Khiame : « Nous avons permis de localiser Abaaoud »
Abdelhak Khiame, patron de la police antiterroriste marocaine, détaille la collaboration avec les services occidentaux.
Abdelhak KHIAME. – La coopération est aussi excellente qu’ancienne car le terrorisme est notre ennemi commun. Depuis toujours, les services de sécurité marocains ont fourni à leurs partenaires étrangers des renseignements hautement opérationnels ayant permis la destruction de camps d’entraînement comme celui de Khalden en Afghanistan, détruit en 2011 par l’aviation américaine, et la détection de projets terroristes ayant visé des sites sensibles dans certains pays européens tels la basilique de Bologne ou le siège d’un service de police à Paris, ainsi que la saisie de lots d’armes notamment en France et en Belgique.
Quel a été le rôle du Maroc dans l’enquête sur les attentats de Paris du 13 novembre ?
Nous avons communiqué, à temps, des informations à nos homologues français car nous jugions ces renseignements très opérationnels sur certains auteurs desdits attentats. L’une de ces informations a permis de remonter jusqu’au logement d’Abdelhamid Abaaoud, la plaque tournante des attaques.
Plusieurs binationaux d’origine marocaine ont participé aux attaques. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Le terrorisme n’a pas de nationalité, ni de frontières. Il est l’ennemi de tous. La question qu’il faut se poser est pourquoi quelqu’un qui tient un bar à Molenbeek et trafique dans la drogue se radicalise-t-il du jour au lendemain et tue à Paris. Est-ce lié uniquement au conflit syrien ? Il est nécessaire de réfléchir aux causes de la radicalisation.
Mais les Marocains appartenant à l’État islamique sont très nombreux. Ils forment l’un des contingents étrangers les plus importants…
Comme ailleurs dans le monde, il existe des partisans de Daech au Maroc, qui suivent de près l’évolution de la situation irako-syrienne. Nous avons recensé plus de 1 500 personnes qui sont parties en Syrie. Les Marocains qui sont partis en Syrie sont, pour nous, tous des terroristes et font l’objet de mesures de recherche et d’interception s’ils retournent au Maroc. Une loi antiterroriste, complétée en 2014 et rectifiée en 2015, punit de 5 à 10 ans de prison les actes ou les tentatives de ralliement d’un foyer de tension où sévissent des organisations terroristes. La stratégie de notre pays est l’anticipation.
Quelle évaluation faites-vous de la menace terroriste au Maroc ?
Nous sommes sur nos gardes bien que le Maroc n’ait pas été frappé depuis l’attentat perpétré à travers le modus operandi du loup isolé contre le restaurant Argana à Marrakech en avril 2011. Depuis le déclenchement de la crise syrienne, les services de sécurité marocains ont procédé au démantèlement de 29 structures liées à cette zone de guerre sur fond d’arrestation de plus de 200 individus, porteurs de projets malveillants, conformément à l’agenda d’Abou Bakr al-Baghdadi.
Comment luttez-vous contre les réseaux islamistes armés au Maroc ?
Mis au défi par le danger terroriste, le royaume s’est inscrit dans une dynamique sécuritaire pour contrer la menace incarnée par al-Qaida et ses groupes franchisés, et aujourd’hui Daech. Si bien que depuis 2002 l’action d’anticipation a permis la neutralisation de 150 structures terroristes, dont plus d’une cinquantaine liées aux différents foyers de tension, notamment la zone afghano-pakistanaise, l’Irak, la Syrie et le Sahel.
Nous avons renforcé notre arsenal antiterroriste avec notamment l’inauguration, en mars 2015, du Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ), qui constitue une interface judiciaire de la Direction générale de surveillance du territoire (DGST), dont l’action, qui s’effectue dans le strict respect des droits de l’homme, vise à assurer la sécurité des citoyens.
Depuis sa création, ce bureau a démantelé 23 cellules terroristes, ayant à leur actif des projets malveillants visant des intérêts nationaux et occidentaux, ainsi que le recrutement et l’acheminement de combattants au profit des groupes armés en Syrie et en Irak, dont notamment Daech.La dernière cellule, mise hors d’état de nuire en janvier 2016, envisageait aussi de rallier la Syrie, avant d’opter pour la Libye en guise d’alternative pour intégrer la branche de l’État islamique dans ce pays, dès lors que le périple pour rallier ce dernier foyer de tension s’avère moins risqué et moins coûteux.
Que pensez-vous de la situation en Libye ?
La Libye constitue un terrain par excellence pour les djihadistes de la région, car Daech a pris le contrôle de points importants et constitue une menace pour la région maghrébine et pour les pays du pourtour méditerranéen. Par rapport à la Syrie, la Libye connaît la présence de cas isolés de combattants marocains dont la première vague avait rallié les rangs des islamistes d’Ansar al-Charia dans ce pays, avant de rejoindre les rangs d’Aqmi. D’autres ont été influencés par les thèses de l’État islamique en Libye. Le Maroc prend au sérieux le cas de ces combattants dès lors qu’ils sont très bien entraînés et scrutent l’opportunité de revenir au royaume pour y sévir en tant que conquérants.
(Source Le Figaro)