Les Émirats arabes unis et le Soudan : une lecture sereine loin du tumulte médiatique

Par Dr Anwar Mohammed Gargash;
Conseiller diplomatique du Président des Émirats arabes unis, Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane.

Ces derniers mois, les interrogations concernant la position des Émirats arabes unis sur le Soudan et les questions régionales en général se sont intensifiées, notamment suite à une campagne médiatique sans précédent visant les Émirats arabes unis. Cette campagne est menée par des entités bien connues, ainsi que par d’autres dont l’implication dans ce dossier a été inattendue.

Cette agitation exige une analyse calme et objective de la position des Émirats arabes unis, une analyse qui évite les débats houleux et les réactions émotionnelles, et qui prend plutôt en compte le contexte stratégique qui a guidé la politique étrangère du pays ces dernières années.

Depuis 2018, la politique étrangère émiratie a connu une transformation notable, marquée par la fin de son rôle militaire direct au sein de la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen. Les forces émiraties ont joué un rôle déterminant dans des batailles cruciales de la libération d’Aden à la lutte contre Al-Qaïda à Mukalla et à la sécurisation de la côte Ouest. Cette décennie a été l’une des plus complexes de l’histoire de la région, durant laquelle les Émirats arabes unis ont assumé l’entière responsabilité de faire face au chaos généralisé qui menaçait la sécurité régionale.

Avec le recul, voire l’abandon des actions militaires, les Émirats arabes unis sont entrés dans une phase de transformation geo-économique où le renforcement de la compétitivité économique, la stabilité et l’ouverture aux investissements sont devenus des priorités absolues. Cette tendance a été accentuée par la pandémie de COVID-19, qui a souligné son importance dans un monde en mutation rapide.

Un renouveau s’est amorcé avec l’accession à la présidence de Son Altesse Cheikh Mohammed Ben Zayed Al Nahyane en 2022, qui a tracé une voie fondée sur une position internationale active, une économie régionale de premier plan, un écosystème d’investissement mondial et des ambitions technologiques fortes, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Parallèlement à ces priorités, la stabilité régionale est restée un élément essentiel de la stratégie de sécurité nationale des Émirats arabes unis.

Cette stratégie a été mise à rude épreuve après le 7 octobre, avec le déclenchement de la guerre à Gaza et les conflits subséquents au Liban et en Iran. À ce moment critique, les Émirats arabes unis ont joué un rôle déterminant dans les efforts diplomatiques complexes visant à obtenir un cessez-le-feu à Gaza, tout en étant le principal soutien humanitaire au peuple palestinien à Gaza, privilégiant ainsi les actes concrets aux simples déclarations d’intention.

Dans ce contexte turbulent, les Émirats arabes unis ont suivi avec une grande inquiétude l’évolution de la situation au Soudan. Le coup d’État de 2021 contre le gouvernement civil de transition a sonné l’alarme, ignorée par la communauté internationale malgré ses graves conséquences pour l’avenir du pays. Durant cette période, les Émirats arabes unis ont déployé des efforts considérables pour réconcilier le chef du Conseil de souveraineté, AAbdel Fattah Al-Bourhane et son adjoint, Mohamed Hamdan Dagalo, afin d’éviter l’effondrement militaire qui s’ensuivrait.

Depuis le début du conflit, la complexité du paysage soudanais est apparue clairement : d’un côté, une armée endoctrinée idéologiquement pendant plus de trente ans sous le régime d’al-Bashir et son alliance avec les Frères musulmans ; de l’autre, une force armée issue des rangs mêmes de l’armée. Cette réalité a rendu illusoire l’espoir d’une victoire militaire pour l’un ou l’autre camp, un fait confirmé par la situation sur le terrain.

Sur la base de cette évaluation, les Émirats arabes unis ont participé et apporté leur soutien à diverses initiatives régionales et internationales visant à mettre fin à la guerre, des plateformes de Djeddah, de Bahreïn et de Genève aux contacts bilatéraux. Il était évident que la prise de décision au sein de l’establishment militaire soudanais restait soumise à des calculs idéologiques étroits, faisant écho à des expériences soudanaises antérieures caractérisées par une dualité du pouvoir et une prise de décision ambiguë.

Une question troublante est parfois soulevée quant à l’intérêt des Émirats arabes unis pour le Soudan, comme si la sécurité régionale n’était pas interdépendante, ou comme si le soutien à d’autres acteurs régionaux dans le conflit était légitime, tandis qu’une position appelant à la neutralité et à un cessez-le-feu est accueillie avec scepticisme. La désignation par les Émirats arabes unis de l’armée et des Forces de soutien rapide comme parties au conflit armé n’était pas une position sélective, mais plutôt une évaluation réaliste qui privilégie les intérêts du Soudan par-dessus tout autre alignement. Cela a conduit à la conclusion claire qu’un gouvernement civil indépendant est la seule voie à suivre.

Cette préoccupation est indissociable de la mémoire collective soudanaise, marquée par l’expérience du régime de « Salut », qui a engendré une guerre civile dévastatrice, un isolement international étouffant et la transformation du Soudan en un refuge pour les figures extrémistes et terroristes. Cette expérience a même incité les forces civiles soudanaises à s’accorder sur la nécessité d’écarter les Frères musulmans du gouvernement et de la vie politique.

L’espoir le plus significatif dans ce sombre tableau est peut-être apparu en septembre 2025 avec la déclaration du Quartet (États-Unis, Arabie saoudite, Égypte et Émirats arabes unis). Cette initiative demeure la voie la plus réaliste et la plus sérieuse pour sortir de cette guerre civile dévastatrice, offrant une proposition globale comprenant une trêve humanitaire, un accès garanti à l’aide humanitaire face à une crise humanitaire sans précédent et une voie négociée vers une transition civile indépendante dans un délai défini. Cependant, le rejet de cette feuille de route par l’armée et ses alliés idéologiques témoigne de leur persistance à croire à un retour au pouvoir militaire, malgré l’histoire du Soudan jalonnée de renversements de tels régimes en 1964, 1985 et 2019.

Néanmoins, les Émirats arabes unis ont maintenu leur engagement politique et humanitaire, devenant l’un des principaux soutiens de l’aide humanitaire au Soudan, face à l’une des pires crises humanitaires que connaît actuellement le pays. Nos efforts se poursuivent malgré les défis et les difficultés.

Cette guerre ne se gagnera pas par les armes. Nous assistons à un rapport de force inégal entre les deux camps avec trente milices de chaque côté et à une guerre caractérisée par la brutalité des deux camps, qui fait des victimes civiles. Des crimes des Forces de soutien rapide à El Fasher à l’utilisation d’armes chimiques par l’armée d’ Abdel Fattah Al-Bourhane et aux massacres dans l’État de Gezira, ce conflit reproduit les tragédies historiques du Soudan. Le seul perdant du conflit est le peuple soudanais.

En résumé, la seule issue à cette tragédie réside dans un cessez-le-feu et la reprise d’un processus politique menant à un régime civil dans un délai raisonnable, ainsi qu’à une réconciliation nationale fondée sur la justice et la responsabilité. Ces mesures ouvriront la voie à la reconstruction et au rétablissement du prestige du Soudan.

Le Soudan a payé un lourd tribut au régime militaire, aux Frères musulmans et à leurs interventions irresponsables. Il ne peut se permettre de revivre une telle expérience.

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