Malgré les efforts incessants des secouristes dans l’amas de béton et de ferraille gisant en contrebas du pont, le bilan n’a pas beaucoup évolué dans la journée de mercredi: 39 morts et 16 blessés, dont neuf dans un état grave, ainsi que plusieurs disparus.
Trois enfants âgés de 8 à 13 ans figurent parmi les morts. Il y a également quatre jeunes Français, ainsi que trois Chiliens et un Colombien, selon les services diplomatiques de ces deux derniers pays.
A la demande de la région, "nous avons décrété l’état d’urgence pour 12 mois", a annoncé le chef du gouvernement, Giuseppe Conte, à l’issue d’un conseil des ministres extraordinaire dans la ville portuaire sinistrée.
Cet état d’urgence offre un "cadre normatif" pour la gestion du site et l’assistance aux plus de 630 personnes évacuées et dont les habitations, en contrebas de ce qui reste du pont, sont condamnées, a expliqué le président de la région, Giovanni Toti.
Flanqué des deux hommes forts du gouvernement, Luigi Di Maio et Matteo Salvini, M. Conte a aussi annoncé le déblocage d’une première tranche de 5 millions d’euros d’aide d’urgence, ainsi qu’une journée de deuil national, à une date qui reste à déterminer pour coïncider avec une cérémonie de funérailles des victimes.
Environ 35 voitures et plusieurs camions, selon la protection civile, ont été précipités dans le vide d’une hauteur de 45 mètres dans l’effondrement soudain et inexpliqué d’une portion de plus de 200 mètres du pont Morandi, un ouvrage massif en béton de la fin des années 1960 qui a régulièrement dû faire l’objet d’importants travaux d’entretien.
L’effondrement "n’est pas dû à la fatalité", a martelé le procureur de Gênes, Francesco Cozzi, venu sur les lieux, alors que l’enquête vient seulement de débuter.
M. Conte a confirmé que le gouvernement entendait révoquer la concession de la société gérant le tronçon d’autoroute, Autostrade per l’Italia (groupe Atlantia, lui-même contrôlé à 30% par la famille Benetton).
5ème pont à s’effondrer en Italie
Sous le feu de critiques incendiaires de toutes les figures du gouvernement, la direction d’Autostrade per l’Italia, qui gère près de la moitié des quelque 6.000 km d’autoroute du pays, a mis en avant mercredi le sérieux de sa surveillance de l’ouvrage.
Le tronçon de Gênes était analysé "à un rythme trimestriel en suivant les normes légales et avec des vérifications supplémentaires d’appareils hautement spécialisés", a-t-elle avancé.
Pour M. Di Maio, chef de file du Mouvement 5 étoiles (M5S, populiste), le pont s’est écroulé "parce que la maintenance n’a pas été faite".
"Pendant des années on a dit que faire gérer les autoroutes par des privés était mieux que par l’Etat. Maintenant on a l’un des plus grands concessionnaires européens qui nous dit que ce pont était en sécurité", a dénoncé M. Di Maio.
Le viaduc de Gênes est le 5ème pont à s’effondrer en Italie en cinq ans: deux en Sicile en 2014, dont l’un le lendemain de son inauguration, et deux autres en Lombardie et dans les Marches en 2017.
Cette série "prend un caractère de régularité inquiétante", a relevé Antonio Occhiuzzi, expert à l’Institut de technologie des constructions au Centre national de recherches (CNR), selon lequel "des dizaines de milliers de ponts en Italie ont dépassé aujourd’hui la durée de vie pour laquelle ils avaient été conçus et construits", et nécessitent une rénovation.
Les appels à un grand plan d’investissement dans les infrastructures risquent cependant de se heurter aux réticences du M5S. En 2013, le fondateur du parti, Beppe Grillo, avait dénoncé un projet de nouveau tronçon autour de Gênes en raillant "la vieille fable de l’écroulement imminent du pont Morandi".
Mercredi soir, des centaines de pompiers s’affairaient toujours dans les décombres, avec l’aide de chiens et de pelleteuses.
"C’est une phase difficile pour tous parce que nous sommes arrivés à un nombre de victimes très élevé (…). Il reste évidemment l’espoir pour les secouristes de retrouver quelques survivants mais plus le temps passe, plus c’est difficile", a déclaré à l’AFP Riccardo Sciuto, commandant des carabiniers de la Province de Gênes.
Un habitant de la ville, Francesco Bucchieri, 62 ans, observait mercredi le désastre, incrédule. "Je n’arrive pas à me dire que tout cela est réel, j’ai encore l’impression que nous sommes dans un film".
Le drame s’est déroulé mardi en toute fin de matinée, sous une pluie battante, dans un énorme grondement qui avait fait craindre aux riverains un tremblement de terre.
"A un certain moment, tout a tremblé. La voiture qui se trouvait devant moi a disparu et semblait engloutie par les nuages. J’ai levé les yeux et j’ai vu le pylône du pont tomber", a raconté au Corriere della Sera le conducteur d’un camion vert resté arrêté à quelques mètres du vide. Il a d’abord mis la marche arrière, puis est parti en courant.