Le peuple algérien, qui est passé en 1962 de la domination d’une puissance coloniale française à celle d’un pouvoir répressif indigène, a été le premier dans le monde arabe à s’engager, dans les années 1980, dans une lutte non-violente contre le despotisme et la corruption. Le mouvement a commencé dans quelques villes de l’Est et s’est propagé au centre de l’Algérie et atteindre Alger en Octobre 1988. Des manifestations pacifiques ont été écrasées par une intervention militaire brutale résultant en des centaines de jeunes tués. Le sang de ces innocents a forcé le régime à opérer une certaine ouverture dans les champs politique et médiatique. Les Algériens ont goûté pour la première fois la liberté d’expression et ont pratiqué leurs droits civils. Des dizaines de journaux ont été lancés et plus de soixante partis politiques ont été fondés, représentant le large spectre politique algérien. Pendant trois ans (1989-1991), l’Algérie a vécu ce qu’on appellera plus tard une « parenthèse démocratique ».
Après les élections locales de 1990, le premier tour des élections législatives a été organisé en décembre 1991. Les gagnants du premier tour ont été le Front de libération nationale (FLN), qui avait gouverné l’Algérie depuis l’indépendance, le Front des forces socialistes (FFS), un parti de gauche d’opposition au régime depuis 1963, et le Front islamique du salut (FIS), un nouveau parti créé en 1989 et, de loin, le gagnant des élections locales et législatives.
Les résultats de ce scrutin n’ont pas plu à l’établissement militaire et aux services de renseignement. Un coup d’Etat a été exécuté le 11 janvier 1992 par un « cabinet noir » soutenu par le gouvernement français. Ceci allait ouvrir les portes de l’enfer pour le peuple algérien.
Une campagne de répression à grande échelle a suivi l’interruption du processus démocratique. Elle a ciblé d’abord les membres et les sympathisants du FIS et a été étendue à sa base sociale, puis à toute la population. Elle a commencé par des arrestations massives des jeunes à la sortie des mosquées après les prières du Vendredi et est allée crescendo : détentions arbitraires et déportations de dizaines de milliers de personnes vers plusieurs camps de concentration dans le Sahara, certains d’entre eux ayant servi comme sites d’expérimentations nucléaires françaises, utilisation systématique de la torture dans les centres de détention gérés par la police, la gendarmerie et les services de renseignement (DRS). Les jeunes algériens, soumis aux humiliations et mauvais traitements, ou craignant d’être arrêtés et torturés, ont été contraints à se livrer à une résistance violente et ont formé des groupes islamiques armés (GIA). Ces groupes ont ensuite été combattus par le régime militaire au moyen d’une stratégie de contre-insurrection : infiltration de certains groupes armés, création de faux GIA, et armement de dizaines de milliers de miliciens.
Les forces armées combinées, contrôlées par le DRS, se sont engagées dans une campagne horrible de tueries : exécutions extrajudiciaires et massacres. En une décennie (les années 1990), la répression féroce a abouti à près d’un quart de million de morts, 20’000 disparitions forcées, des dizaines de milliers de survivants de la torture qui souffrent de séquelles physiques et psychologiques, des centaines de milliers de personnes déplacées ou exilées.
La décennie suivante (ère de Bouteflika qui a pris ses fonctions en 1999) est caractérisée par une violence directe moins intense, mais par plus de violence structurelle (pauvreté, régression des services publics tels que la santé, l’éducation, le logement, etc.) et une corruption généralisée.
Le régime militaire algérien n’aurait pas réussi à garder le contrôle sur la société algérienne, sans les diverses formes de soutien (politique, diplomatique, militaire, de renseignement, économique, financier, etc.) de l’Europe et des Etats-Unis. Ce soutien a été très coûteux. Dès le début, le régime militaire a accepté de faire des concessions significatives. Au niveau politique, l’Algérie a renoncé aux fondements de sa politique étrangère : non-alignement, autodétermination pour tous les peuples, soutien aux mouvements de libération qui luttent contre le colonialisme et l’impérialisme. En 1995, l’Algérie a signé le Traité de non prolifération après des années de refus de principe, faisant valoir que tous les pays, y compris les puissances nucléaires, doivent être traités de manière égale. La même année, la diplomatie algérienne à Washington a promis de « normaliser » les relations avec Israël. Ceci a été suivi par des mesures supplémentaires culminant en 1999 avec l’accolade entre Bouteflika et Barak lors des funérailles du roi Hassan II, ce qui a été interprété comme un signe positif pour l’acceptation d’Israël, et la rencontre en 2005 entre Bouteflika et Peres en Espagne.
Sur le plan militaire l’armée algérienne et les services de renseignement ont brisé un tabou quand ils ont pris part à des manÅ“uvres militaires de l’OTAN dans la Méditerranée, impliquant Israël, quand ils ont organisé des manÅ“uvres militaires conjointes algéro-américaines dans le Sahara, et quand ils ont permis à la CIA et au FBI d’ouvrir des bureaux en Algérie.
Au niveau économique, le régime algérien a accordé aux pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, d’énormes concessions pétrolières dans le Sahara. De vastes territoires dans le sud de l’Algérie, où les compagnies pétrolières étrangères gèrent leurs entreprises et font venir leurs ingénieurs et personnel de sécurité par des vols directs, sont presque interdits aux citoyens algériens qui ont besoin d’un laissez-passer pour y accéder.
A partir du 11 septembre 2001, le soutien des Etats-Unis au régime militaire algérien a considérablement augmenté. Avec sa longue expérience dans le terrorisme d’Etat, l’Algérie a réussi à se vendre comme un Etat avec la meilleure expertise dans la "guerre contre le terrorisme", et a proposé de transférer cette expertise à l’échelle mondiale. Des « experts » algériens ont été envoyés régulièrement aux Etats-Unis pour « enseigner » à leurs homologues américains comment faire face aux groupes islamiques armés. L’Algérie a importé la technologie de la répression de l’Occident et a exporté les techniques de répression développées durant les années 1990. Ce partenariat se poursuit à ce jour dans le cadre de la lutte contre ladite Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui est la version régionale des GIA locaux des années 1990, et qui utilisée comme prétexte à la répression du régime algérien de toute forme de résistance. AQMI sert à la fois les intérêts du régime algérien, qui l’utilise comme alibi pour supprimer les libertés et les droits fondamentaux, et les intérêts des Etats-Unis qui visent à contrôler l’Afrique du Nord et le Sahel.
En 2011, le peuple algérien est encore sous un choc post-traumatique collectif. La société est affaiblie par la perte de tant de ressources humaines, en particulier chez les jeunes. Les Algériens peinent à résoudre leurs problèmes quotidiens. Les émeutes et les grèves ont lieu chaque jour dans tout le pays, motivées par des revendications sociales. Mais ce mouvement de protestation manque une coordination nationale, une stratégie et une force organisée pour le conduire et le transformer en une lutte politique. Cela explique en partie pourquoi l’Algérie n’a pas été parmi les premiers pays d’Afrique du Nord à lancer le « Printemps arabe ».
Mais les Algériens sont de plus en plus conscients de ces limites, et il ya des signes indiquant que dans un proche avenir, le peuple algérien va commencer son combat pour la liberté et le changement politique radical pour établir un Etat de droit et de bonne gouvernance. Prions pour que cela soit réalisé par une résistance et des actions non-violentes.
(Source: www.rachad.org)