Basma Belaid: « Qui a organisé, planifié et commandité l’assassinat de mon mari? »

Dans cette interview réalisée à la Maison du Barreau de Paris où elle a été invitée, en sa qualité d’avocate, pour s’exprimer sur la situation en Tunisie, Basma Belaïd, dont le mari, l’opposant Choukri Belaïd, a été assassiné le 6 février dernier, a dit souhaiter que toute la lumière soit faite sur cet’assassinat, tout en attribuant la responsabilité politique de ce meurtre au parti islamiste Ennahdha au pouvoir. Elle se dit plus que jamais déterminée à poursuivre le combat pour la liberté, la justice et la dignité.


*Je suis plus que jamais déterminée à reprendre le flambeau de mon mari »

Basma Belaid:
Je voudrais tout d’abord vous demander si vous avez peur pour votre vie en Tunisie?

Franchement non, je n’ai pas peur. Je me sens bien entourée et par ma famille et par les Tunisiens qui sont très nombreux à m’apporter soutien et solidarité dans cette période très difficile. Mais cela ne m’empêche pas de dire que la situation sécuritaire est très critique en Tunisie pour les démocrates et pour tous ceux qui croient aux valeurs de justice et démocratie.

Vous jouissez certainement d’une protection après l’assassinat de votre époux ?

On m’a fait savoir l’existence en permanence d’un officier de police à bord d’un véhicule aux alentours de mon domicile, mais je ne prête que très peu d’intérêt à ce genre d’assurance. D’autant que la situation sécuritaire qui se détériore de plus en plus en Tunisie, est reléguée au second plan par le parti islamiste au pouvoir qui est allé même jusqu’à banaliser la criminalité.

Comment ?

L’exemple de mon mari est édifiant. Il a reçu plusieurs menaces. Il avait la conviction qu’il était suivi par des gens suspects. Il a demandé au bâtonnier de Tunis d’intervenir auprès des autorités. Ce dernier a adressé une lettre écrite au ministre de l’Intérieur attirant son attention sur les différentes menaces dont Belaid faisait l’objet et exigeant une enquête sérieuse à ce sujet. La réponse du ministre n’a pas tardé. Elle a fait savoir par lettre au bâtonnier, qu’après l’enquête menée par les services de sécurité, aucun élément susceptible de constituer un danger pour la vie de mon n’a été révélé. Quelques jours après, Belaid a été assassiné. C’est dire le peu de cas que prêtait le parti au pouvoir à la sécurité des Tunisiens. Et c’est pour cela que j’appelle à ce qu’on soit vigilant par rapport à ce qui se passe en Tunisie.

Comment réagissez-vous à l’arrestation du présumé meurtrier de votre époux ?

L’essentiel n’est pas de savoir qui a exécuté. Mais il faut pousser l’enquête jusqu’à déterminer les commanditaires de l’acte criminel. Qui a organisé, planifié et commandité l’assassinat ? Et là, il va sans dire que la responsabilité politique du parti Ennahdha au pouvoir est établie. Il est le seul responsable de la détérioration de la sécurité. Tous les Tunisiens ont le droit de connaître la vérité et cette arrestation ne peut donc, en aucun cas, me rassurer tant que les commanditaires ne sont pas connus. Et je ne vous cache pas ma détermination de porter l’affaire devant la Cour pénale internationale si l’enquête piétine.. J’accuse directement le parti au pouvoir qui veut tuer la démocratie. On reçoit chaque jour et depuis longtemps des menaces sans que le gouvernement n’agisse. Et je tiens à vous informer que dès mon retour en Tunisie, j’irai voir directement le juge d’instruction pour m’enquérir du rapport établi et entamer les démarches qui s’imposent. L’arrestation ne veut pas dire la clôture du dossier. Il peut y avoir d’autres pistes et il se peut que le juge d’instruction lui aussi ne va pas clôturer le dossier.

Pourquoi Choukri Belaid était la cible es fanatiques ? En quoi il se différencie des autres opposants ?

J’ai à l’esprit cette citation du grand écrivain algérien Tahar Dajout, tué de deux balles dans la tête en 1993 :‘’ le silence, c’est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs’’. Et c’est exactement ce que Chokri avait choisi. Il avait choisi de dénoncer cette terreur rampante, il voulait une Tunisie démocratique et ouverte. Il n’a eu cessé de dénoncer avec courage cette inhumaine brutalité qui prenait pour cible l’intégrité physique des Tunisiens. Et je ne souhaiterais à personne même aux pires ennemis d’assister à une semblable monstruosité. Les forces obscures n’ont pas supporté la puissance de sa voix, elles ont voulu le contraindre au silence.

Quelle action comptez-vous mener face à l’enlisement de la transition démocratique et à la violence politique en Tunisie ?

Je suis plus que jamais déterminée à reprendre le flambeau de mon mari et poursuivre le combat pour la liberté, la justice et la dignité. Des valeurs pour lesquelles mon ami, mon camarade, mon grand frère, mon bien aimé, a donné sa vie. Son unique combat était celui des idées et des projets. Et c’est pour cela que je vais être sur le chemin de mon époux jusqu’à l’aboutissement d’une Tunisie libre, une Tunisie contre les violences.

Cette vague de violence qui sévit dans plusieurs pays arabes, n’est-elle pas le fruit d’une confusion malheureuse entre islam et politique ?

Je pense que cette question de religion émane d’une volonté déclarée du parti Ennahda d’islamiser la société tunisienne qui est une société musulmane par naissance et par conviction. Le but est de détourner l’opinion publique de ses préoccupations initiales. Car je ne comprends pas comment certains fanatiques décident de tuer au nom d’une religion qui a pourtant sacralisé la vie ? C’est pour cela que je demeure convaincue que la religion doit être pour soi et la politique pour tout le monde.

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