Projection-débat à Copenhague du film « Tinghir-Jérusalem »

La projection, jeudi soir à la cinémathèque Copenhague, du film documentaire « Tinghir-Jérusalem : les échos du mellah » de Kamal Hachkar aura assurément remporté le pari de tenir en haleine une audience hétéroclite, avec à la clé un questionnement acéré sur le dossier de l’émigration des juifs marocains.

Ce film de 82 minutes s’ouvre sur un travelling le long de la vallée du Todgha, le temps d’imprégner le spectateur des ondoiements tantôt verdoyants, tantôt arides, mais immanquablement majestueux, de cette partie du sud-est marocain, avant de le livrer aux mains du réalisateur et de sa caméra.

Après une première immersion dans le sujet chez le barbier du coin, Kamal Hachkar, un jeune franco-marocain parti rejoindre son père immigré en France à l’âge de six mois, retrouve son grand-père qui, le prenant par la main, lui fait une première visite guidée de la kissariat de Tinghir, jadis haut lieu des marchands juifs de cette paisible localité.

Au fur et à mesure que les témoignages se succèdent, la présence juive gagne en intensité, en densité et invariablement en amertume. On y apprend auprès de jeunes écoliers venus juste de sortir de l’établissement que rien dans les cursus ne mentionne la présence juive, quoique la mémoire collective, celle non-écrite, les renseigne sur le pain juif "Achtot" ou de fragments de chansons de Shlomo Bar.

Les décors changent, les plans se diversifient. Les témoignages pleuvent et se ressemblent, quoique les perspectives diffèrent, mais sans jamais verser dans cette remise en cause intégrale du légendaire "vivre-ensemble" que Tinghir, prototype d’autres régions du Royaume, peine à comprendre. Mais pourquoi sont-ils donc partis ?

Pour tenter de répondre à cette question, le réalisateur, historien de formation, s’emploie à être aussi impassible que la caméra: C’est en Israël qu’il part chercher, en faisant parfois du porte-à-porte au risque de se faire repousser, les fragments épars d’une histoire commune tissée avec tant de tendresse, de délicatesse, de poésie, d’amour et de beaucoup de sanglots.

Alternant témoignages d’acteurs de ce départ massif des juifs tinghirois, au début des années 60, et propos d’enfants de juifs marocains nés en Israël, ou encore ceux de leurs parents qui continuent de porter le souvenir de Tinghir "comme une blessure dans l’âme", Kamal Hachkar a réussi à arracher à son audience d’intenses moments de sourire, de pleurs parfois, de gémissements plaintifs, mais surtout beaucoup d’applaudissements.

Comme pour ponctuer des interrogations existentielles sur l’identité et l’altérité dans ce documentaire, le réalisateur se joue des va-et-vient, aux allures presque oniriques, de ses interviewés entre un présent peu rassurant en Israël et un passé insoucieux dans et aux alentours de Tinghir, leur lieu de prédilection au monde.

Devant les témoignages des plus âgés de ces juifs marocains, parsemés de nostalgie et de chants lancinants en dialecte arabe comme en berbère, le réalisateur, resté pourtant sobre durant tout le déroulé du documentaire, ne s’est pas privé du "luxe" de laisser tomber des larmes.

Difficile en fait de rester de marbre devant la gravité de cette émouvante scène donnant à voir des dames sexagénaires versifier leur amour langoureux du bled, dans un ahidous impeccable accompagné de bendirs chauffés au réchaud, ou leur appel pressant à la paix et à l’entente ou encore leurs récriminations récurrentes contre cette autre forme de racisme auquel elles étaient/sont livrées, en raison de leur origine sépharade.

"Je ne prétends pas avoir fait un travail de journaliste. C’est un documentaire où je n’évacue point ma sensibilité personnelle de fils d’immigré à la recherche de ses origines", a indiqué M. Hachkar, lors d’un échange avec le public à l’issue de la projection de ce documentaire.

Interpelé sur la polémique autour de ce film, il a assuré que "la mémoire historique du Maroc pluriel mériterait mieux que de faire l’objet de surenchères ou de manipulations", dès lors qu’il s’agit "d’une véritable tragédie de l’Histoire et que l’on ne mesure pas encore le gâchis que ça constitue d’avoir perdu une partie de notre peuple, sachant que ces personnes, où qu’elles soient, sont des ambassadeurs de la culture marocaine".

Coproduction de "Berbère TV" et de 2M, "Tinghir-Jérusalem : les échos du mellah", déjà sacré Grand prix Driss Benzekri au festival international du film sur les droits humains (catégorie meilleur film), a une enchaîné plusieurs récompenses au fil de ses multiples projections lors de plusieurs festivals, notamment au Canada, en France, en Belgique, au Mexique et aux USA.

Un peu à l’instar des temps qui courent, le documentaire s’achève sur une scène donnant à voir une dame (Aicha) entonnant un chant plaintif, presque étouffé, mais porteur d’évocations quasi-incantatoires, sur un fond indécis où les rayons dorés d’un crépuscule se disputent la vedette à une aurore naissante.

Kamal Hachkar a confié à l’assistance qu’il était en phase de post-production de la seconde partie de ce film "où j’ai envie d’organiser un voyage-retour de ces juifs vers leur ville natale", avec des retrouvailles de personnes toujours en vie avec leurs amies d’antan, "mais aussi avec la nouvelle génération, des gens avec 35 ans en Israël et qui sont très fiers de leurs racines pour les reconnecter avec les jeunes marocains d’aujourd’hui".

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