Avec l’Iran, Obama tient sa grande victoire diplomatique
« Je suis au début de mes travaux sur la scène mondiale »: en recevant son prix Nobel de la paix à l’aube de son premier mandat, Barack Obama prenait acte de la controverse suscitée par cette récompense surprenante.
L’accord a bien sûr ses détracteurs, aux Etats-Unis comme sur la scène internationale, d’Israël aux monarchies sunnites du Golfe. Et même s’il passe dans les semaines à venir la délicate étape du Congrès, il faudra attendre plusieurs années – longtemps après son départ de la Maison Blanche – pour en mesurer la portée réelle. Mais le 44e président américain peut cependant légitimement y voir la traduction concrète de l’un des principes fondamentaux de sa politique étrangère: donner sa chance au dialogue, même avec les ennemis de l’Amérique.
Il faut inlassablement essayer de trouver un équilibre "entre isolement et coopération, pressions et encouragements", expliquait-il en recevant son prix Nobel à Oslo en décembre 2009, martelant sa conviction que "les sanctions sans main tendue et les condamnations sans discussions" étaient vouées à l’échec. Là où son prédécesseur avait dressé une liste de pays infréquentables, traçant son célèbre "axe du mal", M. Obama a tenté l’ouverture, allant même jusqu’à franchir – en septembre 2013 – un cap longtemps impensable: une conversation téléphonique avec son homologue iranien Hassan Rohani.
Trente-cinq ans après la rupture de leurs relations diplomatiques dans la foulée de la Révolution islamique et de la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran, les deux pays – ainsi que les autres membres du P5+1 – sont tombés d’accord sur un document qui vise à empêcher Téhéran de se doter de l’arme nucléaire en échange d’une levée des sanctions qui étranglent l’économie iranienne.
"Pendant des décennies, notre politique a été de contenir l’Iran, pas de coopérer ou de travailler sur quelque sujet que ce soit. C’est un changement fondamental", souligne Aaron David Miller, du Wilson Center. "Que vous soyez pour ou contre cet accord, c’est significatif".
Pour Trita Parsi, du centre de réflexion National Iranian American Council, le texte adopté à Vienne est incontestablement la pièce maîtresse du bilan de politique étrangère de M. Obama, qui quittera la Maison Blanche dans 18 mois. Si le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba, annoncé il y a quelques jours, est "probablement plus parlant pour nombre d’Américains", cet accord avec la République islamique aura "des conséquences géopolitiques infiniment plus importantes", estime-t-il.
– ‘Mon nom sur l’accord’ –
A court terme, tous les yeux vont se tourner vers le Congrès américain. S’il n’est pas appelé à ratifier le texte (qui n’est pas un traité), il a cependant le pouvoir de le bloquer. Dans la lutte qui s’annonce, chaque voix comptera: si les élus du Capitole adoptent une motion de désaccord, M. Obama pourra encore opposer son veto. Mais ce dernier pourrait encore être surmonté si deux tiers des membres du Congrès s’opposent au président.
S’il franchit l’obstacle, quelle place occupera cet accord extrêmement technique, âprement négocié depuis près de deux ans, dans les livres d’histoire ?
Certains évoquent le rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine dans les années 1970 sous l’impulsion de Richard Nixon, qui avait effectué une visite historique à Pékin en février 1972. Mais le parallèle est – à de nombreux égards – imparfait. "Nous sommes encore très loin d’une normalisation entre les Etats-Unis et l’Iran", souligne Aaron David Miller, qui rappelle les nombreuses sources de tensions dans la région: soutien de Téhéran au régime Assad en Syrie, au Hezbollah au Liban, au Hamas dans la bande de Gaza ou encore aux Houthis au Yémen. Reste à savoir si cet accord peut marquer une transformation plus profonde, le début d’un dialogue plus large entre Washington et Téhéran. "L’histoire le dira, nous ne le savons pas encore. Mon sentiment est que cela n’arrivera pas", ajoute l’historien.
Pour Suzanne Maloney, de la Brookings Institution, cette "véritable percée", fruit du déploiement d’une "énergie diplomatique" hors-norme, doit être plutôt comparée aux accords conclus pendant la Guerre froide, par Ronald Reagan en particulier, sur le désarmement avec l’Union soviétique. "Il s’agissait d’accords stratégiques qui ont permis de gérer l’un des aspects les plus dangereux d’une relation entre adversaires", souligne-t-elle.
Conscient que sa démarche ne fait pas l’unanimité, M. Obama met pour l’heure tout son poids – et sa place dans l’histoire – dans la balance. "Mon nom sera inscrit sur cet accord", expliquait-il fin mai. "Personne n’a plus intérêt que moi à s’assurer qu’il tienne ses promesses".