C’est dans ce contexte que sont intervenus des heurs graves lors du démantèlement d’un camp de toile dans le secteur de Laâyoune, où des milliers de Sahraouis s’étaient installés depuis le 10 octobre pour protester contre la détérioration de leurs conditions de vie. Selon le préfet de région, tout est en effet parti d’un mécontentement social. Le chômage frappe durement une population locale qui ne voit pas toujours arriver l’aide promise, alors que les « 1 652 ralliés » sahraouis revenus des camps du Polisario à Tindouf ont reçu des aides immédiates pour leur réintégration (1).
Si les circonstances des heurts sont encore mal connues, le démantèlement du camp a eté l’occasion de violences dont les échos ont rapidement traversé le détroit de Gibraltar. Malgré le choix initial des autorités marocaines de privilégier le dialogue, plusieurs médias et ONG occidentaux ont condamné le recours à la force au nom des droits de l’homme. La presse espagnole a notamment repris une photo d’enfants palestiniens datant de 2006 (publiée sur un site favorable au Front Polisario) pour illustrer les conséquences de l’action des forces de sécurité marocaines à Laâyoune.
Une photo à charge… Dans le contexte de conflit entre le Front Polisario et le Maroc, il n’y a rien d’étonnant, hélas, à ce que les chiffres et la qualité des morts et des blessés fassent l’objet d’une bataille acharnée (2). En revanche, que les médias d’un pays démocratique, de surcroît membre de l’Union européenne, deviennent la caisse de résonnance d’une propagande digne de la Guerre froide pour agiter les passions populaires sur fond de guerre médiatique, cela est autrement plus grave. Les
journalistes ont rapidement fait disparaître la photo en question, fournie par l’agence espagnole EFE. Mais cette erreur rappelle que les médias et les moyens de communication modernes sont une arme dans les guerres d’aujourd’hui, voire la principale pour un Faible qui ne peut l’emporter militairement (3).
La violence de ces réactions contraste avec la retenue dont ont fait preuve le gouvernement espagnol et l’ONU. La ministre espagnole des affaires étrangères, Trinidad Jimenez, sommée le 16 novembre de s’expliquer devant le Parlement et face au Sénat, a demandé aux députés de parler avec « prudence » du Sahara occidental car « il n’y a pas de données avérées ni confirmées » par les organismes internationaux (4).
Tout comme l’Espagne, le Conseil de sécurité des Nations unies a « déploré » mardi 16 novembre les violences survenues huit jours plus tôt à Laâyoune, mais a refusé d’ouvrir l’enquête réclamée par un Polisario qui n’hésite pas à parler de « massacre ». Après avoir écouté le compte rendu du numéro deux du département des Opérations de maintien de la paix, l’Indien Atul Khare, et de l’envoyé spécial de l’ONU pour le Sahara, Christopher Ross, les quinze pays membres n’ont pas souhaité aller plus loin. Il faut dire que l’une des rares certitudes, comme l’exprimait Khadija Mohsen-Finan, chercheur en relations internationales et enseignante à Sciences Po au cours d’un entretien au Monde, est que la contestation n’est pas individuelle mais collective.
L’intervention des forces de sécurité marocaine constitue en tout cas une aubaine pour un Polisario confronté à la hantise de son déclin. Selon la spécialiste de la région Laurence Ammour, plusieurs signes ont en effet témoigné ces dernières années d’un durcissement et d’une crise du mouvement indépendantiste (5). En 2006 déjà, le Secrétaire général des Nations Unies était saisi d’une plainte concernant les menaces proférées par le Polisario à l’encontre du contingent français de la Minurso
"en signe de représailles contre la France qui appuie la position du Maroc". Plus récemment, à
la suite du démantèlement du camp d’Agdim Izik, le Polisario a accusé la France d’être responsable de la décision de l’ONU de ne pas donner suite à sa demande d’enquêtes. Cette radicalisation dans le discours est nourrie par une perte d’influence du mouvement historique indépendantiste. Nombre de Sahraouis quittent les camps de Tindouf pour rejoindre la Mauritanie et s’installer dans la ville de Zouérate, voire rentrer au Sahara occidental. Le Polisario semble également de plus en plus contesté
dans sa prétention à représenter les Sahraouis. En témoigne, depuis quelques années, l’émergence de revendications indépendantistes émanant de jeunes sahraouis nonmembres du Polisario, tout comme la création du mouvement dissident Khatt Achahid (Ligne du martyr) dont le représentant déclarait, en décembre 2009, que la direction du Front Polisario devait ouvrir un dialogue constructif afin de déterminer ce que veulent réellement les populations vivant dans les camps.
En septembre dernier, c’est le policier Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud, inspecteur général de la sûreté du Polisario, qui a fait défection et appelé à soutenir le plan d’autonomie proposée par le
Maroc avant de rejoindre les camps de Tindouf pour y défendre le projet marocain, entraînant son arrestation une fois passée la frontière.
La gestion médiatique de l’épisode de Laâyoune par le Polisario ressemble en cela fort à une tentative de reprise en main de la contestation interne, pour s’affirmer comme un acteur incontournable sur la scène internationale, voire même imposer dans le calendrier international la question sahraouie en des termes pour lui favorables. Sur le fond en effet, alors que les protagonistes ne parviennent pas à de se mettre d’accord sur des listes électorales et que le verrouillage politique et idéologique dans les camps de réfugiés laisse peu d’espoir sur la capacité des Sahraouis en Algérie à voter en toute liberté, la proposition marocaine d’autonomie dans le cadre du processus de
régionalisation demeure l’alternative la plus crédible.
Elle est actuellement la seule qui permette aux protagonistes de sortir d’un schéma gagnant-perdant pour permettre à chacun, et notamment aux réfugiés qui ont choisi l’exil, de sortir du conflit la tête haute. L’autonomie de gestion proposée par le Maroc prévoit en effet la mise en place d’organes législatif, exécutif et judiciaire au niveau local, tout en permettant à l’État de conserver une compétence exclusive sur les domaines régaliens, notamment la sécurité, la coopération internationale, les relations extérieures, la religion et le système judiciaire. La régionalisation offre aussi à l’Algérie
une porte de sortie. Le conflit du Sahara occidental, éminemment géopolitique, repose sur les tensions entre l’Algérie et le Maroc, nées autour du zèle algérien à l’égard d’opposants de gauche marocains venus se réfugier à Alger et alimentées par une rivalité de puissance sur fond de modèle et de traditions politiques différents (6). Sans le soutien de l’Algérie, le Polisario aurait vaisemblablement déjà disparu. Comme le préconisait déjà dans son rapport de 2006 le secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, le conflit ne sera jamais réglé sans qu’une solution globale associant l’Algérie soit trouvée.
Si une telle approche est difficile à mettre en oeuvre, elle ne pourra en tout cas venir d’une violence et d’une radicalisation préjudiciable au dialogue. Le Front Polisario et le Maroc ont accepté de se retrouver en décembre à Genève puis New York, pour de nouvelles discussions sur le Sahara occidental. En l’absence d’amélioration de la confiance entre les participants, les chances d’obtenir des avancées sont toutefois en l’état peu probables. La région a besoin d’apaisement, pas de provocations. C’est aussi pour sortir des impasses actuelles que Christopher Ross a appelé les Européens à davantage d’investissement sur le dossier du Sahara occidental, qui pourrait être l’une
des priorités du Service européen pour l’action extérieure (7). Tout en gardant à l’esprit que trente cinq années de tensions ne se règleront pas en un jour.
Analyse datée du 29 novembre 2010
*Antonin TISSERON, Chercheur associé à l’Institut Thomas More, co-auteur du rapport
« Pour une sécurité durable au Maghreb: une chance pour la région, un engagement pour
l’Union Européenne » (avril 2010)
(1) Isabelle Mandraud, « Au Sahara occidental, un "jour de guerre" anéantit le camp d’Agdim Izik », Le Monde, 12 novembre 2010.
(2) D’après les autorités marocaines, douze personnes sont mortes dans les affrontements (dix membres des forces de sécurité et deux
civils). Pour le Polisario, trente-six Sahraouis auraient été tués et des centaines d’autres blessés. Chiffres cités par Alexandra Geneste et
Isabelle Mandraud, « L’ONU refuse d’enquêter sur les violences au Sahara occidental », Le Monde, 18 novembre 2010.
(3) À titre d’illustration, Al Qaida s’est d’ailleurs dotée d’une société de production d’images, As-Shaba, afin d’approvisionner les grands
networks occidentaux et arabes en déclarations de ses leaders et en images de combats et de martyrs (Arnaud de la Grange et Jean-
Marc Balencie, Les guerres bâtardes, Paris, Perrin, 2008, p. 38).
(4) Citée par Sandrine Morel, « Le gouvernement espagnol sous pression », Le Monde, 18 novembre 2010.
(5) Laurence Ammour, « À qui profite le gel du conflit au Sahara Occidental ? », NATO Research Papers, N°30, novembre 2006, pp. 2-7,
pp. 5-6. Selon la chercheuse, certains observateurs, centres de recherche et services secrets occidentaux, estiment que le Front Polisario
glisserait vers la criminalité voire le terrorisme islamiste. Il serait notamment impliqué dans le commerce illégal – dont celui des armes
légères – et même la traite des migrants sub-sahariens qui transitent par la Mauritanie et Sahara occidental pour rejoindre les enclaves
espagnoles de la Méditerranée ou les Îles Canaries.
(6) Sur ce point, voir Yves Lacoste, Géopolitique de la Méditerranée, Paris, Armand Colin, 2006, pp. 229-230 et 256-259.
(7) Rapport spécial de l’Institut Thomas More, Pour une sécurité durable au Maghreb, avril 2010, disponible sur http://institut-thomasmore.org/mag/Fr.pdf.
Violences et tempête médiatique autour du Sahara occidental : la région a besoin d’apaisement 4
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