Najat Maalla M’jid : « Pour prévenir la violence contre les enfants, il faut lutter contre la pauvreté »
Najat Maalla M’jid est la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations-Unies chargée de la question de la violence contre les enfants. Elle a pris ses fonctions à ce poste le 1er juillet dernier.
Médecin-pédiatre de formation, Mme M’jid a consacré les trois dernières décennies de sa vie à la promotion et la protection des droits de l’enfant au Maroc et à travers le monde.
Mme M’jid, votre nomination l’année dernière par le Secrétaire général de l’ONU comme Représentante spéciale chargée de la question de la violence contre les enfants représente, en quelque sorte, le couronnement de toute une carrière et d’un parcours dédiés à la protection des enfants. Parlez-nous un peu des prérogatives de cette fonction et du mandat qu’elle comporte ?
C’est vrai que cela fait des années que je me bats pour les droits des enfants, aussi bien au Maroc qu’au niveau mondial, et pour moi, je vois ce poste comme un instrument réellement au profit des enfants, avec et pour les enfants.
Car cette inclusion est très importante pour faire avancer la cause de la prévention de toutes les formes de violences à l’égard des enfants dans le monde. C’est un mandat énorme qui fait suite aux recommandations de l’étude qui avait été faite en 2006 et s’inscrit aujourd’hui dans les Objectifs de développement durable (ODD).
Il s’agit d’un mandat fort de mobilisation, de lobbying, de plaidoyer et de networking, tout en oeuvrant au niveau mondial pour mettre l’enfant réellement dans l’agenda politique au niveau global, mais aussi régional, et national. Donc c’est un très grand challenge, surtout si on veut atteindre, d’ici 2030, l’objectif visant à mettre fin à toute forme de violence à l’égard des enfants dans le monde, je pense qu’il y a énormément de travail à faire.
Donc, je le vois réellement comme un outil, et un moment aussi pour donner plus de visibilité, pas uniquement en parole, mais en actes aussi, aux acteurs qui travaillent contre la violence visant les enfants, que ce soit les Etats, les organisations de la société civiles, le secteur privé, le système des Nations-Unies ou les enfants eux-mêmes.
Le deuxième point aussi est d’assurer le suivi et voir ce qui est en train de se faire, sachant que les violences à l’égard des enfants ne sont pas uniquement du fait des pays en développement mais aussi des pays développés et que du fait de la situation mondiale actuelle, que ce soit les crises mondiales, les changements climatiques, le grand débat sur la situation des réfugiés et des migrants, que ce soit aussi la montée du populisme dans beaucoup de pays ainsi que l’extrémisme religieux, les dangers de l’Internet et l’exploitation sexuelle des enfants en ligne.
Pour prévenir la violence contre les enfants, il faut lutter contre la pauvreté, la discrimination, la lutte contre l’impunité, les problématiques de déplacement de populations lié au climat et à l’urbanisation, l’accès à la santé et à l’éducation. L’ensemble de ces points est important.
Quelle est justement la grande priorité pour vous dans le cadre de vos fonctions actuelles ?
Je suis vraiment dans une démarche pour montrer que c’est possible de lutter et mettre fin à la violence à l’égard des enfants. Ce n’est pas inévitable. On ne peut pas être fataliste, quelle que soit la culture et la société. Franchement, si on veut vraiment, on peut y arriver.
Pour moi, il s’agit de pousser, catalyser les efforts et montrer que c’est possible de le faire. Et ce n’est pas moi qui montre que c’est possible, mais ce sont les acteurs eux-mêmes, à savoir les enfants, qui montrent que c’est possible.
On considère les enfants comme des acteurs, et pas uniquement comme des récipiendaires de services, parce que s’il y a du changement, il ne peut être porté que par eux même au sein des communautés. Car c’est très grave ce qui est en train d’arriver : on est en train de banaliser la violence. Et ce n’est pas normale cette tolérance passive de la violence à l’encontre des enfants!
Il faut plus que de la simple volonté. Il faut agir, aujourd’hui et pas demain. Agir mieux et vite, et avec et pour les enfants, pas en parallèle. Pour moi c’est capital. Il faut une approche intégrée globale, et intersectorielle centrée sur l’enfant.
Qu’est-ce qui vous a poussé, dès le départ, à persévérer sur cette voie de la protection des droits des enfants ?
Très honnêtement, cela avait commencé très tôt. A huit ans, j’avais vu un film appelé « Il est minuit Docteur Schweitzer ». Je m’en rappellerai toute ma vie, c’était en noir et blanc. C’est l’histoire d’un médecin qui avait décidé d’aller en Afrique et de soigner. Donc moi, j’ai décidé de devenir médecin, et ça je l’ai su à ce moment-là. Pourquoi j’ai choisi la pédiatrie, parce que c’est l’enfant et c’est évolutif. Mais en même temps lorsque vous êtes dans la relation de soins, ce n’est pas suffisant. Parce que vous travaillez avec l’enfant, avec sa famille, dans la communauté, vous êtes dans le conseil… donc il faut avoir une meilleure compréhension (…)
J’ai commencé à travailler sur l’enfance, par le soin au début, et j’ai découvert des choses qui étaient anormales. Par exemple, dans le cas d’un enfant malnutri, c’est bien de donner un soin, mais en même temps, si on ne travaille pas avec la maman, avec la communauté, si on ne donne pas d’alternatives, si on ne fait pas de l’émancipation, de l’alphabétisation, si on n’a pas de jardins d’enfants (…) donc je suis allé pousser plus et bien entendu j’ai découvert en 1995 toute la problématique des enfants de la rue.
Il y a pour moi deux métiers qui sont plus qu’un métier, c’est l’éducation et le soin. Parce qu’il s’agit d’une vocation, dans le sens où l’on est en train de façonner et de sauver des vies.
Vous savez, il existe deux façons de vivre : On peut vivre en critiquant, ou on peut critiquer et agir. Et je pense que c’est ce dernier choix de vie que j’ai fait. Sans calcul de carrière, c’est aller à l’instinct, rester indigné et ne pas accepter (les violences que subissent les enfants). Ce n’est pas inévitable, et j’en suis persuadée. Car j’en ai vu des enfants qui s’en sont sortis, ils sont devenus brillants. Je crois en eux, ils ont une capacité de résilience et de rebondir.
Honnêtement, je crois en les enfants. Et si quelque chose peut être faite, c’est bien avec eux que l’on peut la faire.