Après une brève période d’entraînements militaires, ils seront propulsés dans les méandres des grandes guerres, pour servir de chair à canon. Ils auront participé avec des noms et surnoms comme les « Spahis » ou les « goumiers » à la première et deuxième Guerre mondiale, ainsi qu’à la Guerre d’Indochine.
Ces jeunes étaient des agriculteurs, des artisans ou des bergers issus de familles pauvres. Ils ont pris refuge dans le métier militaire et le port d’armes pour fuir la pauvreté, la nécessité et la faim et se sont lancés dans l’aventure de la guerre quand les pays de l’Europe occidentale avaient besoin de leurs bras solides pour porter les armes de la libération et de la liberté, contre les régimes totalitaires, fascistes ou nazis.
Des centaines d’entre eux y ont trouvé la mort et des milliers ont été blessés. Ils en ont gardé des traces indélébiles, ces invalidités permanentes. Leur sang a coulé dans les forêts, les rues, les ponts, les villes et villages de France, de Belgique, d’Italie et d’autres pays, même sur les sols du Viêtnam, parmi les rangs de l’armée française.
Leur sang, ce sang qui a arrosé les sols de l’Europe pour voir grandir ses arbres, faire éclore ses roses et pourvoir respirer enfin le vent de la liberté.
Aujourd’hui, après toutes ces années, ces « anciens combattants » subissent encore les pires expressions de marginalisation et d’exclusion de la vie publique : ils habitent dans des chambres individuelles, perçoivent des salaires indignes et sont en plus assignés à demeurer en France sinon perdre leurs aides sociales !
Ils sont résignés à un « exil forcé » après tous les sacrifices consentis. Pourtant, cette génération de soldats avait consacré sa jeunesse et sacrifié sa famille et sa patrie pour que vive la liberté !
Ils étaient camarades dans la même tranchée, ils ont combattus aux armes auprès des soldats français et des soldats des colonies françaises pour la libération de l’Italie, de la France, de la Belgique et de toute l’Europe.
Ils rêvaient ensemble de justice, d’égalité, de liberté et d’un lendemain meilleur, pendant les nuits froides dans les forêts, les montages, les plaines et sous les ponts.
Nous savons tous aujourd’hui, au détail près, à quel point la réalité de leurs conditions est rude : salaires insignifiants, absence de couverture sociale et privation de la chaleur familiale au Maroc.
Ils ont été marginalisés par les pages de l’histoire comme par plusieurs auteurs et écrivains, dont les œuvres ont laissé échapper la commémoration de l’histoire humaine commune entre le Maroc et la France et les victoires individuelles et collectives des soldats marocains dans les champs de bataille. Des victoires qui, de par leur gloire, ont été saluées par les ennemis avant alliés.
Quand nous les voyons aujourd’hui fiers de leur passé si glorieux, les étoiles de leurs médailles étincelantes de joie sur leurs torses, nous rougissions de honte de l’ingratitude de l’Histoire et d’avoir manqué, envers eux, le devoir de mémoire.
On sent la barrière psychologique qui empêche de faire un pas vers ces héros et leur présenter un salut militaire à la hauteur de leurs sacrifices et de leur générosité. Une reconnaissance morale au-delà de tout calcul matériel : des avenues et des places en Europe et au Maroc baptisées à leurs noms, des « nationalités honoraires » de tous les pays pour lesquels ils ont combattu … et ce n’est sûrement pas une exagération de considérer leur mérite.
Il temps donc de se poser les questions : et si ces centaines de milliers de jeunes marocains n’étaient pas montés dans les camions militaires français ? Qu’en seraient devenue la France et l’Europe aujourd’hui ? Les progrès, le développement, les libertés, la pluralité des appartenances politiques et syndicales, tout ce aurait-il être possible en Europe ? Devions-nous subir, si tous ces jeunes n’étaient pas partis, la haine des slogans d’extrême-droite qui veulent protéger les libertés en chassant les immigrés ?
Et si ces jeunes n’avaient pas combattus dans les premiers rangs pour la France et pour l’Italie ? S’ils n’avaient pas rompu la ligne Gustave pour pouvoir atteindre Rome et avancer vers la France pour mettre fin au régime de Vichy qui soutenait le nazisme allemand ?
La situation des anciens combattants, aujourd’hui assimilée à une « assignation à résidence », et les priver de retrouver leurs familles sans contraintes ni conditions bureaucratiques, invite à agir tous les acteurs de la démocratie à laquelle ils ont consacré leurs vies et pour laquelle ils ont vaincu les symboles de totalitarisme, de la dictature et de l’extrémisme politique.
Nous pensons à eux quand nous lisons dans le Coran : « Il y a, parmi les croyants, des hommes qui ont été fidèles au pacte qu’ils avaient conclu avec Dieu. Parmi eux un tel a atteint le terme de sa vie et un autre attend encore ; mais ils n’ont varié en aucune façon » (Surat Al Ahzab – verset 23).
* Secrétaire général du CCME
(Conseil de la communauté marocaine à l’étranger)