Lorsqu’elle croise des gamins qui lui rappellent la petite fille qu’elle était, ça lui déchire le coeur. Même si sa vie a bien changé. À 22 ans, étudiante en master Justice et procès à la prestigieuse université parisienne de La Sorbonne, elle est logée dans un studio du Crous et ambitionne de devenir magistrate. Joli pied de nez à tous ceux « qui pensent que les Roms ne sont que des voleurs de poules », selon ses termes. Et un parcours impensable pour une Rom née dans les faubourgs insalubres de Craiova, en Roumanie.
« Traitée de sale Rom, puis d’intello »
Anina reconnaît qu’elle doit beaucoup à sa famille, qui a toujours eu la volonté d’échapper au triste destin des Roms de l’Est, « considérés comme des sous-hommes ». Son grand-père tenait une épicerie, son père était comptable, sa mère aide-soignante dans un hôpital. Des emplois obtenus moyennant le fait d’avoir caché leurs origines, et perdus le jour où celles-ci ont été découvertes. « Des Roms qui réussissent, là-bas, il y en a. Mais on ne le sait pas, parce qu’ils se sont fondus dans la masse. »
Un jour de 1997, alors qu’Anina a 7 ans, elle s’entasse avec ses parents et ses deux soeurs dans la guimbarde d’un passeur. Direction la France, « pays des oranges et des mandarines ». Après de multiples péripéties, la famille atterrit par hasard à Bourg-en-Bresse, dans l’Ain. Elle vit d’abord dans une camionnette. Le père vend des journaux, la mère et les enfants mendient. Là, au marché, une passante qui deviendra une amie les guide vers des associations. De fil en aiguille, ils obtiennent un logement HLM, les parents arrivent peu ou prou à travailler.
Anina, qui a toujours aimé l’école, se montre très douée. « J’avais envie de montrer que bien que Roumaine, je n’étais pas forcément malhonnête. » Pas toujours facile. « On m’a parfois traitée de sale Rom. Ma mère me donnait des bonbons pour que je me fasse des copines. Elles prenaient les bonbons et elles partaient ! » Au collège, les choses changent. « J’avais toujours droit à des moqueries, mais parce qu’on me considérait comme une intello ! »
Aujourd’hui, après de brillantes études de droit à Bourg-en-Bresse, antenne de l’université de Lyon, la jeune femme veut plus que jamais devenir magistrate. Elle a « une très forte envie de combattre les injustices ». Elle a accepté de raconter son histoire dans un livre, parce qu’elle veut « faire changer le regard sur les Roms ». Pas parce qu’elle considère qu’il est exceptionnel qu’une Rom réussisse ! « Les Roms ont les mêmes capacités que tout le monde. »
Elle ne nie pas qu’il y ait des problèmes de délinquance. « Comme dans toutes les communautés ! Mais je ne sais pas d’où la police sort ses chiffres. Et c’est la misère qui pousse à ces comportements, ce n’est pas intrinsèque aux Roms. Il y a aussi des réseaux qui profitent des familles, exploitent des enfants. »
« J’ai de la chance »
Comprend-elle qu’il soit choquant de voir des petits, parfois en bas âge, exposés au froid et aux gaz d’échappement sur les trottoirs ? « Oui, mais leurs mères préfèrent souvent les garder avec elles plutôt que les laisser seuls dans un camp qui peut être détruit en leur absence. Les Roms adorent leurs enfants, ils ont un sens très fort de la famille. Ma mère ne m’a jamais forcée. »
Cet attachement à la famille est un des aspects de la culture rom qu’Anina veut garder. Avec la musique, la cuisine, la danse, le sens de la débrouille, la chasteté avant le mariage… Pour le reste, elle a fait la part des choses. « Le rôle de la femme est encore très traditionnel, elle reste au foyer, avec ses enfants. Moi j’ai de la chance, ma famille a une grande ouverture d’esprit et connaît la valeur des études. »
Ses parents ne la pousseront pas à se marier avec un Rom. « Ils préféreraient que j’épouse un Français. » Plusieurs de ses ami(e) s lui ont proposé le mariage. Parce que ce serait un moyen commode d’acquérir cette nationalité française que la République lui refuse. Mais qui est indispensable pour s’inscrire au concours de la magistrature. Anina préfère être loyale, et compte sur l’acceptation d’une nouvelle demande de régularisation…
Je suis Tzigane et je le reste, City, 201 pages, 14,90 €.
Florence PITARD.