Et 1… et 2… et 23 zéros (Libération)

Battus 2-1 hier par l’Afrique du Sud, les Bleus sont éliminés dès le premier tour d’un Mondial qui risque d’écorner pour longtemps l’image du football français.

Et 1... et 2... et 23 zéros (Libération)
Il était presque 19 heures quand Florent Malouda, tout frais sorti de la douche, s’est pointé dans un couloir du Free State Stadium de Bloemfontein, devant la demi-douzaine de journalistes qui avaient joué le fin fond de la zone mixte, dévolue aux échanges entre la presse et les joueurs – s’arrêtera, s’arrêtera pas ? Une heure plus tôt, les Bleus avaient perdu (2-1) contre l’Afrique du Sud et bouclé la pire Coupe du monde de leur histoire, entre l’élimination au premier tour, le «fils de pute» de Nicolas Anelka à Raymond Domenech et le boycott de l’entraînement de dimanche.

«Craqué». A l’arrivée du joueur de Chelsea, il faut bien dire que l’auditoire était un brin désinvolte. Puis, ça a tourné. «On a essayé de faire les choses bien. Physiquement, on était costaud. En revanche, on a craqué psychologiquement pendant cette Coupe du monde. C’est comme ça. C’est l’image qu’on laisse [une image d’enfants gâtés inconscients et ingérables, ndlr]. On s’est refermé sur nous-mêmes et ensuite… enfin bon, on assume.» Malouda prend son temps, comme s’il allait y passer la nuit. «L’affaire du boycott, on a mal jugé l’impact auprès des gens. Honnêtement, moi, j’étais pour, mais je n’ai pas fait de prosélytisme. Tout s’est fait spontanément.»

Le défenseur Eric Abidal, à moins de dix mètres : «Là, il est possible qu’on n’ait pas fait le bon choix. Nous avions pris notre décision, on était tous dans le bus, et Patrice Evra [le capitaine] a dit : "Ceux qui veulent descendre peuvent le faire." Peut-être qu’au fond d’eux-mêmes, certains n’étaient pas d’accord. Mais personne n’est descendu, et on n’a attaché personne. OK, on a été maladroit [de boycotter l’entraînement], mais c’était le seul moyen qu’on avait pour traduire notre mécontentement. Les mots rapportés dans la presse [«va te faire enculer», «sale fils de pute»], ce ne sont pas ceux d’Anelka.»

Malouda, encore : «Ce qui a été dit dans la presse, ce n’est pas ce que Nico [Anelka] a dit. En plus, c’était sa réaction à un moment et dans une situation particulière. Elle est certes un peu forte, mais Nico, ce n’est pas un voyou. On a déplacé les responsabilités de l’échec sur Nico. Il a tout pris sur la gueule. Mais ça ne marche pas comme ça. Il y a un truc qui ne va pas depuis un bon moment : on a des joueurs, mais pas d’équipe. Le coup du bus [où ils sont restés au lieu de s’entraîner dimanche], on n’a trouvé que ça pour exprimer que la fédération n’a pas jugé utile de rétablir la vérité sur les mots de Nico. Personne n’a imaginé l’image que cet épisode donnerait de nous.»

«Isolé». Une question finit par tomber sur le Mondial des Bleus, la qualité de jeu, l’élimination. «On s’est angoissé par rapport au résultat, puis c’est parti dans tous les sens. Le groupe a réagi humainement. Et de la mauvaise façon. Si c’est sorti de cette façon-là [la sortie d’Anelka, l’affaire du boycott…], c’est qu’il y avait beaucoup, beaucoup de nervosité. C’est difficile de vivre isolé. Tu n’as plus la perception juste de ce qui se passe autour de toi. La chasse au traître, c’est pas le problème. On s’est cogné.» Voilà. On a appris hier que le phénoménal ratage des Bleus avait à voir avec le splendide isolement dans lequel on tient les superstars du ballon. Cet isolement va loin : ces mecs-là se sentent trahis par ceux qui les entraînent (la sortie de Malouda sur «le truc qui ne va pas depuis un bon moment»), ceux qui les dirigent et ceux qui racontent ça dans les médias. Ils l’expriment rarement. C’était hier, comme mot(s) de la fin d’un désastre majuscule.

Par Grégory Schneider

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