Visages fermés, une cinquantaine de parents des victimes ont été reçus mardi par le gouvernement burkinabè à qui ils ont fait part de leurs attentes et de leur désarroi.
A la sortie de la réunion au ministère des Affaires étrangères, beaucoup, meurtris par la perte des leurs, préfèrent éviter les journalistes. Certains s’arrêtent par politesse.
C’est le cas de Jean-Baptiste Ilboudo, 64 ans. Il a perdu son fils de 32 ans, Sylvain.
Celui-ci était serveur au café-restaurant Cappuccino. "C’est dur. Il avait une femme et deux enfants. Un d’un an à peine, un autre de quatre ans. C’est pas possible ce qui s’est passé", dit cet homme aux cheveux gris dont le regard semble perdu dans le vague.
Sa voix est triste. Que va devenir la famille? "Je ne sais pas. On n’a pas les moyens. Ma belle-fille va sans doute partir. Peut être que je vais garder le petit de 4 ans, le petit qui a un an…" Il s’en va dignement.
– monument, cimetière commun? –
Dans la salle de réunion, Pascal Lankouandé discute avec des proches. Lors des échanges avec les autorités, de nombreuses questions ont été abordées : indemnisations, éventuelle construction d’un monument ou création d’un cimetière collectif, obsèques et corps.
"Est-ce qu’il y en a qui veulent enlever (récupérer) tout de suite le corps de leur parent (..) ou bien certains veulent-ils attendre un enterrement collectif ? Ces questions sont très sensibles et le gouvernement ne peut pas prendre une décision sans se concerter avec les familles", explique le ministre de l’Intérieur Simon Compaoré.
"On a demandé du temps pour avoir une position commune dans la famille", confie Pascal Lankouandé.
Sa soeur Jacqueline, 40 ans, mécanicienne, s’était rendue au Cappuccino avec son fiancé, qui a été blessé gravement au bras.
Pascal raconte comment ils ont cherché leur soeur, "fouillé à l’hôpital, consulté la liste des blessés où elle ne figurait pas" avant qu’on leur apprenne la triste nouvelle.
"On est encore dans l’émotion. On essaie de comprendre ce qui lui est arrivé, ce qui s’est passé", dit-il.
"On ne comprend pas ce qu’ils (les jihadistes) ont fait. C’est la première fois au Burkina. Ils se sont suicidés et ils cherchaient des accompagnateurs pour leur suicide. Ce n’est pas dans notre culture. Chacun a son destin, ils ont lié le leur à d’autres gens, à des innocents", explique-t-il.
Il regrette que les autorités n’aient pas prévenu des risques. "Apparemment, les Européens étaient prévenus. Il y avait des zones rouges. L’Etat ne nous a rien dit", dit-il en allusion à des consignes de sécurité déconseillant les terrasses aux Occidentaux.
Il espère la construction d’un monument ou d’un lieu en souvenir des victimes de "cette guerre" mais aussi pour "la mémoire collective et pour sensibiliser les générations futures".
Boureima Ouédraogo est lui en colère. Chauffeur de la photographe marocaine Leila Alaoui, décédée lundi des suites de ses blessures, son frère Mahamadi Ouédraogo a été une des premières victimes de l’attaque, mitraillé dans sa voiture.
Il souligne la malchance de la photographe et de son frère qui étaient rentrés avec un jour d’avance sur leur programme d’une mission à Ouahigouya (nord) pour Amnesty International. "Au retour, Leila lui a demandé de manger au Cappuccino".
Révolté, il crie aux journalistes: "Nous sommes en deuil doublement. Mon frère était musulman pratiquant. Certains font l’amalgame pensant que ces gens sont des musulmans mais mon frère était musulman et on l’a abattu. Ces gens ne sont pas des +jihadistes+ (guerre sainte). Ce sont des barbares, des terroristes".
"C’est un sentiment de colère parce que rien ne peut justifier que quelqu’un se donne le droit d’abattre un autre. Pourquoi ont-ils tué notre frère?", questionne-t-il. "Même s’ils disent qu’ils cherchaient des +Blancs+, ces Blancs ont fait quoi? Nous sommes tous des humains".