Le président algérien Tebboune entre sorties fantaisistes et fake news
Tout au début, le style Tebboune, celui du président qui peut livrer le plus gros mensonge sans sourciller, avait plu et même séduit. L’homme parlait comme le commun des Algériens, avec ses fanfaronnades assumées et son agressivité apparente. M. Tout le monde Algérie se retrouvait dans sa logorrhée verbale, s’identifiait à sa tendance naturelle à l’exagération. C’était le début d’une présidence sans complexe, populiste, démagogique qui rompait ouvertement avec la présidence engoncée de Abdelaziz Bouteflika. Même si durant cette période, il y avait de nombreux ministres et premiers ministres comme Abdelmalek Sellal qui étaient de véritables champions dans le domaine très peu disputé du comique politique involontaire.
Aujourd’hui, le charme du président Tebboune est en train de rompre. Alors qu’il était regardé il y a peu avec une forme de compréhension dans toutes les digressions médiatiques qu’il provoque, les choses semblent évoluer. Le mensonge éhonté, comme celui d’affirmer sans rire que l’Algérie est la première puissance dans le domaine du dessalement d’eau, ne passe plus. Les détracteurs de Tebboune sont impitoyables. Soit ce sont des mensonges assumés, et c’est très critiquable. Soit c’est par ignorance crasse, et c’est doublement impardonnable.
bdelmadjid Tebboune n’est pas hérétique uniquement au niveau de son verbe politique. Il l’est aussi au niveau de ses choix et de ses décisions. Récemment, il a ordonné l’arrestation du grand écrivain franco-algérien Boualem Sansal sous prétexte que ce dernier avait rappelé quelques vérités historiques sur l’appartenance de pans entiers de l’actuel ouest algérien au royaume du Maroc et que c’est le découpage colonial français qui avait produit cet arbitraire géographique. Colère froide à Paris qui avait pris l’arrestation de Sansal comme un défi lancé par Alger à son égard. Le message d’Emmanuel Macron fut silencieux mais sans pitié. Sansal doit être libéré le plus tôt possible.
Et c’est un message que le régime algérien a bien saisi. Après avoir lourdement communiqué sur cette arrestation et sa charge politique, après avoir puisé dans les ressorts d’une propagande nationaliste des plus simplistes, le voilà en train de chercher les meilleurs moyens de le libérer sans donner cette nette impression d’avoir cédé devant les menaces françaises. Le régime algérien a trouvé l’astuce d’une amnistie de plusieurs centaines de prisonniers algériens et d’y inclure Boualem Sansal. Cette mystification ne trompe personne. Tebboune a cédé à Emmanuel Macron et s’apprête, comme Paris l’avait exigé, à libérer le grand écrivain Sansal.
D’ailleurs, cette amnistie soudaine n’est pas le fruit du hasard. Elle vient comme une réponse à une grande campagne de protestation des citoyens algériens qui ont voulu faire passer le message de leurs colères et de leurs frustrations à travers le hashtag « Manich Radi » (Je ne suis pas satisfait). Dans son premier réflexe pavlovien, le régime algérien avait accusé le Maroc et Israël d’être derrière ce slogan en vue de déstabiliser l’Algérie. Ces accusations ont été vite démenties par la réalité, qui a vu de nombreux Algériens adopter ce slogan comme un cri de ralliement.
Craignant que cette campagne civile puisse être le noyau d’une renaissance du Hirak, le régime algérien a procédé à de multiples arrestations aveugles, espérant ainsi éteindre les braises de la colère populaire. Selon de nombreuses analyses, Abdelmadjid Tebboune a montré cette fois une telle fébrilité, une telle peur du retour d’un Hirak déstabilisant qu’il s’est donné lui-même la peine de répondre à ce slogan en affirmant dans un discours officiel que ce slogan ne parviendra pas à « dépecer » l’Algérie.
Les mots utilisés trahissent une angoisse existentielle. Et tout ce qui bouge au niveau de l’opinion algérienne est perçu comme une menace destructrice qu’il faut traiter avec la plus grande fermeté. Cette peur et cette psychorigidité du régime algérien pourraient être une des raisons de sa prochaine chute, même s’il a pris des mesures d’apaisement, perçues par beaucoup comme à la fois tardives et inutiles.