Jeannette Bougrab : «Je ne connais pas d’islamisme modéré»

Jeannette Bougrab : «Je ne connais pas d’islamisme modéré»
Dans une interview au «Parisien» – «Aujourd’hui en France» à paraître ce samedi, Jeannette Bougrab, secrétaire d’Etat à la Jeunesse, s’inquiète du succès des partis islamistes au Maroc, en Tunisie et en Egypte. Fille de harki, elle pousse un coup de gueule contre la montée de l’islamisme après le Printemps arabe. Une voix isolée au sein du gouvernement.


En Tunisie, au Maroc et en Egypte, on assiste à une poussée des islamistes. Cela vous inquiète-t-il ?

JEANNETTE BOUGRAB. Oui. C’est très inquiétant. Je ne connais pas d’islamisme modéré.

Il ne faut pas croire ceux qui se présentent – ou que l’on qualifie – de « modérés » ?
Non. L’égalité ne peut pas être à géométrie variable. L’Etat de droit se mesure notamment en fonction du degré ou du respect des droits des femmes et je n’accepte pas l’idée qu’on puisse fonder une Constitution sur la charia, système religieux fondamentalement inégalitaire. La démocratie n’est pas un supermarché où l’on pourrait prendre uniquement ce qui nous fait plaisir.

Ces « modérés » disent que la charia peut n’être qu’une source d’inspiration…
Il n’y a pas de charia light. Je suis juriste et on peut faire toutes les interprétations théologiques, littérales ou fondamentalistes que l’on veut, mais le droit fondé sur la charia est nécessairement une restriction des droits et libertés, notamment de la liberté de conscience, car l’apostasie est interdite. Il n’est pas possible de se convertir. Les mariages mixtes ne sont pas reconnus. Une femme musulmane ne peut pas se marier avec un non-musulman. Aux yeux de certains, ce n’est peut-être pas grave si des femmes doivent désormais être voilées ou si demain elles n’ont plus les mêmes droits. Pas pour moi. Je ne transige pas sur cette question de l’égalité juridique. Et il faut être attentif au double langage.

Le discours de la diplomatie française, plutôt mesuré envers ces régimes, devrait être plus ferme ?
Je ne suis pas ministre des Affaires étrangères. Je réagis en tant que citoyenne, en tant que femme française d’origine arabe. Je sais le prix qui a été payé par les gens qui sont restés de l’autre côté de la Méditerranée, notamment au moment du terrorisme islamiste qui a fait plus de 200 000 morts en Algérie. Je suis d’ailleurs contente de voir qu’à Alger une loi est adoptée pour interdire la constitution de partis politiques par les anciens du FIS.

Alain Juppé a félicité les dirigeants d’Ennahda en Tunisie et du Parti de la justice et du développement au Maroc…
Il ne s’agit pas de rompre les liens diplomatiques avec le Maroc. En 2003-2004, dès les premières années de son règne, Mohammed VI a modifié la Moudawana (Code de la famille) pour réduire la polygamie, la répudiation et interdire les mariages précoces. Va-t-on revenir sur ces textes ? En Egypte, on a vu les violences dont sont victimes les chrétiens coptes. Aujourd’hui, sur la place Tahrir, des femmes sont agressées parce que ce sont des femmes. Ben Ali ou Moubarak avaient agité le chiffon rouge des islamistes pour obtenir le soutien des pays occidentaux. Mais il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse. Moi, je ne soutiendrai jamais un parti islamiste. Jamais. Au nom des femmes qui sont mortes, de toutes celles qui ont été tuées, notamment en Algérie ou en Iran, par exemple, parce qu’elles ne portaient pas le voile.

La France aurait-elle dû être plus exigeante au moment où les nouvelles autorités libyennes ont parlé de charia ?
Le président de la République a assuré que la France serait très vigilante sur la question du droit des femmes et de la liberté religieuse. Les manifestations d’ouvriers, de femmes, de jeunes qui se déroulent en ce moment à Tunis ou au Caire, pour réclamer le respect des principes d’égalité et de laïcité, montrent que les choses ne sont pas jouées. Je me refuse à croire qu’il y aurait une sorte de malédiction sur ces pays arabes, que le choix devrait se résumer entre les dictateurs et l’islamisme, entre la peste et le choléra.

Mais il y a eu des élections…

Parfois la dictature est venue des urnes. Je fais partie de celles qui estiment qu’on peut interdire des partis politiques fondés sur des pratiques qui portent atteinte à une Constitution. C’est ce qui se passe en Allemagne avec l’article 21 de la loi fondamentale. L’histoire a montré aux Allemands que la démocratie peut être fragile.

Plus de 30 % des Tunisiens de France ont voté pour Ennahda aux législatives…
Oui et cela montre un vrai échec. Alors que les jeunes en Tunisie ont risqué leur vie pour la liberté, les forces conservatrices sont aussi venues de France. Je trouve choquant que ceux qui ont les droits et libertés ici aient donné leur voix à un parti religieux. Je pense à ceux qui, dans leur pays, ont été arrêtés, torturés pour défendre leurs convictions. On leur a en quelque sorte volé la révolution.

(Source Le parisien)

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