M. Obama se saisit de la crise en Libye pour définir sa doctrine diplomatique
Les Etats-Unis sont conscients d’avoir des responsabilités mais préconisent une approche multilatérale des conflits
M. Obama n’a pas été jusqu’à prendre la " position hardie " qu’avait préconisée le chercheur Kenneth Pollack, de la Brookings Institution : répudier la politique suivie depuis quarante ans par les Etats-Unis dans le monde arabe, fondée sur la " fausse stabilité " des régimes en place. Mais il a clairement indiqué que les Etats-Unis étant eux-mêmes " nés d’une révolution ", se réjouissaient de ce que " l’histoire est en marche " au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et de ce que " ceux qui aspirent à la liberté " trouveraient dans l’Amérique une " amie ".
Pour son premier discours depuis qu’il a lancé les frappes sur les positions du colonel Kadhafi, M. Obama avait choisi non pas le Bureau Ovale – trop martial – mais l’Université de la défense nationale, à Washington. En vingt-sept minutes, il n’a pas une fois utilisé le mot " guerre " et il a répété que la participation américaine à l’opération était " limitée " et que le contribuable américain, grâce à la mise en place de la coalition, n’aurait pas à en supporter le coût total. Le transfert du commandement à l’OTAN aura lieu le 30 mars, a-t-il précisé, en se gardant d’aborder la question de la fin de la mission.
M. Obama a revendiqué, plus nettement qu’il ne l’avait fait la semaine dernière, la responsabilité de l’intervention. Il a même évoqué " l’effort international que nous avons mené " – ce qui a provoqué quelques sarcasmes : " Sarkozy a pris la nationalité américaine ? ", a ironisé l’animateur de Fox News Bill O’Reilly. A Benghazi, a insisté le président américain, la coalition a empêché un massacre qui aurait pu se répercuter dans toute la région et " entacher la conscience du monde ". En trente et un jours, elle a réussi ce qui avait nécessité un an pour être mis en place en Bosnie en 1995.
M. Obama a développé une vision prudente des interventions humanitaires. " L’Amérique ne peut pas recourir à son armée dès qu’il y a répression " quelque part, a-t-il dit. Mais elle a une responsabilité spéciale, comme première puissance mondiale. Et " plus profondément ", elle a une responsabilité envers " les autres êtres humains ". Ne pas s’en soucier, en Libye, aurait été " trahir ce que nous sommes ", a-t-il dit. " Certains pays peuvent détourner le regard des atrocités commises ailleurs. Les Etats-Unis sont différents. En tant que président, j’ai refusé d’attendre les images des massacres et des fosses communes pour passer à l’action. "
" Pas porter seul le fardeau "
Globalement, M. Obama pense que les Etats-Unis peuvent être amenés à intervenir lorsque leurs intérêts ne sont pas touchés directement : c’est le cas lors de menaces de génocide, de catastrophes naturelles ou s’il faut " maintenir des routes commerciales ". Dans ce cas, ils doivent partager le fardeau avec d’autres nations. Mais dans le cas où les intérêts vitaux américains sont menacés, il n’a pas exclu de recourir à une action unilatérale.
Dans une claire réponse aux attaques des républicains, qui, privés de leur grande bataille sur la dette, se sont repliés sur la politique étrangère, M. Obama a défendu sa propension à ne pas se mettre en avant. Le vrai " leadership ", selon lui, n’est pas de commander – et de " porter seul tout le fardeau " – mais de " créer les conditions et les coalitions " qui permettent à d’autres pays de participer – et accessoirement de " payer leur part des coûts ".
M. Obama n’a pas cité les pays qui connaissent actuellement des troubles (Syrie, Bahreïn, Yémen, etc.) pour ne pas risquer d’être entraîné dans un amalgame. La Maison Blanche est très attentive à rejeter la notion de précédent.
Avant l’intervention du président, son conseiller diplomatique Dennis McDonough a expliqué que chaque situation est " unique ", répondant à ceux qui, comme le sénateur indépendant Joe Lieberman, réclament une intervention en Syrie, au nom de la Libye. " Nous ne prenons pas de décision en fonction d’un précédent ou d’un souci de cohérence, a affirmé M. McDonough, mais sur ce qui avance le mieux nos intérêts. "
Corine Lesnes