont essentiellement des résidentes, les soignants sont des femmes et ce sont avant tout les filles qui accompagnent les parents vieillissants".

"On est là devant une discrimination féminine" et "si c’étaient majoritairement des hommes en résidence, soignants et accompagnants, la situation des établissements d’hébergement ne serait pas celle-ci."

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