L’initiative royale pour l’Afrique, « une ouverture sur l’Autre dans un moment où le chacun pour soi est devenu la règle » (expert)
Pour Cherkaoui Roudani, expert en géostratégie et sécurité, la proposition du Roi Mohammed VI de lancer une initiative africaine conjointe pour contrer le coronavirus est « une ouverture sur l’Autre dans un moment où le chacun pour soi est devenu la règle ». Selon l’expert, le Maroc pourra jouer un rôle précurseur dans le continent dans la gestion des crises pandémiques grâce à sa gestion de cette crise sanitaire citée comme exemple.
Le Roi Mohammed VI a proposé une initiative africaine pour contrer la pandémie du Covid-19. Est-ce dans la continuité de la politique africaine du Maroc ?
D’abord, Il faut le souligner, le Maroc est l’un des rares pays dans le monde qui ont pris des mesures à bon escient dans le temps et l’espace. C’est un choix anticipatif qui a été acté grâce à la vision et au leadership du Roi. Alors que des pays ont mis beaucoup de retard pour fermer leurs frontières et leurs espaces aériens, Rabat a choisi extraordinairement de favoriser la sécurité et la protection de la population sur la préservation de son économie. Les mesures prises pour soutenir l’économie du pays ainsi que les capacités fonctionnelles qui se sont mises en place pour gérer toutes les questions de cette pandémie montrent la pertinence d’un modèle, qu’il faut dire, avant-gardiste dans la région et dans le continent. C’est une expertise qui peut orienter et faciliter la gestion de la pandémie dans plusieurs pays africains.
Deuxièmement, le Roi Mohammed VI est l’un des rares Chefs d’Etat dans le monde qui a fait plus de voyage en Afrique, en visitant plus 25 pays africains. Avec plus de 47 visites étatiques, le Maroc a pu initier des projets de fortes valeurs rajoutées dans ces pays. C’est le cas pour l’Initiative pour l’Adaptation de l’Agriculture Africaine au changement climatique, dite « Initiative 3A », qui a été promue lors de la COP22. De fait, cette initiative de mettre en place un mécanisme collaboratif et concerté entre les Chefs d’Etat afin de faire face à l’impact sanitaire, économique et social de la pandémie rentre dans la continuité des actions d’une forte valeur du Souverain marocain dans le continent africain. Il faut dire aussi que même avant le retour institutionnel à l’UA, le Maroc a toujours été présent avec un esprit de solidarité sempiternelle lorsqu’il y avait un besoin. Dans le domaine de la paix et la sécurité, Rabat a joué à maintes reprises un rôle majeur dans la médiation dans des conflits compliqués comme la crise du Fleuve Mano ou bien dernièrement la crise libyenne. D’autres initiatives remarquables et remarquées ont été prises comme l’annulation de la dette des pays africains les moins avancés lors du sommet Europe-Afrique en 2000 au Caire. Outre son engagement dans le cadre de l’initiative pays pauvre très endettés en exonérant les produits de plusieurs pays africains des droits de douane à l’entrée du marché marocain, le Maroc ne cesse d’accorder annuellement environ 300 millions de dollars sous forme d’aide publique au développement à ses amis et partenaires africains. Cette aide au développement destinée aux pays africains représente 10% de la totalité de ses échanges avec l’Afrique. Pour dire, cette initiative royale pour faire face à la pandémie Covid-19 est une ouverture sur l’Autre dans un moment où le chacun pour soi est devenu la règle.
La gestion de pandémie par le Maroc est citée comme exemple. Comment le Maroc peut aider ses partenaires africains à faire y face ?
Comme je viens de dire, certains pays dans le continent et dans le monde ont mis l’économie avant l’être humain et de ce fait ils ont enregistré un grave retard en ne prenant pas les mesures nécessaires à temps. Le Maroc avec un regard visionnaire n’a pas hésité à déclencher toute une batterie de mesures adéquates et anticipatives. C’est pourquoi, la manière avec laquelle le Maroc gère cette pandémie est exemplaire à bien des égards. Que ce soit au niveau de la conception de la solution à la problématique sanitaire, ou bien au niveau des mesures prises afin accroître la capacité de résorption du choc du confinement, le Maroc est précurseur d’une conception stratégique pour faire face à la propagation d’une pandémie. Cette approche peut bien inspirer les pays du continent.
Alors que cette crise sanitaire mondiale a imposé la logique de chacun pour soi, le Maroc n’a pas hésité à répondre favorablement à la demande du Président malien IBK en offrant l’hôpital militaire marocain de Sébénikoro, encadré par une équipe de 106 personnes, dans la banlieue de Bamako, pour recevoir les patients infectés par le coronavirus. L’expertise que dispose le Maroc dans la construction des hôpitaux militaires de compagne est mondiale. De fait, le Maroc ne restera pas insensible en cas de catastrophe sanitaire dans un pays avec lequel il entretient des relations solides.
Néanmoins, cette crise mondiale a montré l’importance de la gestion anticipative des pandémies. Aujourd’hui la sécurité sanitaire s’est révélée plus conséquente en termes de dégât humains et d’impacts économiques. C’est pourquoi, la mise en place d’un système de surveillance médicale mondiale pourrait constituer un moyen de prévention et de gestion des pandémies. Cette stratégie permettra de créer des mécanismes de riposte lorsqu’il y a un déclenchement d’une maladie qui tend vers une épidémie au niveau local ou national. Cette structure internationale permettra d’éclairer sur les protocoles de confinement et d’atténuation précoces et précisera comment gérer collectivement l’épidémie si elle propage à l’échelle mondiale. Le Maroc pourra jouer un rôle précurseur dans le continent dans la gestion des crises pandémiques.
Quid de la situation sanitaire en Afrique et comment l’Afrique peut-elle résister à l’impact dévastateur de cette pandémie ?
Nul doute, aucun pays dans le monde n’est paré contre cette pandémie et y compris le continent africain. Pis encore, alors que la pandémie est à son apogée en Chine, le trafic aérien n’a cessé avec plusieurs pays notamment l’Ethiopie, Kenya et l’Egypte. L’une des importantes compagnies, Ethiopian Airlines maintient jusqu’à présent ses vols à destination de la Chine. Ce type de liaison aérienne engendre mécaniquement un nombre conséquent des contaminés dans les pays. C’est le cas de l’Egypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud qui ont été cités dans étude scientifique publiée récemment dans la prestigieuse revue médicale The Lancet. L’étude a montré l’exposition de ces trois pays et leur vulnérabilité à une forte contamination. Selon cette étude scientifique, le flux important des voyageurs entre le Chine et certains pays du continent, en rajoutant le paramètre de manque de moyens et la capacité de contrôler la transmission, de détection ainsi que l’hibernation et l’incubation virale du virus chez l’être humain, il faut dire que le nombre déclarés jusqu’au 21 Avril et qui s’élève officiellement à 2.3267 cas est un peu sous-évalué. Conséquemment, le continent pourrait être le second foyer et doit s’attendre au pire. De surcroit, la réaction sanitaire dans certains pays a mis quelque temps à se mettre en place ; ce qui vraisemblablement aura un impact sur la vitesse de la propagation du virus.
Il est important de souligner qu’un bon nombre de pays du continent ne disposent pas d’un système de santé capable de répondre aux exigences des protocoles de confinement, de détection et de test en masse de la pandémie Covid19. De fait, le système de santé dans le continent est son talon d’Achille. Dès lors, on peut dire que la pandémie avance en silence dans plusieurs pays qui n’ont pas de moyens ou pas assez pour en faire face. Au niveau économique, la situation est critique et il faut prévoir le scénario d’une récession dramatique. Sans aucun doute, cette pandémie va impacter massivement l’économie du continent ainsi qu’un ensemble de paramètres dans les équations sociales et politiques futures. Sans des plans de réponses adéquats, certaines vulnérabilités vont s’accentuer dans le continent.
Cette vision de l’ampleur de la crise est matérialisée par certaines décisions politiques. Devant une incapacité de mettre des dispositifs de réponse appropriée, des pays ont refusé catégoriquement d’appliquer un confinement de la société et un arrêt de certaines activités économiques, qui pourtant pourraient même faciliter la propagation. C’est le cas du Burundi, Bénin et la Tanzanie qui ne se voient pas capables d’imposer des mesures coercitives en préférant de garder la machine économique tourne pour parer au plus pressé. Il faut dire, que beaucoup de pays n’ont pas pu prendre des mesures appropriées et adéquates pour lutter contre la contamination. Cette réalité combinée au manque d’infrastructures est une véritable menace sur le continent.
Pensez-vous que l’onde de choc de la pandémie va impacter lourdement les économies africaines ?
C’est l’une des conséquences inéluctables de cette pandémie. Si cette crise va bouleverser la logique ordinaire, il n’épargnera désormais aucun pays et aucune économie ne sera à l’abri des secousses de ce tremblement que connaissent les marchés économiques et financiers. L’intensité des conséquences dépendra de la durée de confinement des Etats acteurs de l’économie mondiale. L’Afrique a des relations économiques avec l’occident et notamment les pays les plus touchés par le coronavirus à savoir les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne et la Chine. L’impact va différer d’un secteur à l’autre et d’un pays à l’autre. Sachant bien que le commerce interafricain ne dépasse pas de 17% du total de leurs échanges extérieurs. Ce qui reflète une indépendance importante aux aléas de la globalisation.
Cette pandémie doit être une aubaine pour le continent afin de renforcer son intégration régionale et continentale et de préparer des mécanismes pour accroitre sa résilience économique. Outre le commerce, le tourisme, les hydrocarbures et l’aviation sont des secteurs qui vont connaître un impact majeur. D’ailleurs, un rapport de l’Association internationale du transport aérien a évalué à 6 milliards de dollars les pertes des compagnies aériennes du continent. C’est un montant énorme qui risquera d’augmenter avec le temps. Les premiers dommages dans le secteur commencent à apparaitre, Le South Africa Airways est sur le chemin de la liquidation, et il faut dire que l’étendue des dégâts variera selon la durée et de restrictions de vol et de la crise.
Autre secteur qui sera plus impacté dans le continent, c’est le pétrole qui représente une partie significative du PIB et des recettes fiscales de plusieurs pays. Plus de 20 % du PIB pour le Nigéria et Angola, et 12,3% du PIB algérien sont tirés des bénéfices du pétrole, sans parler des répercussions sur l’Egypte ainsi que des pays producteurs de l’or noir en Afrique centrale dont l’économie est la plus dépendante de leurs exportations et de fait du prix du baril dans le marché mondial. Au regard des fluctuations que connait le prix du baril, le volume d’exportation va continuer dans sa chute, ce qui engendrera tôt ou tard des chocs brutaux et certains économie pourront se retrouver dans une situation catastrophique. D’ailleurs, certains observateurs bien avisés de la situation de leurs pays ne tardent pas à se prononcer sur le sujet. L’ancien ministre algérien du Trésor Ali Benouari l’a dit clairement en analysant l’impact de la chute du prix de baril sur l’économie algérienne, je cite, « si rien n’est entrepris rapidement, c’est-à-dire aujourd’hui, le pays se retrouvera en faillite avant que les plaies de la pandémie ne se soient refermées». Cette chute du baril du pétrole pourrait profiter aux pays importateurs du pétrole, comme le Maroc, et alléger leur facture énergétique
Bien sûr, les dimensions de ces conséquences vont toucher tous les secteurs et les pertes d’emplois vont se compter par des millions dans le continent. Conséquemment, le continent post-covid19 va plonger dans une incertitude économique.
Dans l’histoire, les crises ont toujours été une occasion et une opportunité pour restructurer et réformer. L’Afrique a une occasion en or. Cette catastrophe planétaire qui pourrait la pousser à se réveiller et à rattraper le retard cumulé.
Emmanuel Macron s’est prononcé pour une annulation de la dette des pays africains. Or c’est Pékin qui contrôle 40% de la dette africaine. Est-ce réalisable ?
C’est une proposition à souhait, surtout lorsque le continent va se retrouver dans une situation très difficile après cette crise sanitaire. Comme a été susvisé, l’Afrique post-pandémie Covid19 va plonger dans une incertitude économique et plusieurs pays vont être obligés de prendre des mesures drastiques pour pouvoir garder le contrôle sur la situation. Ce qui complique la situation dans certaines régions du continent, c’est la présence aussi des facteurs aggravants qui vont s’intensifier. L’instabilité sécuritaire dans le Sahel, ou bien la Corne d’Afrique ne facilite guère la conception des réponses opérationnelles. C’est pourquoi, c’est important que la communauté internationale envisage des solutions palpables pour venir en aide à l’Afrique. Après cette annonce du président français, le groupe des G20, dont la Chine fait partie, n’a pas opté pour une annulation de la dette, mais pour un moratoire qui permettrait de ne plus rembourser les intérêts de la dette pendant une durée de six mois qui reste reconductible. Les obligations d’à peu près 45 pays africains envers ses créanciers s’élèvent à plus de 365 milliards de dollars, c’est à peu près 3,7% de 5600 milliards de dollars, le montant engagé par les pays du G20 afin de faire face aux conséquences de la pandémie.
Néanmoins, cette proposition du président français cache une rivalité stratégique avec la Chine. Tout le monde sait que la Chine un grand concurrent de la France dans le continent, comme vous l’avez dite, détient 40% de la dette africaine soit 147 milliards de dollars dont 8 milliards qui sont redevable cette année 2020. Vu les enjeux de la dette dans les équilibres géopolitiques qui sont établies par la Chine en Afrique, Pékin cherchera de garder ses relations intactes avec ses alliés stratégiques dans le continent. De fait, elle va éviter de révéler sa dette au niveau multilatéral, et vraisemblablement Pékin favorisera l’approche bilatérale afin de préserver les contours de ses relations avec chaque pays. En effet, la Chine ne va pas essayer de faire une annulation de la dette, mais un allègement des paiements. L’exemple de la réorganisation sa dette, après plusieurs sollicitations de la Banque Mondiale et le FMI, de la république du Congo en 2019, qui s’élevait à 1,6 milliards de dollars, élucide le protocole de gestion de la cessation de paiements de la dette.