Son client, Mohamed Boroukba, dit Hamé, est moins enthousiaste : «Tout ça pour ça ? Cinq procès, huit ans de procédure… pour me dire que j’avais le droit d’écrire ce que j’ai écrit.»
C’est que l’affaire, somme toute banale d’un rappeur poursuivi pour diffamation envers la police nationale, avait pris une tournure politique. Elle se situait sur un autre cadre juridique, celui de la liberté de la presse, et pour la première fois dans une affaire de presse, l’Etat s’était pourvu une deuxième fois en cassation pour dénoncer la deuxième relaxe de la cour d’appel de Versailles.
En juillet 2002, c’est le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui porte plainte pour «diffamation, atteinte à l’honneur et la considération de la police nationale» contre Hamé non pas pour une chanson mais pour un article publié dans un fanzine qui accompagne la sortie de leur album L’ombre sur la mesure.
Passages non diffamatoires
Dans ce texte, L’insécurité sous la plume d’un barbare, écrit pendant la campagne présidentielle 2002, Hamé démontre que les jeunes de banlieue plutôt qu’acteurs de l’insécurité en sont surtout les victimes.
Le fanzine tiré à peine 10.000 exemplaires n’a pas fait long feu, puisqu’il était retiré des présentoirs lors des concerts deux mois après sa parution. Depuis huit ans, ce sont surtout les magistrats qui se sont penchés sur ce texte, dans les tribunaux de grande instance, les cours d’appel de Paris et de Versailles, la Cour de cassation…
À chaque relaxe, le Parquet faisait appel, jusqu’à un deuxième passage en cassation. Finalement lors de l’audience du 11 juin, l’avocat général a demandé le rejet du pourvoi en cassation, stipulant que cet article participe au débat d’idées, que la Cour européenne rappelle que dans une société démocratique, on a le droit d’avoir des jugements sévères sur les institutions.
Les trois passages incriminés de L’insécurité sous la plume d’un barbare ne peuvent être considérés comme diffamatoire car les faits retranscris ne sont pas assez précis et déterminés. A défaut, il ne s’agit que d’une injure ou d’une opinion. Il souligne que l’emploi du terme «assassin» est certes injurieux, mais il ne peut être condamné car le ministère de l’Intérieur n’a pas poursuivi pour ce délit mais pour diffamation. Après le jugement, Hamé s’est félicité dans un communiqué de l’indépendance de la justice.
Ce jugement intervient alors qu’à Pontoise, cinq habitants de Villiers-le-Bel sont jugés aux assises pour «tentatives d’homicides volontaires sur des fonctionnaires de police» pendant les émeutes qui ont touché leur ville les 25 et 26 novembre 2007.
Par Stéphanie Binet
Libération