SUR LES DROITS DE L’HOMME : «Je salue la levée de l’état d’urgence, mais j’avertis qu’il existe encore un cadre législatif restrictif qui viole la liberté d’opinion et d’expression. Il est important que le droit aux rassemblements pacifiques soit considéré comme une partie du droit à la liberté d’opinion et d’expression et, de ce fait, garanti et respecté par l’Etat», indique le rapporteur. Il relève que durant sa visite il a «pu observer plusieurs rassemblements pacifiques et une marche des étudiants, contenus par une présence massive des forces de l’ordre. Les marcheurs ont été violemment dispersés. J’ai reçu des témoignages que la violence a été utilisée contre les rassemblements pacifiques, notamment ceux tenus par les familles de disparus. Je presse et exhorte le gouvernement à ne plus utiliser la force contre des manifestants pacifiques et à reconnaître aux familles de disparus le droit de s’exprimer publiquement».
Frank La Rue recommande l’amendement de la loi 91-19 qui exige une demande d’autorisation préalable de huit jours avant tout rassemblement en introduisant le régime déclaratif. Ceci et d’inviter le gouvernement à garantir le droit d’association en rendant plus facile la procédure de création d’organisations non gouvernementales.
Evoquant la censure sur internet, le rapporteur a appelé à une libéralisation effective et à bannir toute forme de contrôle. Ceci et de relever une contradiction entre la loi contrôlant l’importation de livres et le fait qu’internet et les paraboles soient autorisés. «La censure exercée par le ministère de la Culture est une réminiscence du passé. La libre circulation des livres est un élément symbole de la liberté d’opinion et d’expression.» Dans sa conclusion générale, M. La Rue a tenu à souligner ceci : «J’ai souligné aux autorités algériennes que pour les jeunes générations, la logique du passé ne peut plus être utilisée pour freiner leurs espérances et limiter leurs libertés.» M. La Rue note que les jeunes aujourd’hui veulent et insistent sur leur désir d’avoir plus de liberté, de libre expression et d’opportunités de travail. «Permettez à la société d’atténuer la tension, à travers la liberté d’expression, y compris le droit au rassemblement pacifique.» Frank La Rue présentera son rapport de mission complet devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2012. Ce rapport, qui n’a pas de caractère contraignant, est tout de même une évaluation objective sur la situation d’un pays et a une valeur morale. Le rapporteur se propose de revenir pour évaluer la suite donnée à ses recommandations.
SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE ET D’EXPRESSION : le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, a dressé un rapport critique sur la situation de la presse et des libertés publiques en Algérie. « La diffamation doit être dépénalisée. C’est une priorité. Ce genre d’affaires doit être traité par des tribunaux civils »
A l’issue des entretiens qu’il a eu avec différents interlocuteurs du gouvernement et de la société civile, M. La Rue a émis une liste de recommandations en vue d’une réelle garantie de la liberté d’opinion et d’expression en Algérie. Tout en exprimant sa satisfaction suite à l’annonce d’une révision de la Constitution et de la dépénalisation du délit de presse, le rapporteur onusien relève que la liberté d’expression demeure l’otage d’une batterie de lois l’empêchant d’avoir une existence réelle et effective sur le terrain. Il exhorte les autorités algériennes à garantir une réelle ouverture en supprimant ces lois liberticides, notamment celles criminalisant l’acte de diffamation et celle imposant le silence sur ce qui s’est réellement passé durant les années de terreur. «La liberté d’expression est garantie par la Constitution, mais l’article 97 du code de l’information de 1990 menace d’amende et d’emprisonnement d’une année l’outrage à l’égard du président de la République. Aussi, l’amendement en 2001 du code pénal a élargi ces restrictions à d’autres fonctions de l’Etat», a souligné M. La Rue en notant que de nombreux journalistes ont été condamnés en vertu de cette loi pour diffamation parce qu’ils ont dénoncé des cas de corruption.
«Je considère cela comme un acte d’intimidation clair contre la presse, ce qui a pour effet de mener à l’autocensure», indique M. La Rue, en notant qu’il faut décriminaliser le délit de diffamation. De plus, dit-il, «les poursuites pour diffamation ne doivent pas être utilisées pour étouffer les critiques à l’encontre des institutions de l’Etat et de leur politique». Outre cette loi, le rapporteur onusien exprime son inquiétude au sujet de l’article 46 de la charte portant réconciliation nationale : «La réconciliation ne peut être réalisée en imposant le silence. La paix doit être basée sur le droit à la vérité et le droit pour les victimes d’avoir accès à la justice. Dans le cas des disparus, ce droit a une importance particulière». «J’ai mentionné, lors de ma rencontre avec le président de la Commission nationale des droits de l’homme, l’importance de travailler en toute indépendance». M. La Rue, qui a été témoin au cours de son séjour de l’interdiction des marches et manifestations à Alger, a exhorté les autorités algériennes à autoriser cette forme d’expression, qui est un droit.
Il a demandé aux autorités de lever les restrictions sur la publication de nouveaux journaux et a critiqué l’utilisation de la publicité publique comme moyen de pression sur les titres qui critiquent l’action gouvernementale. « La publicité doit être donnée selon les principes de l’équité et avec des standards clairs. Je recommande au Parlement de préparer une loi pour faire de l’ANEP (Agence nationale d’édition et de publicité) une institution réellement indépendante », a‑t‑il déclaré. Selon lui, l’État ne doit pas avoir le monopole exclusif sur les imprimeries. « L’approvisionnement en papier doit être diversifié pour ne permettre à personne d’avoir le contrôle sur cette activité », a‑t‑il relevé. Citant l’exemple des quotidiens El Watan et El Khabar, il a estimé que les redressements fiscaux sont également une forme de pression exercée sur les positions éditoriales. Les deux journaux ont subi ces derniers mois plusieurs redressements fiscaux estimés à plusieurs dizaines de millions de dinars.
Le rapport final sur la liberté d’opinion et d’expression en Algérie sera présenté, en 2012, au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Frank La Rue s’est félicité de la décision prise par l’Algérie de l’inviter « d’une manière volontaire » en tant que rapporteur spécial. « C’est une bonne pratique », a‑t‑il dit. Il a confié avoir travaillé en toute liberté en Algérie. Et il a annoncé que les rapporteurs spéciaux sur l’accès à un logement décent et à l’eau visiteront l’Algérie au cours des prochaines semaines. « Je suis un ami de l’Algérie et je souhaite contribuer à améliorer la situation des droits de l’homme en Algérie », a‑t‑il dit.