Le Qatar veut s’affirmer comme puissance régionale (Le Monde)
Le pays, membre de la coalition, profite de l’absence des Egyptiens et des Saoudiens
L’ombre de la monarchie saoudienne plane cependant sur cette intervention, compte tenu du contentieux qui prévaut entre Riyad et Tripoli.
" La montée en première ligne du Qatar et des Emirats est le résultat d’un déficit de leadership arabe, analyse Mustafa Alani, chercheur au Centre de recherches du Golfe, implanté à Dubaï. L’Egypte est occupée par sa révolution. L’Arabie saoudite est préoccupée par les troubles au Bahreïn et par la crise au Yémen. Le Qatar et les Emirats sont les deux pays les plus calmes de la région, ce qui leur donne toute latitude pour intervenir. Mais il est évident que rien n’aurait pu être fait sans le feu vert de l’Arabie saoudite. "
Le parrain des pétromonarchies du golfe Persique a de bonnes raisons de vouloir se débarrasser du colonel Kadhafi. En 1988, celui-ci arrive à un sommet de la Ligue arabe ganté de blanc, " pour ne pas serrer des mains tachées de sang ". L’année suivante, lors d’une autre réunion, il souffle ostensiblement la fumée d’un gros cigare au visage du défunt roi Fahd d’Arabie saoudite.
Avec son successeur Abdallah, les algarades sont rituelles. En mars 2009, à Doha, le Guide libyen le présente comme une marionnette des Britanniques et des Américains avant de quitter la salle dans un geste plein de morgue. " Kadhafi n’a jamais cessé d’humilier les dirigeants du Golfe, dit Salman Sheikh, le directeur de l’antenne qatarie du Brookings Institute, un influent think tank américain. Entre eux et lui, c’est presque une affaire personnelle. "
Ce passif, auquel s’ajoutent les violences infligées aux rebelles et le refus de Tripoli d’accepter l’aide humanitaire envoyée par les Emirats, explique que le Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe tous les Etats de la péninsule Arabique, à l’exception du Yémen, se soit prononcé en faveur de l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne dès le 7 mars, bien avant la Ligue arabe et les Nations unies.
D’autres facteurs, plus spécifiques, ont contribué à l’engagement des deux petits pays aux côtés de l’OTAN. Pour le Qatar, la mort d’un cameraman de la chaîne de télévision Al-Jazira, la fierté de l’émirat, tué dans une embuscade près de Benghazi, a sûrement joué un rôle. Des centaines d’habitants, dont le prince héritier, ont assisté à ses funérailles à Doha.
Partenariat militaire
Déjà intervenu comme médiateur dans les crises libanaise et soudanaise, le Qatar poursuit dans le ciel libyen une stratégie d’affirmation comme puissance régionale. Pour les Emirats, le partenariat militaire avec la France a dû peser sur la décision. En 2009, l’armée française a ouvert une base à Abou Dhabi, une première dans un pays arabe indépendant. En 2008, les deux alliés ont mené un exercice conjoint dans le golfe Persique, aux côtés du Qatar, grand importateur d’équipements militaires tricolores.
Doha a été le premier à annoncer son ralliement à la coalition. Il a également été le premier à en retirer un bénéfice. Le micro-Etat a signé avec les rebelles un contrat d’exportation de pétrole. Mécontents du fait que les Etats-Unis aient critiqué, quoique timidement, la répression des manifestations dans l’archipel voisin du Bahreïn, les Emirats ont tergiversé quelques jours avant de suivre.
Protecteur en Libye du peuple insurgé, le Conseil de coopération du Golfe est défenseur du pouvoir en place dans la crise bahreïnie, peur de la contagion oblige. Le 14 mars, mille soldats saoudiens et cinq cents policiers émiratis ont investi Manama, la capitale de Bahreïn, pour ramener le calme dans ce minuscule royaume sunnite, en proie à une révolte de la majorité chiite de la population.
Benjamin Barthe