Une Tunisie en état d’urgence reçoit le Nobel de la paix

Le prix Nobel de la paix sera remis jeudi à un groupe d’organisations ayant cimenté la transition démocratique d’une Tunisie aujourd’hui plongée dans l’état d’urgence, preuve de sa vulnérabilité face à la menace jihadiste.

Après l’attentat-suicide contre un autobus de la sécurité présidentielle qui a fait 12 morts le 24 novembre, les autorités ont instauré un couvre-feu nocturne à Tunis, fermé temporairement la frontière avec la Libye et, pour la deuxième fois cette année, instauré l’état d’urgence.

De quoi rappeler crûment la fragilité du processus de démocratisation que le Nobel couronne cette année.

En attribuant la prestigieuse récompense au quartette pour le dialogue national, le comité Nobel norvégien a pourtant tenu à ériger la Tunisie en modèle de réussite du printemps arabe dont elle est d’ailleurs le berceau.

En 2013, à un moment délicat de l’histoire du pays, les organisations qui forment ce quartette –le puissant syndicat UGTT, l’organisation patronale Utica, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) et l’Ordre des avocats– avaient aidé à résoudre la crise politique née des blocages entre le parti islamiste Ennahda et ses opposants.

– Année sanglante –

Alors que l’élan de révoltes populaires a cédé la place au chaos et aux violences en Libye voisine, au Yémen et en Syrie, ou au retour de la répression en Égypte, la Tunisie s’est, elle, dotée d’une nouvelle Constitution et a organisé des élections libres.

L’exemple tunisien "montre que des mouvements politiques islamistes et laïques peuvent travailler ensemble pour parvenir à des résultats significatifs", a estimé la présidente du comité Nobel, Kaci Kullmann Five, en décernant le prix le 9 octobre.

Mais, près de cinq ans après le renversement du président Zine El Abidine Ben Ali, la mouvance jihadiste fait planer de nouvelles menaces.

Avant l’attentat contre la garde présidentielle revendiqué par le groupe État islamique (EI), deux autres attaques majeures ont ensanglanté le pays: la première avait fait 22 morts en mars au musée du Bardo à Tunis et la deuxième avait tué 38 touristes en juin près de Sousse (centre-est).

Un groupe se réclamant de l’EI a aussi égorgé en novembre un berger de 16 ans qu’il accusait d’être un informateur des autorités et, la semaine dernière, le ministère de l’Intérieur a annoncé l’arrestation de deux jihadistes suspectés de projeter des attentats-suicides.

Un groupe de travail de l’ONU a par ailleurs estimé à environ 5.500 le nombre de Tunisiens partis pour la Syrie, l’Irak ou la Libye, ce qui fait du pays l’un des plus gros fournisseurs du mouvement jihadiste.

– Désunion –

La remise du Nobel au quartette jeudi à l’Hôtel de ville d’Oslo intervient alors que deux de ses composantes, le syndicat UGTT et le patronat Utica, se bagarrent autour d’une augmentation salariale dans le secteur privé.

"Il est possible que le Quartette aille à Oslo sans qu’un accord entre l’Utica et l’UGTT ait été trouvé. Il aurait été préférable de parvenir à un accord mais ils (l’Utica) insistent sur une augmentation salariale d’environ 5%", a déclaré à l’AFP Belgacem Ayari, l’un des secrétaires généraux adjoints du syndicat.

"Il n’est pas possible d’aller au-delà parce que la situation économique dans le pays est difficile. Nous avons été frappés trois fois cette année", a rétorqué un responsable de l’Utica, Khalil Ghariani, en faisant référence aux attentats.

Ces divergences font tache.

"Au moment même où la Tunisie a besoin plus que jamais d’unité, d’entente et de certitude pour contrer la menace terroriste, (…) nos deux prix Nobel de la paix continuent, dans la désolation, d’alimenter la division, la suspicion, le doute et l’incompréhension", déplorait lundi le quotidien La Presse.

"Cet échec annoncé des négociations risque de plonger de nouveau tout le pays dans un cycle d’instabilité sociale", prévenait-il.

Au moins les Tunisiens repartiront-ils d’Oslo comblés. Si c’est le quartette qui, seul et unique lauréat, recevra la médaille Nobel officielle, l’Institut Nobel a accepté qu’une copie, également en or massif, soit distribuée à chacune des quatre organisations qui le composent mais… à leurs frais.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite