Rivaux contre Sarko
Juppé le classique, Villepin le romantique. Nous rejouerait-on la bataille d’Hernani? Alors que le premier, candidat déclaré à la candidature si Nicolas Sarkozy renonçait à un deuxième mandat, annonce « avant l’été » la tenue d’ »Entretiens de Bordeaux » pour ranimer le débat au sein de la majorité, son ancien directeur de cabinet, crinière au vent, va lancer, le 19 juin son parti « républicain et solidaire ».
"Pour ne pas perdre le contact avec les réalités, il vaut mieux avoir l’œil rivé sur le cul des vaches que sur la courbe des sondages", lançait Villepin vendredi, ravi d’avoir vu Vesoul et un congrès de jeunes agriculteurs qui se sentent largués par le pouvoir… Juppé, lui, osait samedi cet avertissement dans un entretien au Monde: "On a une histoire, un passé, une culture. Même dans notre société de l’instantanéité absolue, de l’inconstance, il y a des tendances profondes qu’il faut sentir. Je ne crois pas à la rupture. Je n’y ai jamais cru."
Un parallélisme frappant, empreint de gaullisme social et verbal. "Une mécanique inéluctable", affirme le député de Dordogne Daniel Garrigue, ami des deux hommes: "Depuis plusieurs années, le courant gaulliste a été sacrifié par le président sur l’autel du néolibéralisme, note ce démissionnaire de l’UMP. Il était inévitable qu’il ressurgisse à un moment ou un autre. Et aussi bien Dominique de Villepin qu’Alain Juppé en sont le cœur." Comme François Fillon et Michèle Alliot-Marie, ajoute-t-il. Sauf que ceux-là seraient "ligotés", au contraire des compères.
"Ils se sont toujours bien entendus"
Juppé et Villepin se sont rencontrés au début des années 1980. "Jeune énarque, Dominique de Villepin était à l’ambassade de France à Washington, raconte l’expert ès chiraquies Jean-François Probst. Il expédiait à l’Hôtel de Ville de Paris des télégrammes secrets. Cela permettait à Jacques Chirac, alors que la gauche était au pouvoir, d’être toujours informé précisément sur la situation géopolitique." A ce jeu, le jeune Villepin ne tarde pas à croiser le bras droit du maire, Alain Juppé. "Ce sont deux types très cultivés, poursuit Probst, ils se sont toujours bien entendus." Villepin: "Nous sommes de très proches amis. Nous nous sommes engagés dans la politique à peu près à la même période. Je suis avec interet et amitié ce qu’il fait. Nous nous rejoignons sur beaucoup de sujets." En 1993, Juppé, ministre des Affaires étrangères de Balladur, avait Villepin comme directeur de Cabinet. Ensemble, les deux hommes oeuvraient à l’élection de Jacques Chirac en 1995. Juppé entrait à Matignon. Villepin devenait le très puissant secrétaire général de l’Elysée, et l’inventeur hasardeux d’une dissolution, en 1997, qui coûta sa carrière à Juppé, et fit tomber le septennat.
Le chiraquisme présidentiel a été leur seule source de tension, après la dissolution de 1997, puis quand Villepin est devenu Premier ministre, en 2005. "Depuis sa mairie de Bordeaux, poursuit Probst, Juppé a pu se demander si tout le monde lui était d’une grande fidélité." Au même moment, on entendait à Matignon qu’il y en avait "marre du chouchou".
"Je ne suis pas un béni-oui-oui"
De vieilles histoires qui ne fondent pas les divergences d’aujourd’hui. En ce début de printemps morose, Dominique de Villepin amplifie sa rébellion contre Nicolas Sarkozy. …Vendredi, dans le train le ramenant à Paris, il vantait son autonomie, "avec des bouts de ficelle, on fait de grandes choses", évoquait "l’indépendance de la France" qu’il défendra dans son futur parti. Juppé, éphémère ministre de l’Ecologie du gouvernement Fillon I, se pose lui simplement en recours. "Je soutiens le positionnement du Président. Nicolas Sarkozy est d’ailleurs le candidat naturel en 2012, nous assurait-il jeudi. Contrairement à Dominique de Villepin, je pense que l’analyse faite de la crise par la France a été la bonne avec notamment la mise en place du plan de relance. Mais cela ne m’empêche pas de m’expliquer parfois avec le gouvernement et le Président. Je ne suis pas un béni-oui-oui."
Pas un béni-oui-oui? Pour Villepin, l’UMP n’est qu’un "supplétif" de l’action gouvernementale… Et en toute amitié, il compare sa liberté aux restrictions de son ami Juppé qui construisit ce grand parti unique de la droite pour Chirac: "Je suis simplement en mesure de mener une démarche avec plus de liberté vis à vis de ma famille politique que lui , qui reste dans une démarche traditionnelle au sein de l’UMP. Je suis aussi plus critique sur la majorité." Juppé, en toute amitié, reproche à Villepin de faire dissidence, et de ne pas respecter ce grand parti unique de la droite qu’il construisit lui-même pour Chirac: "Faire éclater l’UMP, ce serait revenir quinze ans en arrière!", affirme-t-il même s’il en reconnaît les manques, sur le débat notamment. Et toujours en amitié, Villepin rappelle quelques principes à Juppé, candidat à des primaires éventuelles: "Dans le gaullisme, il n’y a pas de primaires."
Leurs proches refusent pourtant d’envisager un duel fratricide. "Je ne pense pas qu’ils se dresseraient l’un contre l’autre", estime Daniel Garrigue. "Ce n’est pas parce leurs démarches sont différentes qu’il y a une rivalité entre eux", renchérit-on chez Villepin. "Ils s’adorent, poursuit un député de la majorité. Ils ne feront rien contre l’autre. Et pourtant, il y en a un de trop."
Soazig Quéméner