Espion russe empoisonné en Angleterre : un agent innervant identifié

Sergueï Skripal et sa fille Youlia ont été retrouvés, dimanche, inconscients sur un banc. Ils sont toujours hospitalisés, dans un état « critique ».

C’est une affaire digne de la guerre froide, qui suscite de nouvelles tensions entre Londres et Moscou. La police britannique a identifié l’agent innervant utilisé dans la « tentative de meurtre » de l’ex-agent double russe Sergueï Skripal et sa fille, accélérant son enquête. Sergueï Skripal, 66 ans, et sa fille Youlia, 33 ans, victimes d’une « tentative de meurtre par l’administration d’un agent innervant », ont été « visés spécifiquement », a déclaré le chef de la police antiterroriste, Mark Rowley, lors d’un point de presse à Londres. Des experts ont identifié l’agent innervant, ce qui « va aider à identifier la source », a ajouté le responsable, refusant toutefois de dévoiler sa nature. « Notre rôle est désormais d’établir qui est derrière tout ça et pourquoi ils ont commis cet acte », a-t-il dit.

Sergueï Skripal et Youlia avaient été retrouvés dimanche après-midi inconscients, sans blessure visible, sur un banc près du centre commercial The Maltings à Salisbury (sud de l’Angleterre), puis hospitalisés. Ils étaient toujours mercredi dans un état « critique », a indiqué le chef de l’antiterrorisme, annonçant également qu’un policier, l’un des premiers sur place, avait été hospitalisé dans un « état grave ». Les trois sont dans le coma, selon la chaîne britannique de télévision Sky News.

État extrêmement critique

Selon le Times de jeudi, citant un haut fonctionnaire non identifié, l’état de Sergueï Skripal était jugé extrêmement critique. « L’impression est qu’il ne va pas s’en sortir », tandis que, s’agissant de sa fille, « ils (les médecins) ont espoir qu’elle puisse s’en remettre », a déclaré la source du quotidien. D’autres secouristes ayant traité les Skripal ont eu besoin de soins médicaux, sans toutefois être hospitalisés. Selon le Times, la police tente de clarifier si la fille de Skripal, qui est arrivée en Grande-Bretagne en provenance de Moscou la semaine dernière en apportant des « cadeaux offerts par des amis », a introduit elle-même de cette manière l’agent innervant dans le pays.

Le journal affirme que les enquêteurs se penchent également sur le décès en 2012 de l’épouse de Skripal des suites d’un cancer, de même que sur la mort de son fils à l’âge de 44 ans, l’année dernière à Saint-Pétersbourg, en raison d’une maladie du foie. Un agent innervant est une substance chimique qui agit sur le système nerveux. Parmi les plus connus figurent le sarin, le tabun, ou encore l’agent VX, utilisé pour assassiner le demi-frère de Kim Jong-un en février 2017. Étant donné la dangerosité de ces substances, le responsable de la police s’est voulu rassurant, affirmant ne pas penser qu’il y ait « le moindre risque pour la population ». Signe de l’importance de l’affaire, qualifiée « d’incident majeur » par Mark Rowley, le gouvernement britannique a tenu mercredi une réunion d’urgence, et des moyens substantiels sont mobilisés. « Nous avons des centaines d’enquêteurs, de spécialistes, d’analystes et d’agents du renseignement qui travaillent 24 heures sur 24 sur ce cas, en examinant, par exemple, des centaines d’heures de vidéosurveillance », a détaillé Scotland Yard.

Tensions diplomatiques

Sur le plan diplomatique, l’affaire Skripal continuait mercredi de provoquer des remous entre Londres et Moscou. « Cette histoire a dès le début commencé à être utilisée pour doper la campagne anti-russe dans les médias », a dénoncé la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova. Bien que la police antiterroriste ait affirmé étudier toutes les pistes, le ministre des Affaires étrangères Boris Johnson a pointé du doigt Moscou dès mardi. Devant les députés, il a estimé que cette affaire faisait écho à l’empoisonnement au polonium 210 d’Alexandre Litvinenko, un ancien agent des services secrets russes, à Londres en 2006. Une enquête britannique avait mis en cause la responsabilité de Moscou. « Si l’enquête démontre la responsabilité d’un État, le gouvernement répondra de façon appropriée et ferme », a prévenu Boris Johnson devant les députés, avant de qualifier la Russie de « force néfaste et perturbatrice dans bien des aspects ». Dénonçant ces propos, Maria Zakharova a estimé que « cette histoire va finir comme d’habitude : d’abord, des accusations sans fondement, puis ils garderont leurs secrets et ni les journalistes, ni la population, ni les politiques ne sauront ce qui s’est réellement passé ».

À titre d’avertissement, la Première ministre britannique Theresa May a indiqué que son gouvernement pourrait considérer un éventuel boycott diplomatique de la prochaine Coupe du monde de football en Russie. « En fonction de ce qui ressort » de l’enquête, « il sera peut-être approprié que le gouvernement examine si les ministres et autres responsables doivent assister à la Coupe du monde », a-t-elle déclaré. La presse britannique, citant des sources proches de la maison royale, a rapporté que le prince William, président de la Fédération anglaise de football, ne se rendra pas en Russie pour cet événement sportif.

À Salisbury, la police continuait son enquête, reconstituant les déplacements de Sergueï Skripal et de sa fille. Ces derniers auraient déjeuné dans un restaurant de l’enseigne de pizzeria Zizzi, et auraient pris un verre au pub The Mill, qui demeuraient fermés au public. Ancien colonel du service de renseignement de l’armée russe, Sergueï Skripal avait été accusé de « haute trahison » pour avoir vendu des informations au renseignement britannique, et condamné en 2006 à treize ans de prison. En 2010, il avait fait l’objet d’un échange de prisonniers organisé entre Moscou, Londres et Washington, et s’était installé en Angleterre.

Avec afp

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