Confinée, la Tunisie célèbre le 10e anniversaire de sa révolution

Des policiers ont empêché jeudi une poignée de militants de commémorer la révolution tunisienne qui a chassé Ben Ali du pouvoir le 14 janvier en 2011, car ils contrevenaient au confinement sanitaire qui a mis en sourdine ce 10e anniversaire.

Ni le principal syndicat UGTT ni les autres organisations n’ont appelé à manifester cette année, car la Tunisie enregistre plus de 50 morts par jour, et des médecins multiplient les alertes sur la difficulté croissante à trouver des lits pour les malades graves du Covid-19.

Mais quelques dizaines de Tunisiens, dont plusieurs blessés lors de la répression de la révolution réclamant que leur statut de victime soit reconnu, ont tenté de manifester sur l’avenue Bourguiba, lieu symbolique de la révolution.

Ils ont été empêchés d’accéder à la principale artère de la capitale, centre névralgique du régime de Zine el Abidine Ben Ali devenu le coeur de la révolution, où des citoyens se rassemblent habituellement chaque 14 janvier pour raviver l’espoir d’un avenir meilleur.

« C’est un confinement politique et non sanitaire », ont lancé les manifestants, réagissant à l’important dispositif sécuritaire déployé dans le centre-ville pour le confinement de quatre jours qui a débuté jeudi.

Les autorités « veulent négliger cette date historique », a accusé une magistrate, Kalthoum Kannou, regrettant l’absence de cérémonie officielle.

Le Premier ministre Hichem Mechichi a simplement présenté sur Facebook ses « condoléances aux martyrs » de la révolution et s’est engagé à réaliser la « dignité » réclamée en 2011.

Amnesty a déploré jeudi l' »impunité » des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur poursuivis pour leur rôle dans la répression en 2011, appelant les autorités tunisiennes « à apporter des garanties pour que les personnes accusées d’homicide » et d’autres graves violations envers des manifestants pacifiques soient jugées.

– « Déçus » mais « fiers » –

Si les rues sont restées quasi vides, les revendications de justice sociale sont fortes, dix ans après la révolution lancée aux cris de « liberté, travail, dignité ».

La hausse des prix, la persistance du chômage et la défaillance croissante des services publics, alors que la pandémie a encore accentué la précarité, nourrissent une déception à la hauteur des espoirs nés en 2011.

Le 14 janvier de cette année-là, après plusieurs semaines de troubles déclenchés par l’immolation d’un vendeur ambulant dans l’intérieur du pays, une foule inédite se rassemble avenue Bourguiba, devant le ministère de l’Intérieur.

La colère contre la misère se tourne contre le régime, et la foule scande « Dégage ». Le soir même, Ben Ali prend la fuite vers un exil doré en Arabie saoudite, où il est décédé en 2019.

Cette fuite après 23 années de règne a été suivie par des soulèvements dans plusieurs pays de la région et la chute d’autres autocrates considérés jusqu’alors comme inamovibles. Mais la Tunisie est le seul à avoir poursuivi sa démocratisation.

Les Etats Unis ont salué par la voix du secrétaire d’Etat Mike Pompeo un « exemple de démocratie inclusive, dont la Constitution respecte les droits des femmes, des minorités, la liberté de parole et d’association ».

« On peut être déçus, ça ne veut pas dire qu’on regrette: dix ans, c’est peu pour transformer un système en place depuis des décennies, et on peut être fiers des avancées », souligne Alaa Talbi, président de l’ONG Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux.

« Nous avons instauré un nouveau système politique, nous nous sommes mis d’accord sur une Constitution, même si elle n’est pas encore complètement mise en oeuvre, et nous avons respecté les échéances électorales », explique-t-il.

« Maintenant, il faut une transition économique ».

– Départs clandestins –

 

La Tunisie, qui dépend largement des bailleurs internationaux, a achevé au printemps dernier un programme d’appui du Fonds monétaire international sans avoir relancé son économie.

La pandémie a fait replonger le tourisme, pilier de l’économie déjà ébranlé par des attentats meurtriers en 2015, dans une nouvelle crise qui a mis au chômage des dizaines de milliers de personnes.

La production de phosphate et de pétrole a été entravée par des manifestations pour réclamer emplois et infrastructures.

La classe politique, fragmentée et paralysée par des luttes de pouvoir, peine à agir, et elle est accusée de servir des intérêts personnels.

Face au manque de perspectives, les départs clandestins vers l’Europe ont connu un pic inédit depuis 2011. Les Tunisiens, cinq fois plus nombreux à arriver clandestinement en Italie en 2020 que l’année précédente, sont la principale nationalité à arriver sur les côtes italiennes.

Déceptions et frustrations alimentent par ailleurs une nostalgie du passé, et le retour sur le devant de la scène politique et médiatique des tenants de l’ancien régime.

Mais « la jeunesse qui a grandi dans une Tunisie libre croit encore en la révolution », estime M. Talbi.

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