Dans la capitale marocaine, sous un ciel gris et pluvieux, l’ambiance est plus maussade qu’électrique. Les enjeux des élections de vendredi ? Abdellah hausse les épaules: « si les élites ne changent pas dans leur mentalité, il n’y a pas grand-chose à attendre ». La perspective d’un éventuel Premier ministre issu du PJD ? « Je ne suis pas sûr qu’ils aient envie d’assumer la direction du gouvernement, pour eux l’opposition est plus confortable ». Sans répondre clairement à cette question de « mentalité », les autres formations s’engagent, le cœur sur la main, à faire bouger les lignes de la bonne gouvernance dans le sillage du discours royal du 9 mars. L’hypothèse d’un résultat serré avec d’autres formations traditionnelles comme le RNI, l’Istiqlal n’est d’ailleurs pas exclue.
Dans le même temps, le ministère de l’Intérieur met en avant des garanties qui doivent sembler surréalistes dans les autres brasiers du Printemps arabe: loi sur les sondages, sanctions pénales pour l’achat d’électeurs, déclaration de guerre aux candidats qui envisageraient un nomadisme partisan pour sauver leur siège, présence de milliers d‘observateurs internationaux, liberté d‘expression. Une communication en faveur de la sincérité du scrutin qui témoigne de la maturité du processus électoral dans le royaume. « C’est ça, les problèmes de riches citoyens, ce n’est pas l’armée dans la rue » conclut Abdellah.
Pourtant, telle une crécelle médiatique, l’arrivée à la Primature du parti islamiste avec un homme comme Abdellilah Benkirane ou un autre éléphant de l’état-major islamiste modéré semble envisageable par nombre de commentateurs. Comme en France, où Marine Le Pen, a su s’autonomiser de l’image sulfureuse de son père, le secrétaire général du PJD semble être parvenu à s’imposer comme étant l’icône d’un islamisme « soft » à la marocaine. La Turquie, dont la vigoureuse diplomatie s’est implantée dans le jeu de mikado proche-oriental, avec la bénédiction de Washington, est souvent citée comme exemple,
à ceux qui doutent d’un nouveau Maroc retapissé en vert islam.
Mais le parallélisme des formes Ankara/Rabat, s’il peut séduire quelques frileux diplomates, est loin d’être acquis. Une fois encore, le « déficit » d’islam que le PJD met en avant pour séduire les électeurs relève plus du fantasme que de la réalité. S’il s’agit d’y remédier au quotidien la marge de manœuvre du PJD sera plus qu’étroite. Charia, alcool, éducation, code vestimentaire, rôle de la femme, renforcement de la langue arabe : le Maroc de 2011, plongé dans la mondialisation depuis 20 ans, est-il encore perméable à cet argumentaire ? C’est la vraie question du message transmis par le « parti de la lumière ».
Mais « le plus d’islam pour prier mieux » va-t-il changer le quotidien économique et social des électeurs ? Va-t-il peser sur le prix de gros des produits agricoles ? Va-t-il infléchir la courbe du chômage ? On peut en douter même s’il y a un point sur lequel le programme du PJD peut séduire, c’est la priorité affichée dans la lutte contre la corruption et le népotisme. Des maux diagnostiqués depuis plusieurs décennies par toutes les formations. On peut dès lors douter qu’un seul parti, fût-il le dernier entré dans l’arène parlementaire, puisse convaincre des électeurs souvent blasés. Et, à ce titre, tentés par l’abstention malgré une opportunité électorale historique dans le Maghreb.
Nicolas Marmié (ES à Rabat)