Message royal aux participants au Congrès sur les minorités religieuses en terre d’Islam
Le roi Mohammed VI a adressé un message aux participants au congrès sur “Les droits des minorités religieuses en terre d’Islam: Le cadre juridique et l’appel à l’action”, dont les travaux se sont ouverts lundi à Marrakech.
“Louange à Dieu,
Prière et salut sur tous les Prophètes et les Messagers.
Mesdames, Messieurs,
Il Nous est agréable d’adresser ce message à votre conférence et de vous souhaiter la bienvenue et un agréable séjour à Marrakech, ville des rencontres et du dialogue des civilisations. Puisse Dieu couronner de succès les efforts que vous allez déployer au sein de cette assemblée pour la manifestation de la vérité et le redressement des idées erronées. La question dont vous allez débattre, à savoir “les droits des minorités religieuses en terre d’Islam” n’aurait, à priori, pas lieu d’être posée, tant sont connues les prescriptions et les enseignements de l’Islam et du patrimoine islamique en la matière. Cependant, les faits qui ont conduit à soulever la question dans la conjoncture actuelle, induisent pour les musulmans le devoir de préciser que ces faits ne reposent sur aucun des textes de référence en Islam. Il leur appartient, en effet, de démontrer, au besoin, que certains de ces événements, sous couvert de religion, sont intervenus dans des contextes et avec des motivations qui n’ont aucun rapport avec la religion.
C’est pourquoi Nous nous réjouissons de la tenue de cette conférence qui a vocation à faire connaître les valeurs authentiques des religions et à oeuvrer pour leur concrétisation en faveur de la paix et de la solidarité et au bénéfice de l’humanité tout entière. Notre espoir de voir réussir cette conférence est conforté par le poids et le profil remarquables de cette assistance où se trouvent réunis des responsables et des décideurs d’envergure internationale et des personnalités représentant différentes instances et institutions religieuses, ainsi que des penseurs et des acteurs clés du monde des médias, qui portent un intérêt particulier à cette thématique.
A cette occasion, Nous tenons à saluer les efforts que Notre ministère des Habous et des Affaires Islamiques a déployés pour assurer la préparation, l’organisation et la tenue de cette rencontre sous le Haut Patronage de Notre Majesté, et aussi pour lui avoir réuni toutes les conditions de succès. Nous voulons également exprimer Nos remerciements au Forum pour la consolidation de la paix dans les sociétés musulmanes que préside Cheikh Abdellah Ben Biya, et qui a le soutien de l’Etat des Emirats Arabes Unis.
Mesdames, Messieurs,
Rien ne nous paraît justifier, au Royaume du Maroc, que des minorités religieuses soient privées de l’un quelconque de leurs droits. Nous n’acceptons pas que ce déni de droit soit commis au nom de l’islam, ou à l’encontre d’un musulman, quel qu’il soit. Cette conviction qui nous anime procède d’une juste appréhension des préceptes de la religion. Nous la puisons aussi dans notre patrimoine civilisationnel et dans l’histoire séculaire du Royaume où les musulmans ont vécu en bonne intelligence avec les adeptes des autres religions.
La première source de référence pour ces principes auxquels nous sommes attachés en la matière est bien le Saint Coran qui proclame que Dieu honore l’Homme, en ce qu’il est humain. Et pour conforter cet honneur qui lui est fait, le Saint Coran réaffirme une vérité universelle, issue de la volonté divine, et qui se résume comme suit: Dieu le Très-Haut a voulu créer les gens différents par leurs religions, comme ils sont différents par leurs couleurs, leurs langues et leurs ethnies. C’est cela qui a instillé chez les musulmans leur disposition à accepter le pluralisme. Le Coran évoque abondamment les gens du Livre, faisant même obligation aux musulmans de croire en tous les Prophètes et les Messagers et de leur réserver les égards qui leur sont dus. En même temps, il exhorte à s’abstenir de toute provocation à l’égard des gens du Livre, avec lesquels les musulmans doivent débattre de la plus belle des manières. Il commande de les traiter avec équité en toutes circonstances, et de bannir la haine des relations entretenues avec eux. A cet égard, l’Islam n’a autorisé le jihad que pour se défendre ou défendre les choses sacrées le cas échéant. En aucun cas, il n’a admis son instrumentalisation pour forcer les gens à embrasser l’Islam.
La deuxième source de référence des principes qui sont les nôtres est la Sounna de Notre Aïeul, le Prophète -paix et salut sur Lui. Dans cette Tradition prophétique, qui apporte des applications pratiques explicitant le Coran, le Prophète recommande d’être bienveillant à l’égard des juifs et des chrétiens. Il exhorte à épargner la vie des moines et des fidèles cloîtrés dans les couvents et autres monastères dans les situations de confrontation. Il organise les rapports avec les juifs, pose les fondements devant régir les pactes et les conventions, ainsi que les règles de protection des églises et de leurs fidèles. Il reconnaît également le mariage avec les juives et les chrétiennes. La coexistence pacifique multiforme de l’Islam avec les adeptes des autres religions a eu un impact bénéfique dans tous les domaines d’activité, y compris les transactions commerciales, les métiers et les industries et les échanges culturels. C’est dire que pour l’islam, la paix et la sécurité sont à la base des rapports avec les autres religions.
Les Califes, après le Prophète – paix et salut sur Lui- se sont inscrits dans la même démarche judicieuse. Même la “Jiz’ya” (tribut), le plus souvent inférieure à la “Zakat” (aumône légale) imposée aux musulmans, n’était plus exigible de ceux qui ne pouvaient l’acquitter, et qui en ont été exonérés par le deuxième Calife, Omar. Les plus nécessiteux parmi eux ont même figuré parmi les bénéficiaires de la “Zakat”. Autre action inscrite à l’actif du Calife Omar: les assurances données aux juifs et aux chrétiens de protéger leurs lieux de culte et leurs biens, et de s’abstenir de les contraindre à renoncer à leur religion, et ce, conformément à cette parole divine : “Nulle contrainte en religion”. A rappeler également, à cet égard, la célèbre exclamation du Calife Omar “Depuis quand asservissez-vous les gens alors que leur mère les a mis au monde libres”? !!.
Les musulmans se sont inspirés de ces deux sources, le Coran et la Sounna, pour établir le système de la Charia dont les dispositions régissent l’attitude et la conduite des musulmans vis-à-vis des autres communautés religieuses. C’est, aussi, sur la base de ces dispositions que les minorités religieuses en terre d’islam ont bénéficié à grande échelle des droits qui leur ont été conférés et de la protection de leur vie et de leur dignité. Ils ont joui plus particulièrement du droit à la pratique de la religion, avec l’exercice de leurs cultes et l’application des stipulations de leurs droits canons. Tout cela est venu en application du principe institué par l’islam pour affirmer l’égalité, entre le Musulman et le non-Musulman, en ce qui concerne la préservation de l’inviolabilité de la vie et des biens.
Cet idéal s’est étendu, au-delà des droits, à la sphère des émotions, des sentiments et d’une conduite correcte à l’égard des Gens du Livre dans les situations de maladie et de funérailles, en faisant preuve de compassion vis-à-vis des personnes nécessiteuses et en pratiquant l’aumône et le waqf (biens de mainmorte).
Mesdames, Messieurs,
Au cours de son histoire, le Maroc a connu un modèle civilisationnel singulier de coexistence et d’interaction entre les musulmans et les adeptes d’autres religions, notamment les Juifs et les Chrétiens. Parmi les pans lumineux de l’histoire de cette concorde s’affirme la civilisation maroco-andalouse issue de cette convergence interreligieuse. En effet, commerces, arts se sont développés entre ces communautés qui partageaient aussi les fruits de la sagesse, de la philosophie et des sciences.
Ces échanges se sont d’autant plus intensifiés qu’un grand nombre de musulmans d’Andalousie se sont déplacés au Maroc dans des conditions difficiles, accompagnés de juifs venus rejoindre leurs coreligionnaires installés dans le pays bien avant l’avènement de l’islam. D’ailleurs, les Musulmans marocains n’ont jamais traité les Juifs comme une minorité. Mieux encore, et à l’image des musulmans, les juifs étaient présents dans toutes les activités et dans tous les domaines. Emanant de toutes les strates de la société, ils prêtaient leur concours à la construction de la société et exerçaient pour cela des fonctions et des charges au sein de l’appareil d’Etat, tout en portant la marque distinctive de leur culture. N’eût-été ce climat de quiétude et de droits dont ils jouissaient, ils n’auraient pu apporter la contribution qu’on leur reconnaît, jusqu’au jour d’aujourd’hui, aux sciences religieuses par la somme des efforts interprétatifs remarquables dont s’est enrichi le patrimoine juif mondial.
Mesdames, Messieurs,
En Notre qualité d’Amir Al-Mouminine et de protecteur de la religion et de la communauté des adeptes, Nous nous chargeons de préserver les droits des musulmans et des non-musulmans sans distinction entre eux. Nous protégeons leurs droits en tant que religieux, conformément aux principes de référence immuables que nous avons mentionnés précédemment. Nous les protégeons aussi en tant que citoyens en vertu de la Constitution. Nous ne voyons pas de différence en cela, au vu des objectifs et des finalités recherchés. Nous tenons de la sorte à persévérer sur la voie tracée par Nos glorieux Aïeux. A cet égard, contentons-nous de rappeler que Notre Arrière-Arrière-Grand-Père, Moulay El-Hassan, avait fait don d’un lot de terrain sur lequel se dresse jusqu’à présent l’Eglise Anglicane de Tanger. Rappelons aussi que Notre Grand-Père, feu Sa Majesté le Roi Mohammed V, a pris sous sa protection les juifs marocains pour les prémunir contre la tyrannie du Régime de Vichy allié des Nazis, et que Notre Père, feu Sa Majesté le Roi Hassan II, que Dieu ait son âme, a pris l’initiative d’accueillir le Pape Jean-Paul Il à l’occasion de la première visite que celui-ci a effectuée dans un pays musulman.
Nous perpétuons la même tradition en permettant aux Chrétiens, toutes communautés et églises confondues, résidant légalement au Maroc d’accomplir leurs devoirs religieux. Nous nous attachons aussi à ce que les Marocains de confession juive jouissent des mêmes droits que la Constitution attribue aux musulmans. C’est ainsi qu’ils adhèrent aux partis, participent aux élections, créent des associations et apportent des contributions méritoires à l’activité économique. Ils remplissent aussi pour Notre Majesté des missions consultatives et diplomatiques et tissent avec le reste de la société des liens affectifs profonds que les enfants de la deuxième génération de juifs ayant émigré aux quatre coins du globe continuent d’entretenir jusqu’à présent.
Mesdames, Messieurs,
Le Maroc a été un pays précurseur en matière de dialogue interreligieux. En effet, au lendemain de l’indépendance obtenue en 1956, il se tenait, chaque été au monastère de Tioumililine – situé sur une montagne de la région de Fès et occupé anciennement par des moines bénédictins- un rassemblement d’intellectuels et de penseurs, notamment musulmans et chrétiens, auquel prenaient part des personnalités d’envergure comme le célèbre penseur chrétien Louis Massignon. Ce sont là quelques facettes de la réalité de notre pays, que, d’ailleurs, la plupart d’entre vous connaissent bien. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que vous vous sentiez enclins à vous réunir dans notre pays aux traditions séculaires de tolérance et d’ouverture pour rendre une Déclaration forte à ce sujet et sur bien d’autres thématiques non moins importantes pour l’avenir.
Notre gestion actuelle des affaires religieuses au Maroc vise, entre autres objectifs clés, à s’opposer à toute désinvolture dans l’interprétation des textes religieux, notamment en ce qui concerne le Jihad au sujet duquel nos oulémas ont publié une déclaration énergique il y a quelques semaines.
Plus nous nous penchons sur les crises qui menacent l’humanité, plus nous nous persuadons de la nécessité d’une coopération impérieuse et inéluctable entre les adeptes de toutes les religions. Axée sur un même credo, cette coopération doit se fonder non seulement sur la tolérance et le respect, mais aussi sur l’attachement aux droits et aux libertés que la loi doit garantir et réglementer au niveau de chaque pays. Or il ne s’agit pas seulement de prévoir les règles de conduite à suivre, mais il importe aussi et avant tout d’observer un comportement civilisé qui récuse toute forme de contrainte, de fanatisme et d’arrogance.
Le monde où nous vivons aujourd’hui a besoin des valeurs de la religion, qui recèlent les vertus dont nous devons nous armer pour être dans les bonnes grâces de Notre Créateur, Dieu Tout-Puissant, et qui renforcent en nous la propension à la tolérance, à l’amour et à la coopération marquée du sceau de la charité et de la piété humaines. Nous avons besoin de ces valeurs communes non seulement pour nous inspirer de l’idéal de tolérance dont elles sont porteuses, mais aussi pour y puiser les ressources nécessaires à une construction renouvelée de l’humain, et la capacité de mobilisation pour jouir d’une vie exempte de guerres, de convoitises et d’inclinations à l’extrémisme et à la rancoeur, où l’humanité verrait s’estomper ses souffrances et ses crises en prélude à l’élimination des risques d’un clash des religions.
En souhaitant plein succès à votre rencontre, nous sommes confiant que l’essentiel à retenir de la déclaration attendue de votre réunion, pensons-nous, est l’idée que la religion ne doit pas être instrumentalisée pour justifier quelque atteinte que ce soit aux droits des minorités religieuses dans les pays musulmans.
Wassalamou alaikoum warahmatoullahi wabarakatouh.