« Ici, tout le monde fume »: dans les lycées français, la tentation du cannabis

Assis sur un scooter avec deux amis en face de son lycée parisien, Karim se cache pour moudre l’herbe de cannabis entre ses mains. "C’est compliqué la rentrée, alors il faut bien décompresser", glisse l’adolescent de 16 ans.

Un geste devenu presque banal en France où les jeunes restent les premiers consommateurs de cannabis en Europe, malgré les timides avancées de la prévention en milieu scolaire.

Il est 09h45. Leurs nouveaux emplois du temps à peine découverts, Karim et ses copains (tous les prénoms ont été changés) sont sortis de l’établissement pour se rouler un joint.

Pour Gaétan, 15 ans, c’est le premier pétard "depuis un mois et demi". Pendant ses vacances "en famille", il n’a rien consommé, assure-t-il derrière ses lunettes rondes. Un sevrage en décalage avec son rythme l’année passée: "30 joints par semaine. On fumait beaucoup aux pauses, des fois le midi, on ne mangeait même pas".

"Le lycée te conditionne à bédave (fumer, ndlr), parce que tu côtoies plus de jeunes qui sont là-dedans", estime ce garçon à la moustache juvénile. Son premier joint, c’était à 12-13 ans, "pour faire comme tout le monde".

Depuis, Gaétan s’est habitué à suivre parfois des cours avec une concentration altérée. "L’Histoire, tu peux faire genre tu suis, être actif, mais en maths laisse tomber", confesse-t-il, en s’inquiétant du bac nouvelle formule, l’examen sanctionnant la fin des études secondaires, qu’il va inaugurer l’année prochaine et qui prendra en compte le contrôle continu.

"Avec le contrôle continu, va pas falloir être opérationnel juste aux examens…".

Alors, cette année, "je vais arrêter, c’est sûr", promet-il. Une résolution qui pourrait s’avérer difficile à appliquer.

– Progrès de la prévention –

Consciente de l’enjeu, les services de l’Éducation nationale ont mis en place des actions au lycée pour contrer cet effet d’entraînement et le mimétisme qui peuvent pousser des lycéens vers le cannabis.

"En matière de prévention, l’Éducation nationale a beaucoup progressé et commence à l’intégrer directement dans les programmes pour renforcer les compétences psychosociales", qui permettent de développer l’esprit critique, estime Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction.

Le programme "Unplugged", par exemple, propose douze heures d’ateliers encadrées par un professeur, pour travailler l’estime de soi, la capacité à faire ses propres choix. Testé depuis 2013 dans quatre départements, le succès du dispositif a récemment été souligné par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).

Cette nouvelle approche semble porter de premiers fruits. La part des collégiens (11-14 ans) ayant expérimenté le cannabis a reculé de 9,8% à 6,7% entre 2014 et 2018. A 17 ans, les jeunes sont désormais 39% à avoir déjà fumé, soit la prévalence la plus basse depuis 2000, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

Mais la route est encore longue. "Ici, tout le monde fume. Y a au moins la moitié des élèves qui +bédave+ régulièrement", évalue Karim sous son duo capuche casquette.

Illustration à l’heure du déjeuner: dans le square qui jouxte le lycée, les nombreux petits groupes d’élèves qui exhalent d’épais volutes de fumée ne choquent personne.

Un de ses amis tend un cône à Léa, 17 ans, qui voudrait réduire sa consommation. "Mais avec des potes comme ça, je fais comment ?".

Cette petite brune fume depuis ses 12 ans. Elle a vu ses notes chuter d’année en année. "Je pensais pas que ça me cramerait les neurones au point de plus pouvoir mémoriser. (…). Quand tu passes de 15 à 10, tu vois les résultats".

Pas la peine de parler à cette élève de terminale de prévention ou de se faire aider. "Les flics qui viennent à l’école pour te sortir des phrases bateau, ça n’a aucun impact", raille-t-elle.

Mais Léa, qui consomme quotidiennement, l’admet elle-même. "Si je veux avoir mon bac, il faut que j’arrête de fumer la semaine".

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