Ce n’est un secret pour personne, la relation entre le Président, Emmanuel Macron et son Premier ministre François Bayrou n’est pas au mieux de sa forme. Il est vrai que Macron doit beaucoup au compagnonnage politique de Bayrou qui était parmi les rares personnalités de poids à avoir cru en son aventure « En Marche » qui leur avait ouvert les portails du Palais de l’Elysée. Il est tout aussi vrai que Macron n’a pas choisi Bayrou comme Premier ministre. Ce dernier avait arraché littéralement ce poste au prix d’un grand chantage.
Cette équation a installé automatiquement une atmosphère de défiance entre les deux têtes de l’exécutif, voire une atmosphère de cohabitation. Elle ne s’est pas manifestée lors de la composition du gouvernement. Bayrou n’ayant pas réussi à faire entrer les socialistes dans son casting gouvernemental, se contentant d’anciennes gloires, comme Manuel Valls ou François Rebsamen. Et Macron ayant pu imposer les ministres de la Macronie qu’il voulait, y compris le ministre des armées, Sébastien Lecornu que Bayrou, pour des susceptibilités personnelles, aurait aimé voir en dehors de son Cabinet.
Mais cette entente provisoire ne fait en réalité que cacher les grandes divergences à venir inévitablement entre Macron et Bayrou. Le nouveau Premier ministre voudrait à tout prix montrer que ses prédécesseurs depuis la perte de la majorité à l’Assemblée, à savoir Elisabeth Borne, Gabriel Attal et Michel Barnier, n’avaient pas le bon logiciel pour gouverner les affaires de la France, étant trop liés à une vision et une pratique présidentielle du pouvoir que les Français ont désavouées à plusieurs reprises. Il sera, dans ces conditions, tenté de se distinguer pour marquer son propre sillon, quitte à prendre des décisions qui heurteraient les grands choix de Macron.
Même s’il ne bénéficie pas d’une majorité au Parlement comme Michel Barnier avant lui, François Bayrou semble bénéficier d’un état de grâce que lui offre la promesse du Rassemblement National de ne pas se joindre à la motion de censure que la gauche a déjà annoncé vouloir déposer au lendemain de son discours de politique générale le 14 janvier prochain. Marine Le Pen qui attend le jugement sur son inéligibilité le 31 mars prochain ne voudrait pas apparaître comme une force d’appoint de la gauche pour faire tomber les gouvernements. D’autant plus que François Bayrou s’est engagé à ne recourir au fameux 49.3 qu’en cas d’extrême nécessité. Ce qui diminuera les occasions de censurer le gouvernement.
Mais la raison essentielle pour laquelle il y aura forcément une atmosphère de cohabitation entre le palais de l’Élysée et celui de Matignon, est que François Bayrou va fatalement profiter de son poste de Premier ministre, l’homme qui est intervenu pour sauver la France de la crise de régime, pour se sculpter une posture de candidat de la droite et du centre à la prochaine présidentielle. Il est de notoriété publique que sachant qu’Emmanuel Macron ne pourra pas prétendre à un troisième mandat, tous les appétits et les ambitions sont aiguisés.
À droite des hommes comme Laurent Wauquiez, Gerald Darmanin, Bruno Retailleau, Xavier Bertrand sont déjà à l’affut. Chez Renaissance, le parti de Macron, Gabriel Attal cache à peine son envie présidentielle. Même âgé de 73 ans, François Bayrou qui a depuis des années milité pour avoir le poste de Premier ministre, se verrait bien le digne successeur d’Emmanuel Macron. Un homme capable de croiser le fer avec Marine Le Pen si la justice lui autorise de concourir ou avec un homme ou une femme de gauche si le Rassemblement National fait défaut.
C’est en tentant d’utiliser son poste de Premier ministre comme rampe de lancement pour se positionner pour la prochaine présidentielle, que François Bayrou pourra inévitablement se créer des adversités, même au sein du camps présidentiel censé le soutenir dans ses missions de chef de l’Exécutif.
À un manque structurel de majorité au Parlement, se rajouteront pour François Bayrou toutes les nombreuses tentatives de ses alliés et de ses adversaires pour l’empêcher d’acquérir la voilure indispensable pour s’imposer comme le successeur naturel d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Le parfum de cohabitation tiendra ses effluves des multiples ambitions des alliés naturels de Bayrou qui n’ont aucun intérêt ni à son succès ni à son maintien pour longtemps à son poste.