La paix ou la liberté ? Les Afghans partagés après l’accord américano-taliban

Agée de 20 ans, l’étudiante Fazila Salehi s’enthousiasme d’avoir passé la semaine dernière une rare soirée avec les siens hors de la maison familiale. Un événement joyeux, permis par la trêve précédant l’accord américano-taliban, qui ne la laisse pourtant pas sans crainte pour le futur de l’Afghanistan.

« C’était la meilleure semaine de ma vie, une semaine paisible », s’émerveille cette future journaliste, décrivant son excursion nocturne dans la banlieue de sa ville natale de Herat (Ouest) comme « un doux rêve ». « En huit mois, c’était la première fois que nous sortions pour nous amuser. »

Mais la griserie du moment n’était pas totale, admet-elle. Car dans l’air flottait également un possible retour au pouvoir des talibans, qui lorsqu’ils régnaient sur l’Afghanistan, avaient anéanti les droits des femmes.

Samedi, Etats-Unis et insurgés ont signé à Doha un accord sur le retrait des troupes américaines du pays en échange de garanties sécuritaires.

Si un dialogue interafghan entre les rebelles, le gouvernement de Kaboul, l’opposition et la société civile doit démarrer le 10 mars afin qu’ils tentent de s’accorder sur l’avenir du pays, aucun engagement relatif au droits de l’Homme ou au droit des femmes ne figure dans ce texte.

« Nous avons peur et nous sommes nerveux. En tant que femme, je ne m’attends pas à être autorisée à sortir et à jouir de la même liberté que celle dont je jouis actuellement », s’inquiète Fazila Salehi, interrogée par l’AFP.

« Je prévois de travailler après avoir obtenu mon diplôme, mais si les talibans reviennent, je ne pense pas qu’ils me le permettront. »

Des millions d’Afghans ont fui leur pays dans les années 1990 alors qu’il était en proie à une guerre civile brutale, qui a fait des dizaines de milliers de mort. Les talibans ont pris le contrôle en 1996, multipliant ensuite les exactions.

La famille de Kharetar Safi, 29 ans, a cherché refuge en Iran. « Ils ont fui pour que ma soeur et moi puissions aller à l’école. (…) Mais c’était toujours leur rêve de revenir en Afghanistan », affirme à l’AFP cette militante des droits de l’Homme basée à Kaboul.

Les Safi sont finalement rentrés en 2006, après qu’une coalition internationale menée par les Etats-Unis a chassé les talibans du pouvoir en 2001.

Ces 18 dernières années, la présence des forces étrangères a permis de populariser l’éducation et le travail des femmes dans les villes. Leurs droits restent toutefois très relatifs dans les campagnes.

– très partagée –

Kharetar Safi s’avoue très partagée quant à l’accord signé à Doha.

« Je suis optimiste dans le sens où les vies des gens ne seront plus perdues (mais) je suis très inquiète au sujet des lois imposées par les talibans et leur idéologie stricte ».

Alors que la semaine de trêve partielle débutée le 22 février, exigée par Washington pour pouvoir signer l’accord avec les talibans, a vu les violences s’effondrer en Afghanistan, beaucoup craignent que la peur constante d’un bain de sang ne soit remplacée par la crainte d’une restriction des libertés.

« Peut-être que nous ne serons plus témoins d’attentats-suicide ou d’explosions en Afghanistan, mais nous pourrions au contraire perdre notre indépendance en tant que femmes afghanes », estime la photographe kaboulie Nilofar Niekpor, couverte d’un manteau grenat très tendance, un voile négligemment posé sur ses cheveux.

Certains, comme Khalil Rasuli, un professeur d’université d’Herat, se disent toutefois prêts à courir le risque dans l’espoir d’une « paix durable ».

« Cette dernière semaine, ma famille et moi sommes allés dans de nombreux lieux de divertissement (…) pour respirer de l’air frais, pour voir des espaces verts ».

« Mes enfants et moi sommes allés manger une glace presque tous les jours », poursuit-il, ajoutant que de tels moments de normalité auraient été « impossibles » encore début février.

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