Dernière ligne droite pour une réforme au parcours tortueux: depuis plusieurs jours, les contribuables voient arriver dans leur boîte aux lettres leur avis d’imposition 2018, ultime étape avant l’instauration de l’impôt à la source, prévue au 1er janvier.
L’occasion pour le gouvernement de défendre sa réforme, qui prévoit que l’impôt sera collecté directement sur les salaires ou les pensions, et non plus acquitté un an après comme c’est le cas actuellement.
"Cette réforme de modernisation de l’impôt et de simplification ne changera en rien le montant total de votre impôt", a promis Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, dans une lettre jointe aux avis d’imposition.
"Aucune démarche particulière de votre part ne sera nécessaire, sauf si vous souhaitez opter pour l’individualisation du taux de prélèvement au sein de votre couple ou pour sa non-transmission à votre employeur", a-t-il poursuivi.
Une façon de rassurer les contribuables mais aussi de faire taire les critiques, notamment des chefs d’entreprise et des syndicats, qui s’inquiètent de possibles failles ou angles morts dans le dispositif du gouvernement.
"pas en retard"
"La réforme a déjà été décalée d’un an. Des tests ont été effectués, qui montrent l’efficacité du dispositif", a insisté M. Darmanin dans un entretien la semaine dernière au Courrier Picard. "Je ne crois donc pas que nous soyons en retard, bien au contraire", a-t-il ajouté.
Selon le ministère, 40.000 agents du fisc ont bénéficié ces derniers mois d’une formation pour épauler les contribuables. Quant aux logiciels de paie, qui serviront à effectuer la collecte de l’impôt, ils sont officiellement prêts, selon leurs éditeurs.
Est-ce à dire que tout est sous contrôle ? Ces dernières semaines, plusieurs ajustements ont été décidés, qui tendent à montrer que les conséquences de ce "big bang fiscal" n’avaient pas été totalement anticipées.
Début juillet, le gouvernement a ainsi annoncé un report à 2020 du prélèvement à la source pour les employés de particuliers-employeurs, en raison du retard pris dans la mise en oeuvre de la plateforme informatique dédiée aux déclarations de salaires.
Mi-août, l’exécutif a de nouveau revu sa copie en annonçant un mécanisme permettant aux entreprises de moins de 20 salariés de se décharger de la collecte de l’impôt, via le dispositif Titre emploi service entreprise (Tese), utilisé pour les cotisations Urssaf.
Et de nouvelles surprises pourraient intervenir, Gérald Darmanin ayant ouvert la voie à une exonération pure et simple de l’impôt pour les employés de particuliers-employeurs en 2019, face au risque de pagaille générée par la dernière mouture du dispositif.
"problèmes sans solution"
"Plus on avance, plus on se rend compte que c’est compliqué. On essaie de mettre des +patchs+ un peu partout, mais ça ne va pas suffire", soupire Alexandre Derigny, de la CGT Finances publiques, opposé depuis l’origine à la réforme.
"On a vendu du rêve aux Français en leur présentant le prélèvement à la source comme une réforme de simplification. Mais ça n’est pas le cas: on est au-devant de toute une série de problèmes qui sont pour certains sans solution", dénonce-t-il.
Au-delà des risques techniques, c’est l’impact psychologique de la réforme qui provoque des sueurs froides — notamment au sein de la majorité, où l’on redoute une vague de mécontentement lorsque les Français verront leur salaire net baisser.
"Ce qui m’inquiète le plus, c’est le différentiel sur la fiche de paye", confie à l’AFP un député LREM. Avec cette réforme, le message du gouvernement sur la hausse du pouvoir d’achat "ne sera pas reçu et ce sera contreproductif", ajoute-t-il.
"Les gens vont se croire dans un pays post-communiste où l’impôt est confiscatoire (…) Il va y avoir une augmentation de l’impatience dans le pays", abonde un parlementaire "marcheur" issu du monde de l’entreprise.
Des craintes écartées par le gouvernement, qui rappelle que les Français ont actuellement tendance à "sur-épargner en prévision des impôts futurs", ce qui nuit à la consommation. "Si choc psychologique il y a, il sera positif", a promis Gérald Darmanin.