Disparition de Chirac : « Le Maroc perd un ami »

REPORTAGE. Grand ami du royaume chérifien et notamment du défunt roi Hassan II, Jacques Chirac avait une relation étroite avec le roi Mohammed VI qu’il couvait d’une affection quasi paternelle.

Journal de 13 heures à la radio. Dans un taxi de Rabat, la journaliste annonce la mort de Jacques Chirac ce 26 septembre. Le chauffeur réagit, attristé : « Ici tout le monde aime Chirac, c’est un ami du Maroc. » À la question de savoir « pourquoi ? », la réponse est elliptique : « C’est un fait, ça se transmet comme un héritage, on aime Chirac, c’est un grand homme bon », un point, c’est tout.

Le souvenir d’un soutien politique

Jamal Boushaba, journaliste critique d’art, développe, à propos des attaches du peuple marocain à l’égard de l’homme d’État français : « Tout le monde se souvient de l’accès de fureur de Chirac contre les soldats israéliens qui l’empêchent de saluer les Palestiniens. On se souvient de son refus de participer à la guerre en Irak parce qu’elle n’avait pas de sens. Chirac a joué un rôle particulier pour le monde arabe. »

Le positionnement politique de l’ancien président français à l’égard du royaume a marqué Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées du Maroc : « Il est extrêmement aimé dans ce pays parce qu’il a défendu l’unité marocaine dans le conflit autour du Sahara. Il a été un soutien indéfectible dans les crises qui nous ont touchés. » Et de se souvenir de sa première rencontre avec Jacques Chirac, en 2000, alors qu’il reçoit de ses mains sa première Légion d’honneur et de cette phrase adressée à des journalistes marocains : « L’Élysée est ouverte aux Marocains comme aux Français. » Avec beaucoup d’émotion, Mehdi Qotbi regrette un homme qui « savait parler au cœur des Marocains, un homme plein d’humanité ».

« Un homme bienveillant pour le Maroc »

L’humanisme de Jacques Chirac est présent dans toutes les bouches, même les plus critiques. Narjiss Nejjar, réalisatrice du film Apatrides, souligne la considération du président pour son pays. « Il y a des hommes d’État qui nous font sentir tiers-mondistes et d’autres qui parviennent à nous faire sentir du respect. De par sa considération, les Marocains ont une profonde tendresse qui dépasse presque les clivages politiques. » Elle insiste sur la bienveillance de l’homme d’État qui a marqué les esprits par des propos encourageants pour le Maroc. « Il nous a toujours regardés en disant : "C’est possible, votre rêve est possible" », poursuit-elle.

Ce regard bienveillant, Amina Benbouchta, artiste plasticienne de Casablanca, l’a trouvé quand même un peu « paternaliste ». Elle se rappelle d’une « caricature de la France d’une certaine époque, un bon vivant qui avait un certain sens de la repartie » avec qui elle n’était pas toujours d’accord d’un point de vue politique, mais pour qui elle a un « attachement sentimental ». Il était « un peu comme un grand-père qu’on aurait tous aimé avoir », plaisante-t-elle.

Un grand-père cool qui faisait rire la galerie. À l’annonce de sa mort, les réseaux sociaux français publient ses frasques et ses phrases les plus drôles, toutes générations confondues. C’est aussi le cas chez les Marocains connectés.

Un fort écho sur les réseaux sociaux marocains

Assise dans un café de Rabat, Fatima Zahra raconte qu’elle a appris la nouvelle par une collègue de bureau, avant de recevoir des messages sur WhatsApp : « Ma famille et mes amis en parlent dans nos discussions groupées, ils m’ont envoyé une vidéo de Chirac à l’annonce de sa mort », explique la jeune femme.

Chaba, doctorante en économie de 23 ans, ouvre son compte Instagram et regarde les stories de ses contacts. La célèbre photo de Chirac sautant au-dessus du tourniquet du métro apparaît chez un de ses amis, étudiant en sciences politiques. La légende qu’il a choisie : « Il savait dire non. » Une autre reprend l’image de Chirac avec Simone de Beauvoir, le hashtag « féminisme » accompagne la publication. Sur Facebook, la story de Mohamed Maradi, photographe des trois rois du Maroc, l’illustre aux côtés de l’ex-président français. La légende « Un grand homme nous quitte » se joint à l’image.

Sur Twitter, à 11 h 59 heure française le 26 septembre 2019, on peut lire : « L’ambassade du Maroc attristée par le décès de Jacques Chirac, ancien président de la République française, présente ses condoléances à la famille Chirac, à ses amis, à tous les Français pour la perte d’une figure emblématique de la vie politique française. Le Maroc a perdu un grand ami. »

Évidemment, la mort de Chirac ne touche pas toutes les générations de la même façon. Devant le musée Mohammed-VI, un policier d’une soixantaine d’années apprend la mort de l’homme politique dans un mouvement d’étonnement et de tristesse. Il avoue ne pas pouvoir s’exprimer officiellement sur le sujet avant d’avouer : « On a perdu un ami. Toutes mes condoléances. » De l’autre côté, des adolescents discutent sur une pelouse, un groupe de garçons fait du skate. Quand on leur demande ce qu’ils pensent de Chirac, ils reconnaissent n’avoir aucune idée de qui il s’agit. « Difficile donc de se sentir touchés par sa mort », plaisantent-ils.

Par Jane Roussel, à Rabat
Le Point

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