Le président de la République devrait présenter un plan destiné à recréer une filière nucléaire à l’exportation sur la base des quelque 50 recommandations contenues dans ce rapport.
L’échec d’Abou Dhabi, où la Corée du Sud a remporté un premier contrat de 15 milliards d’euros pour 4 réacteurs, a démontré que l’"équipe" de France Areva-GDF Suez-Total, renforcée in extremis par EDF, n’avait d’"équipe" que le nom. M. Sarkozy veut "mettre de l’ordre" pour que les industriels français "ne se fassent pas concurrence de façon contre-productive".
Une "filière nucléaire française" Pour les promoteurs du programme français des années 1970-1990, elle se compose d’EDF, d’Areva NP (réacteurs), d’Alstom (un tiers des turbines de centrales nucléaires dans le monde) et d’une centaine de PME, souligne Hervé Machenaud, patron de la division production-ingénierie d’EDF. Mais deux outsiders viennent d’entrer dans le jeu : GDF Suez, exploitant des 7 réacteurs belges, qui souhaite se développer en France et à l’international ; Total, qui amorce a ainsi sa diversification pour préparer l’après-pétrole.
"Il y a un immense marché pour la France. Nous avons des champions nationaux dans chacun des métiers, il faut maintenant les coordonner suffisamment", a souligné Henri Guaino, conseiller spécial de M. Sarkozy, lors d’un récent colloque. Le gouvernement réfléchit à un guichet unique, placé auprès de l’Elysée ou de Matignon. Il coordonnerait l’offre française dans des pays candidats à l’atome civil mais dépourvus de culture nucléaire (sûreté, gestion des déchets…), d’un puissant groupe d’électricité et d’un tissu industriel. "Mais personne ne pourra contourner EDF", prévient son PDG, Henri Proglio, fort de la référence que lui donne l’exploitation d’un parc standardisé de 58 réacteurs.
Une gamme de réacteurs incomplète Que vendre à l’étranger ? Depuis l’échec d’Abou Dhabi, Paris a compris qu’il faut réserver l’EPR aux grands pays (Chine, Inde, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Italie…). M. Proglio, Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, et Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, sont au moins d’accord sur un point : il faut "étoffer la gamme" et ne pas se contenter du réacteur de troisième génération d’Areva – trop puissant (1 650 MW), trop cher (4-5 milliards d’euros) et trop sophistiqué pour certains pays. "On ne pourra pas partir à l’assaut du marché mondial seulement avec une Rolls Roye", résume M. Mestrallet. Un autre patron du secteur met en garde : "Attention, avec l’EPR, à ne pas refaire Concorde !", prouesse technologique franco-britannique et… fiasco commercial. Le consensus s’arrête là : EDF s’oppose à GDF Suez sur le réacteur de moyenne puissance à défendre à l’exportation. Et renâcle à lui transférer ses savoir-faire sur l’EPR.
Le développement de partenariats Sur un marché qui pourrait atteindre 1 000 réacteurs d’ici à 2040, selon M. Proglio, les partenariats seront la règle. "La Corée du Sud nous a damé le pion. Demain, la Chine se portera aussi sur le marché nucléaire mondial. Cela veut dire que c’est la fin de la solution unique", a-t-il noté devant les cadres dirigeants d’EDF. Car il faudra d’abord répondre aux exigences des clients. La France ne peut pas arriver – partout – avec une armada industrielle franco-française.
"Nous ne ferons pas gagner la filière française de la production énergétique contre le reste du monde", a poursuivi le patron d’EDF. En Inde, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Chine, les Français n’ont pas d’autre choix que de s’associer avec des partenaires locaux, de transférer de la technologie (Chine, Inde…) et de faire travailler l’industrie locale. Les industriels ont commencé à nouer des partenariats avec des fabricants et des électriciens étrangers.
En Italie, GDF Suez a décidé de s’allier avec E.ON, numéro un allemand de l’électricité, pour participer à la relance du nucléaire (au moins 8 réacteurs d’ici à 2030). EDF et l’italien Enel ont déjà passé des accords pour quatre EPR. Les Français devront faire travailler de grands acteurs locaux comme Ansaldo Energia.
EDF et Rosatom ont signé, le 19 juin, un accord de coopération (R & D, combustible…). Le patron de l’agence fédérale russe de l’atome, Sergueï Kirienko, veut aller plus loin. Pourquoi les deux groupes ne vendraient-ils pas à des pays tiers des réacteurs russes VVER, dont EDF a modernisé des unités en Europe centrale dans les années 1990 ? Et pourquoi EDF refuserait de s’associer au cas par cas avec l’américain General Electric ou l’américano-japonais Toshiba-Westinghouse – les principaux concurrents d’Areva dans les réacteurs ? "Je n’exclus rien", répète M. Proglio.
Le couple EDF-Areva restera structurant, mais la filière "française" sera de moins en moins tricolore à mesure que le marché nucléaire se développera. L’Union européenne veut aussi défendre ses industriels en jouant la carte de la sécurité. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, a annoncé, début mars, une initiative pour que les Européens établissent en commun les critères de sûreté et de non-prolifération les plus stricts, et les rendent "juridiquement contraignants partout dans le monde". La bataille peut aussi se jouer entre "low cost" et "high-tech".
Jean-Michel Bezat
Les projets se multiplient
434 réacteurs sont aujourd’hui en exploitation dans le monde, et 57 sont en construction, selon la World Nuclear Association.
Constructions : le programme chinois est le plus ambitieux, puisqu’il prévoit plusieurs dizaines de réacteurs dans la décennie à venir. Aujourd’hui, 23 réacteurs, dont deux EPR français (troisième génération) sont en construction. La Corée du Sud en bâtit 6, Taïwan 2, l’Inde 6, le Pakistan 1 et le Japon 1. L’Iran souhaite mettre son premier réacteur en service en 2010, si les Russes lui fournissent le combustible. La Russie a 10 réacteurs en chantier.
En Europe, le nombre est plus modeste : 1 en France, 1 en Finlande et 2 en Slovaquie. Un seul est en construction aux Etats-Unis, 1 au Brésil et 1 en Argentine.
Fermetures : entre 1950 et 2008, 121 réacteurs ont été arrêtés, en Europe (75), en Amérique du Nord (31) et dans les pays de l’ex-bloc soviétique (12).