Mustapha Bakkoury : « Notre défi, c’est de marier l’écologie au développement. »
Ingénieur de formation puis banquier d’affaire à la BNP, président de la région de Casablanca-Settat, Mustapha Bakkoury est depuis six ans à la tête de l’Agence Marocaine pour l’Energie Solaire. Amené à jouer un rôle clé lors de la COP22 en novembre, il se livre sur les prochaines échéances environnementales et politiques de son pays. De passage à Paris récemment pour rencontrer Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, et inaugurer l’exposition « Cap sur la COP22 » sur les Berges de Seine, Mustapha Bakkoury nous a accordé un entretien.
Dans le mix énergétique actuel, il y a un peu de gaz, beaucoup de charbon et de fuel, un peu d’éolien, d’hydraulique et de solaire. L’objectif est de porter la part de l’hydraulique, de l’éolien et du solaire à 42% des capacités installées en 2020 et 52% en 2030.
Est-ce réaliste ?
C’est ambitieux mais tellement réaliste que l’objectif a été rehaussé à 52% par le roi lui-même à la COP21 à Paris. Nous sommes dans un contexte d’augmentation de la demande. Donc on ne va pas se limiter à remplacer les dispositifs existants. Entre 2020 et 2030, on va devoir doubler la capacité globale du pays pour atteindre 52% de la nouvelle capacité de production qu’on aura en 2030. L’objectif est double : assurer la satisfaction des besoins énergétiques pour ne pas contrarier le développement du pays, mais aussi traduire par des actes le souci environnemental. L’énergie fossile est le premier responsable du réchauffement climatique, donc si on n’agit pas dans ce secteur, on n’est pas crédible.
Que ferez-vous concernant le transport ?
Nous y venons car nous déployons une approche globale. Nous avons le projet d’accroître les transports collectifs dans les grandes villes, avec des tramways, des bus et d’autres moyens encore. Sur le reste, il nous faudra aussi agir, sur la qualité du parc et du carburant utilisé. J’espère ouvrir le dossier de l’électrique ou de l’hybride pour voir ce qui peut être fait pour inciter les taxis et transports publics en agissant avec les constructeurs et en faisant évoluer la réglementation.
Le Plan NOOR vise à augmenter fortement la part du solaire dans le mix énergétique national. Où en êtes-vous de ce projet ?
A Ouarzazate, nous réalisons un complexe de quatre centrales solaires, dont une, NOOR 1, est déjà opérationnelle, pour une production de 780 MegaWatts sur une superficie de 3.000 hectares. C’est l’équivalent de tous les besoins en électricité de Casablanca qui seront couverts à terme. Dans sa technologie, NOOR 1 est déjà la plus grande centrale solaire au monde. NOOR 2 et 3 sont en construction, et NOOR 4 commencera début 2017. Dans notre stratégie, on cherche à atteindre une meilleure compétitivité par rapport au fossile : si le complexe est si grand, c’est parce qu’il permet de minimiser le prix du kilowattheure final. Seuls des investissements qui permettent d’atteindre une masse critique permettent de concurrencer le fossile en termes de coût comparatif.
Qu’avez-vous prévu de faire pour rendre plus verte Casablanca, dont vous présidez la région ?
La région Casablanca-Settat, c’est 20% de la population marocaine, 7 millions d’habitants, dont la moitié est dans la ville de Casablanca et le reste sur huit provinces. L’environnement est un pilier central du plan de développement de Casa. L’accès à l’eau potable et à l’électricité doit être amélioré, ainsi que l’assainissement, la récupération des eaux et le traitement des déchets. La végétalisation, dans les villes comme les forêts, ne sera pas non plus négligée. Nous luttons aussi contre la pollution de l’air, qui est un vrai sujet, à cause des transports en milieu urbain.
Quels sont les projets du Grand Casablanca avec l’Île de France, donc vous avez rencontré les élus ces derniers jours ?
Nous voulons prolonger à l’échelle régionale la coopération nationale entre nos deux Etats. Nos deux régions pèsent de manière similaire dans le PIB de nos pays, et par ailleurs le tiers de la communauté marocaine de France se trouve en Île de France. Un accord est prêt pour plus de coopération autour de l’éducation, de la culture et de l’environnement. Des annonces seront faites prochainement.
Vous êtes membre du bureau politique du parti d’opposition Authenticité et modernité après en avoir été le Secrétaire Général jusqu’en janvier dernier. Où en est votre mouvement, à un mois des prochaines élections ?
Nous regroupons une centaine de milliers d’adhérents, ce qui est un bon chiffre. Nous sommes arrivés en quatrième position aux dernières législatives de 2011 et nous présidons la deuxième Chambre, où nous sommes arrivés seconds aux dernières élections de 2015. Enfin, nous sommes arrivés premiers en termes de sièges lors des dernières élections locales l’an passé, mais seconds en nombre de voix. Le mois prochain, nous irons aux urnes avec l’ambition de faire un meilleur résultat sans faire aucune concession sur notre programme.
Qui sont vos principaux rivaux ?
Au pouvoir, il y a une alliance avec les islamistes et les communistes. Nous portons un projet complètement différent de ce qu’ils défendent. Nous nous considérons comme progressistes tout en préservant un certain capital d’authenticité, en institutionnalisant tout le passé éclairé de notre société millénaire.
Êtes-vous un parti socialiste ?
Nous parlons plutôt de démocratie sociale. Il faut garder une dimension de solidarité à travers la société. Nous prônons la liberté d’initiative, d’entreprendre comme de penser, avec un impératif de solidarité, qui doit venir avec la création de richesse. S’il fallait nous positionner sur l’échiquier politique occidental, nous serions au centre-gauche. Nous voulons aussi aller plus loin sur l’identité. Il faut faire tout pour apaiser la société et faire du Marocain quelqu’un de fier de sa société.
Quelle est votre vision de l’écologie politique ?
L’écologie doit fédérer, les oppositions doivent se faire ailleurs. Je perçois une évolution en France, où on a des approches globales sur ces questions. La difficulté, c’est de marier l’écologie au développement. Le développement sans aucun impact sur l’environnement, ça n’existe pas. Il faut donc imaginer des impacts correctifs.
Quels sont les dangers qui menacent le Maroc ?
Il y a un processus de modernisation de la société qui peut être freiné par toute une partie de la population. L’enjeu sera de jouer ce rôle d’intermédiation et je crains qu’on perde du temps sur ces progrès. Comme nos adversaires, nous sommes dans le temps de Dieu, mais il passe aussi par le temps de l’homme. La crainte du djihadisme existe aussi, elle est liée à la situation économique. Il faut donner leur chance aux jeunes, les intégrer, leur permettre de vivre dignement pour éviter toute tentation.
*Entretien réalisé par [Opinion internationale] publié par Atlasinfo.fr dans le cadre d’un partenariat éditorial