L’imam de Bangui à Atlasinfo: « La parole de Dieu est plus forte que toutes les armes du monde »
De passage à Paris après Amsterdam et Bruxelles et avant de se rendre à Londres pour réclamer davantage d’aide humanitaire et militaire pour la Centrafrique, l’archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, et l’imam de Bangui, Oumar Kobine Layama, figures emblématiques avec le Révérend de Bangui de la paix en Centrafrique, se sont entretenus avec le président François Hollande et ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères. Atlasinfo a rencontré l’imam. Dans cet entretien, il rejette l’étiquette religieuse accolée à la guerre qui sévit dans son pays et accuse l’ancien président, François Bozizé, d’avoir posé les jalons de cette instrumentalisation de la religion.
Propos recueillis par Hasna Daoudi
Nous, chefs religieux, avons proclamé haut et fort depuis des mois que cette guerre n’est pas une guerre interreligieuse. C’est une guerre pour le pouvoir. La religion est un alibi et nous dénonçons de toutes nos forces cette instrumentalisation. Aucune autorité religieuse musulmane ou chérifienne n’a appelé les Centrafricains à prendre les armes contre les musulmans ou les chrétiens. Pour nous, c’est un conflit politique même si nos églises et nos mosquées ont été profanées. Dans ce chaos, il faut rappeler la responsabilité de l’ancien régime. C’est bien Bozizé qui, confronté aux Séléka (ex-rébellion à majorité musulmane), a posé les jalons de ce dramatique amalgame en organisant des campagnes antimusulmanes dans le seul but de se maintenir à la tête du pouvoir. Il avait créé et mis en place la milice COCORA pour alimenter le sentiment antimusulman. Une commission d’enquête internationale est nécessaire pour déterminer sa responsabilité dans ce chaos.
Avec l’archevêque de Bangui, vous avez entrepris une tournée européenne. En quoi consiste votre mission?
C’est un appel à la paix et surtout à la réconciliation. Sans réconciliation, il n’y aura pas de paix. Utiliser la religion pour opposer les Centrafricains a provoqué un bain de sang et un drame humanitaire sans précédent. Mais il y a une lueur d’espoir. Tous les Centrafricains n’ont pas endossé cet esprit de haine. Il y a des quartiers où les communautés ont continué à vivre ensemble et en symbiose. Moi-même, je suis hébergé depuis le 5 décembre par mon ami, Mgr Nzapalainga, dans son église.
Notre mission est aussi d’alerter la communauté internationale sur la situation humanitaire et sécuritaire de notre pays. Nous appelons la communauté internationale à accroître son soutien et son aide aux nouvelles autorités de transition afin de désarmer les Séléka et les anti-Balaka qui continuent d’imposer leur loi sur presque l’ensemble du pays.
Est-ce votre voix, vous les dignitaires religieux, a des chances d’être plus forte que celles des balles et des machettes ?
La parole de Dieu est plus forte que toutes les armes du monde.
Vous avez dit que les musulmans en Centrafrique sont sur une braise …
Oui parce qu’on oublie que les musulmans sont aussi les victimes des Séléka. J’avais interpellé l’ex-président Michel Djotodia pour qu’il mette fin aux exactions de la milice Séléka après le départ de Bozizé. Je lui avais dit que si demain le pouvoir change de camp, ce sont les musulmans qui vont payer cher ce terrible amalgame et vont subir vengeance et haine. Aujourd’hui, les Séléka et les milices chrétiennes anti-Balaka instrumentalisent nos jeunes, désœuvrés et sans avenir, dans un cycle de représailles sans fin. Ces seigneurs de la guerre ne sont que des groupuscules crapuleux qui se servent de la fibre religieuse pour assouvir leurs propres intérêts.
L’intervention française a-t-elle été nécessaire ?
L’intervention française nous a permis d’éviter le pire. Mais le risque d’un génocide est toujours présent, tout comme un risque d’une partition du pays. Il faut d’urgence une opération de maintien de la paix de l’ONU en Centrafrique.
Quel est le rôle du contingent marocain en Centrafrique ?
Les soldats marocains sont là pour sécuriser la route aux humanitaires qui acheminent les aides et les vivres aux Centrafricains déplacés, menacés de famine et de maladies. Sans sécurité, les humanitaires ne peuvent pas accomplir leur travail. Le volet humanitaire est l’une des priorités dans notre pays. Nous souhaitons que le Maroc, un grand pays d’Afrique, puisse élargir son assistance humanitaire au domaine sécuritaire.