Plus d’un mois après l’annonce par le chef du gouvernement tunisien Hichem Mechichi, le 16 janvier dernier, d’un vaste remaniement de son gouvernement affectant onze ministères, la Tunisie vit une crise politique au sommet de l’Etat que de nombreux analystes avertis considèrent comme un risque susceptible de mettre à mal les institutions de cette jeune démocratie.
Fait sans précédent, cette crise consacre une sorte de rupture de confiance entre le président de la république, Kaïs Saïed et le chef du gouvernement qu’il a cautionné, le 20 septembre 2020, à l’envers et contre tous pour succéder à Elyes Fakhfakh, rattrapé dans une affaire de conflit d’intérêts.
Dès l’annonce de ce remaniement, auquel il n’a pas été consulté au préalable et qui a marqué le départ d’au moins trois ministres qui lui étaient acquis (Intérieur, Justice, Domaines de l’Etat et Affaires étrangères), le président Saïed a opposé une fin de non-recevoir à ce mouvement pourtant validé par le Parlement le 26 janvier.
Motif : Parmi les 11 nouveaux ministres nommés, on avance qu’au moins quatre seraient poursuivis pour des faits de corruption.
L’opposition du président de la république à recevoir les nouveaux ministres pour prêter serment est catégorique, soutenant sans détours qu’il est « prêt pour le dialogue afin de résoudre les problèmes et mettre un terme à cette crise, mais jamais avec ceux qui ont volé et appauvri le peuple durant des décennies ».
Devant l’impasse, et avec la rupture de toute concertation directe entre les trois présidences de la république, du gouvernement et du parlement, M. Mechichi a cherché, en procédant le 15 février dernier à des nominations de ministres intérimaires, à emprunter une voie de contournement, sans succès.
Sa tentative d’avoir un avis favorable auprès l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi ainsi que le Tribunal administratif, a trouvé le même sort. Les deux saisis par le chef du gouvernement se sont déclarés incompétents concluant que le litige constitutionnel entre le chef du gouvernement et le président de la République concernant le remaniement ministériel relève exclusivement de la Cour constitutionnelle.
Au regard du blocage institutionnel qui perdure et du profond malaise qu’il a provoqué, partis politiques d’horizons divers et organisations de la société civile sont montés au créneau pour chercher une issue concertée à cet imbroglio.
Selon un grand nombre de politologues, il s’agit d’une sorte de course poursuite avec une multiplication des initiatives pour organiser un dialogue national analogue à celui de 2012, mais selon un format nouveau et dans un contexte tout à fait différent de celui qui a abouti à l’organisation des élections législatives et présidentielle de 2014 et à l’élaboration, la même année de la première Constitution post-révolution.
Un dialogue new-look dans la mesure où il est réclamé par l’ensemble des acteurs politiques et sociaux qui cherchent à atteindre parfois des objectifs divergents.
Pour certains partis politiques notamment, ce dialogue salvateur pourrait avoir pour préalable le départ de Mechichi et de son équipe comme moyen pour sauver la démocratie d’un péril certain.
Pour d’autres partis, dont Ennahdha, ce dialogue est un moyen comme un autre pour sortir de cet imbroglio et sauver le gouvernement Mechichi du tourbillon dans lequel il s’est englué.
D’ores et déjà, le Quartet parrain du dialogue national, composé de de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), de l’Ordre National des Avocats de Tunisie (ONAT), de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) et de l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, a annoncé la réactivation de son initiative pour sortir de la crise actuelle.
Brahim Bouderbala, bâtonnier des avocats, a assuré que les représentants des quatre organisations se réuniront incessamment pour examiner la situation générale dans le pays et identifier les actions qui seront engagées.
En même temps, le SG de l’UGTT, Noureddine Taboubi et le président du patronat, Samir Majoul ont exprimé, leurs inquiétudes face à la poursuite de la crise politique et de l’impasse constitutionnelle que vit la Tunisie depuis un mois.
Les deux organisations ont appelé à l’accélération de la résolution de la crise dont la poursuite augmentera la paralysie que vit le pays depuis des semaines et menace l’expérience démocratique tunisienne.
Le président du parlement Rached Ghannouchi a, de son côté, lancé une initiative pour une rencontre tripartite entre les trois présidents afin de parvenir à une sortie de crise.
Ghannouchi, qui est également président d’Ennahdha, a envoyé une correspondance dans ce sens au président Saïed, qui à ses yeux constitue « le symbole de l’unité de l’Etat ».
Le président du parlement souligne, en même temps, la détermination de l’institution parlementaire à hâter la mise en place de la Cour constitutionnelle pour être la référence en matière d’interprétation de la Loi fondamentale.
Il n’a pas omis, au passage, d’encenser le gouvernement actuel qui, selon ses dires » accomplit convenablement son rôle ».
L’avis du chef du bloc parlementaire « Tahya Tounes », Mustapha Ben Ahmed va dans une toute autre direction en soulignant que la Tunisie n’a pas un gouvernement et accusant Hichem Mechichi d’être responsable de l’impasse.
Pour lui, la meilleure solution pour surmonter la crise est la mise en place d’un nouveau gouvernement bénéficiant de l’assentiment d’un large spectre des familles politiques et des organisations sociales.
Parallèlement, des concertations se poursuivent entre des petites formations comme « Al Joumhouri », « le Courant démocrate », « Ettakatol », « Echaab » et des personnalités nationales à l’effet de solutionner la crise politique entre les trois pouvoirs qui, manifestement, reflète le blocage du système politique et le manque de synergie entre la présidence de la République et l’Assemblée des Représentants du Peuple.