Manuel Valls veut étendre pour les ressortissants marocains les visas à entrées multiples ou de circulation
Dans une interview exclusive accordée à Atlasinfo.fr et Maroc Hebdo International, le ministre français de l’Intérieur Manuel Valls s’est longuement expriné sur les relations entre la France et le Maroc, sur la coopération en matière securitaire, policière et de lutte contre le trafic de drogue entre les deux pays, ainsi que sur la politique les visas, le statut des étudiants étrangers, l’immigration et l’organisation de l’islam de France.
C’est une fierté pour moi de me trouver au Maroc et de pouvoir ainsi rencontrer le peuple marocain et ses dirigeants. Mohammed VI a été le premier chef d’Etat à être reçu par le nouveau Président de la République, François Hollande, une semaine après la passation de pouvoir. Cela témoigne de la relation exceptionnelle que la France et le Maroc entretiennent. Pour ma part, je souhaite conforter ce partenariat stratégique de manière concrète. Nous appuierons toute nouvelle coopération qui permet d’accompagner le Maroc dans le processus de réformes engagé par Mohamed VI.
Quel est l’objet de votre visite au Maroc, la première depuis votre nomination Place Beauvau ?
Je souhaite aborder tous les sujets afin de poursuivre et de renforcer notre collaboration. La priorité du souverain et du chef du gouvernement est la régionalisation avancée et la déconcentration. En France, la régionalisation a permis une amélioration considérable de l’efficacité de l’action publique et le renforcement de la démocratie locale au service des citoyens. Je ne vous cache pas que cette réforme ne s’est pas faite sans oppositions et que c’est un processus qu’il faut constamment améliorer. C’est pourquoi, le partenariat entre nos deux pays peut être utile. Il doit vous permettre d’anticiper les difficultés que nous avons rencontrées et nous offrira la possibilité, en retour, d’alimenter notre propre réflexion. Plus largement, nous devons évoquer tous les champs de coopération : les questions migratoires, la coopération sécuritaire, notamment en matière de lutte contre le trafic de drogues et contre le terrorisme.
Quel est l’état de la coopération sécuritaire et antiterroriste entre la France et le Maroc?
Nous avons une coopération policière très dense, notamment en matière de formation. Récemment, nous avons notamment collaboré pour la création d’un centre de recherches criminelles, la création d’une force d’observation et de recherches, ou encore d’un centre de formation à la police technique scientifique au sein de l’Institut Royal de Police de Kenitra. Nous devons nous adapter à la pluralité des menaces et échanger nos expériences. La lutte contre la cybercriminalité prend une place de plus en plus importante dans notre champ de coopération, pour ne citer qu’un exemple. Nous poursuivrons enfin notre soutien à la création d’unités d’intervention pour lutter contre la très grande criminalité et le terrorisme au Maroc.
Qu’en est-il de la coopération anti-drogue?
Notre coopération doit être à la hauteur des enjeux. Nous avons, d’ores et déjà, une excellente coopération bilatérale avec deux officiers de liaison « stupéfiants » au Maroc, et deux commissaires de police marocains en France. Nous souhaiterions rehausser cette coopération en nous associant à l’initiative conjointe hispano-marocaine qui s’est traduite par la mise en place récente de centres de coopération policière à Algésiras et à Tanger pour lutter de manière coordonnée contre les filières.
Concernant la question des visas, y aura-t-il un assouplissement des modalités qui régissent leur délivrance aux Marocains souhaitant se rendre en France?
Oui. Nous allons, dans le cadre du droit de l’Union européenne et du code visa Schengen améliorer les choses : le nombre des justificatifs demandés devrait diminuer et nous allons étendre, de façon progressive, les catégories de personnes pouvant bénéficier de visas à entrées multiples ou de visas de circulation. Cela étant, ma démarche s’inscrira également dans le cadre d’un accord européen qui devrait inclure la négociation entre le Maroc et l’Union européenne d’un accord de facilitation comme d’un accord de réadmission. Il convient toutefois de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’abus et j’ai toute confiance, pour cela, dans l’action menée par les autorités marocaines.
Pour le séjour des étudiants étrangers en France, quelle est votre politique au-delà de l’abrogation de la circulaire Guéant, ancien ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy?
L’abrogation de la circulaire du 31 mai 2011 a été parmi les premières mesures prises par le gouvernement. Il fallait, au plus vite, mettre fin à une situation illogique qui, en compliquant le changement de statut pour des étudiants recrutés, ou sur le point de l’être, consistait à faire partir des talents. La volonté du gouvernement, conformément aux engagements de François Hollande, est de permettre aux étudiants étrangers, qui apportent à notre pays un regard neuf et toute la richesse de leurs parcours, d’étudier dans les meilleures conditions. Ils doivent pouvoir, ensuite, prendre toute leur part au développement des activités présentes dans notre pays.
Je veux répondre simplement. Ma volonté est de lutter contre l’immigration irrégulière et les filières clandestines. Mais les étrangers qui vivent en France régulièrement et qui y construisent, dans la durée, une vie familiale et une vie professionnelle, ont toute leur place dans notre pays. Un travail est en cours visant à rendre le cadre administratif plus stable et plus simple pour les étrangers en situation régulière et garantir ainsi une meilleure intégration. Une intégration qui doit permettre, ne l’oublions pas, à ceux qui le souhaitent, de devenir Français. A la suite de choix politiques, le nombre de naturalisations a fortement baissé, ces dernières années. Cette tendance sera inversée, car obtenir la nationalité française doit redevenir le terme logique d’une intégration réussie.
Est-ce que votre gouvernement compte poursuivre la politique des charters concernant l’immigration irrégulière?
L’immigration irrégulière est un délit que la loi sanctionne. Une personne qui n’a pas acquis de droit au séjour doit donc quitter le territoire, de manière volontaire ou par la contrainte. Des règles justes vont être posées, à travers une nouvelle circulaire en septembre prochain. Elles seront appliquées avec la constance qui s’impose. La lutte contre l’immigration clandestine fait et fera l’objet d’une action déterminée afin de démanteler les filières criminelles qui exploitent la misère humaine.
Quels sont les enjeux communs entre la France et le Maroc en matière de lutte contre l’immigration illégale ?
Nous avons un intérêt commun à lutter contre l’immigration illégale pour démanteler les filières de traite des êtres humains. Sur ce point, il convient d’être absolument intransigeant.
Le Maroc est devenu un pays d’émigration avec des flux en provenance d’Afrique subsaharienne. Comment la France et l’Union européenne peuvent-elles aider le Maroc à faire face à cette situation?
Il s’agit de faire face à l’immigration illégale. Nous proposons ainsi de soutenir les autorités marocaines dans la création d’un bureau de fraude documentaire. Un « comité de suivi mixte franco-marocain » pourrait être mis en place et être « élargi » par la suite à nos partenaires européens. Cette proposition contribuerait à améliorer votre lutte contre la fixation des populations subsahariennes clandestines sur vos frontières.
Comment définiriez-vous la nouvelle politique d’immigration et d’intégration du nouveau gouvernement ?
La politique menée vise à être à la fois juste dans ses fondements et ferme dans leur mise en œuvre. La justice, c’est notamment, je le répète, sécuriser la situation des étrangers résidant de manière régulière sur le territoire. C’est mettre fin à l’arbitraire dans les demandes de régularisations en faisant appliquer des critères objectifs uniformément sur le territoire. Ces critères prendront d’ailleurs mieux en compte la nature des liens tissés par les demandeurs avec la France. La justice c’est enfin, depuis début juillet, la fin de la rétention des familles. Mais la politique sera réaliste et appliquée avec fermeté. Elle prendra en compte la situation économique et sociale de notre pays. A ce titre, toute éventualité de régularisation massive est exclue. Les personnes en situation irrégulière qui n’ont pas vocation à demeurer sur le territoire français devront regagner leur pays d’origine. Pour autant, la politique d’intégration, elle, doit être déconnectée de la question de la gestion des flux migratoires. C’est un défi positif pour la nation française. Elle doit être ouverte et s’appuyer sur un travail interministériel.
Dans le prolongement des engagements de campagne du président de la République, François, Hollande, qu’en est-il de la promesse de droit de vote aux étrangers pour les élections locales?
Engagement de campagne, cette réforme devra trouver les voies de sa mise en œuvre. Elle implique une révision constitutionnelle et c’est au Président de la République d’en déterminer les modalités.
L’islam, au même titre que les autres religions, a toute sa place au sein de la République. Dans ses valeurs d’ouverture et de tolérance, il est une part de l’identité de notre pays. Il faut mettre fin aux divisions pour que l’islam de France se renforce dans l’intérêt des Français musulmans et de la France en général.
Est-ce que le nouveau gouvernement de gauche entend continuer à soutenir le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) comme instance représentative de l’islam de France?
En matière de culte, l’Etat a besoin de dialoguer avec des institutions représentatives et pérennes. Je veux, par rapport à la période précédente, mettre fin aux instrumentalisations et aux polémiques politiciennes. C’est pourquoi, je souhaite que le travail entre l’Etat et le CFCM se focalise strictement sur les questions liées à l’organisation du culte. Il est de la responsabilité du CFCM d’apaiser les divisions et de s’organiser. J’encourage vivement les grandes fédérations représentatives de l’islam modéré à trouver des points de convergence qui permettent d’assurer une représentation de l’islam de France dans la diversité de ses origines et de ses sensibilités.
La Fondation des œuvres de l’islam de France est totalement bloquée. Le renouvellement de ses instances, qui devait intervenir dès 2007, ne s’est pas fait et son Conseil d’administration ne s’est jamais réuni. Entendez-vous remédier à cette situation et relancer la Fondation?
La Fondation des œuvres de l’islam est le cadre normal du financement des lieux de culte. Sa relance est une nécessité ; elle ne peut être éternellement la victime des désaccords entre tendances de l’islam de France. C’est un enjeu pour la République et pour l’ensemble des musulmans.
Pour les pouvoirs publics français, l’organisation du culte musulman doit englober notamment une amélioration de l’encadrement religieux, à savoir la formation des imams et la définition de leur statut. Quelle est votre approche concernant ce dossier?
Les initiatives qui existent à l’institut catholique de Paris ou à la faculté de théologie de Strasbourg sont intéressantes, mais insuffisantes pour bâtir une offre capable de répondre au besoin de formation d’imams. C’est un sujet juridiquement complexe, qui doit s’inscrire dans le cadre de la loi de 1905. Là encore, les instances représentatives de l’islam ont un rôle à jouer pour proposer, suggérer ou évaluer les dispositifs existants. Les imams qui exercent sur notre territoire doivent être en phase et avoir une réelle attache avec la France, sa langue et ses valeurs.