Syrie : la volte-face de François Hollande
En décidant d’intervenir contre l’EI en Syrie en plus de l’Irak, le président français corrige une anomalie, mais renforce Bachar el-Assad.
"Cette évolution de la position dogmatique de la France était nécessaire", juge le général Vincent Desportes, professeur à HEC et Sciences Po et ancien directeur de l’École de guerre. "Il ne faisait aucun sens que la France intervienne uniquement en Irak contre l’État islamique, alors que la majorité des djihadistes français se trouvent en Syrie." Pour justifier sa volte-face, le président de la République a expliqué ce lundi que "c’est depuis la Syrie, nous en avons la preuve, que sont organisées des attaques" contre la France.
Aucune stratégie claire
Mais que peut réellement apporter l’armée française dans la lutte contre l’EI en Syrie, alors même qu’elle fournit déjà un soutien limité aux États-Unis en Irak ? "Cela ne va pas changer le rapport de force avec l’EI, mais les survols vont nous permettre d’accroître considérablement nos informations sur (les positions de l’organisation) en Syrie", explique le général Vincent Desportes. Des renseignements sur les centres d’entraînement et de décision certes indispensables pour déjouer de futurs attentats en France, mais aucune stratégie claire pour venir à bout de l’organisation.
Ces mêmes limites expliquent les résultats plus que mitigés de la coalition internationale anti-EI en Syrie depuis un an. Si les bombardements – en majorité américains – ont permis aux forces kurdes du PYD (branche syrienne du PKK) de reprendre aux djihadistes plusieurs villes dans le nord de la Syrie, ceux-ci conservent leur mainmise sur la région orientale de Deir Ezzor (où se trouve leur "capitale" Raqqa) et ont même progressé dans le centre du pays, s’emparant en mai de la cité antique de Palmyre, à 205 kilomètres de Damas.
Efficacité limitée des frappes
"On constate que les frappes de la coalition ne servent pas à grand-chose et ont même consolidé l’emprise de Daesh sur une partie encore plus importante du territoire syrien", note François Heisbourg, président de l’Institut international des études stratégiques (IISS). "Il est évident que ce n’est pas en ajoutant quelques capacités militaires françaises que l’on va changer une opération qui ne fonctionne pas très bien", renchérit Thomas Pierret, maître de conférences en islam contemporain à l’université d’Édimbourg. "L’EI n’étant pas un véritable État, il ne reste aujourd’hui pas beaucoup d’installations à bombarder : il faut des combats rapprochés au sol", précise ce spécialiste de la Syrie.
Or, François Hollande a été clair : il serait "inconséquent et irréaliste d’envoyer des troupes françaises au sol", en Syrie. "Irréaliste parce que nous serions les seuls, inconséquent parce que ce serait transformer une opération en force d’occupation", a précisé le chef de l’État. Pour l’heure, sur le terrain, seules les milices kurdes du PYD (branche syrienne du PKK) ont pu s’appuyer sur les bombardements américains pour défaire l’EI. En janvier, ils ont repris aux djihadistes la ville de Kobané. Avant de s’emparer, début juillet, de la ville stratégique de Tall Abyad, à la frontière turque. Or, l’agenda kurde n’est pas la chute du califat de l’EI, encore moins celle de Bachar el-Assad, mais l’établissement d’un Kurdistan autonome dans le nord de la Syrie.
Assad renforcé
"Les seules forces qui puissent être efficaces contre l’EI sont à chercher du côté des populations locales, à savoir des troupes armées arabes sunnites", insiste le spécialiste Thomas Pierret. "Or, les États-Unis ne souhaitent pas se rapprocher des nombreux groupes sunnites (d’inspiration islamiste, NDLR). C’est un choix politique." Depuis mai, les Américains forment en Jordanie leur propre unité de 90 rebelles modérés, devant à terme atteindre le nombre de 5 400 hommes. Or, la première sortie en territoire syrien de ce groupe rebelle en juillet a viré au fiasco : ses combattants ont été enlevés par le Front al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda, et membre le plus efficace de l’opposition syrienne armée.
Mais François Hollande n’en démord pas. "En Syrie, c’est aux Syriens qui sont dans la rébellion (…) de prendre leurs responsabilités", a-t-il martelé ce lundi. De la même manière, le président français répète que "rien ne doit être fait qui puisse consolider ou maintenir Bachar el-Assad". Or, en décidant d’intervenir en Syrie contre le "meilleur ennemi" du président syrien, François Hollande renforce inexorablement le maître de Damas. "Longtemps, la France n’a pas voulu intervenir en Syrie pour mieux isoler Bachar el-Assad", rappelle Thomas Pierret. "Or, en changeant de logique, elle contribue à briser cet isolement et fait le jeu d’el-Assad, alors qu’il continue à bombarder des civils."
"Bachar el-Assad a tué plus de Syriens que Daesh"
Premier signe de cette évolution, François Hollande n’a pas exigé le départ immédiat de Bachar el-Assad comme préalable à l’instauration d’un gouvernement syrien de transition. Au contraire, il a précisé que son départ serait posé "à un moment ou un autre dans la transition". Autre changement notable dans le discours, le chef des armées a souligné qu’il fallait "parler avec tous les pays qui peuvent favoriser" une issue politique sur le dossier syrien, évoquant pour la première fois le nom de l’Iran, parrain indéfectible de Damas, que la France s’est pourtant évertuée à écarter de toute discussion depuis le début de la crise en mars 2011.
"La position française sur Bachar el-Assad est en train d’évoluer", affirme le général Vincent Desportes. "On ne peut pas conduire ce type d’opérations militaires en Syrie sans coordination minimale avec les autorités syriennes. Et l’ennemi de la France, ce n’est pas Assad, mais Daesh." "Bachar el-Assad a tué beaucoup plus de Syriens que Daesh", répond François Heisbourg. Et l’expert d’avertir : "Si l’on commence à prendre le parti de Bachar el-Assad, et à bombarder la Syrie au même titre que le président syrien, alors on va jeter la population sunnite, majoritaire dans le pays, dans les bras de Daesh."