"Les Emirats arabes unis, la Jordanie et la Turquie ont fourni des armes de manière régulière et parfois flagrante sans vraiment d’efforts pour en dissimuler la provenance", soulignent les experts dans une synthèse de leurs travaux accompagnant leur étude, à laquelle l’AFP a eu accès jeudi.
Selon des diplomates, la Jordanie est notamment accusée d’avoir formé des troupes du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen qui a déclenché en avril une offensive militaire pour s’emparer de Tripoli. Les Emirats arabes unis, autre soutien du maréchal, sont soupçonnés d’avoir utilisé des avions-bombardiers au profit de ses troupes.
Ce pays pourrait être impliqué dans le bombardement d’un centre de détention de migrants dans la banlieue de Tripoli le 2 juillet qui avait fait une cinquantaine de morts. Mais le rapport, s’il parle de l’implication "probable" d’un avion étranger, n’apporte pas de réponse définitive, évoquant de manière générale le recours à des F-16 de fabrication américaine et Mirage 2000-9 de fabrication française, deux types d’appareils en dotation dans l’armée de l’Air des Emirats.
La Turquie pour sa part, qui a apporté ouvertement son soutien au gouvernement du Premier ministre Fayez al-Sarraj, a fourni du matériel à ses troupes, allant des véhicules blindés aux drones, selon les mêmes sources diplomatiques.
– Groupes tchadiens et soudanais –
Dans leur rapport, les experts soulignent attendre toujours des réponses de plusieurs Etats membres de l’ONU à leurs questions.
"Le groupe a aussi identifié la présence de groupes armés tchadiens et soudanais en soutien aux forces affiliées au GNA (gouvernement de Sarraj) et à l’ANL (armée de Haftar)". "Bien que les capacités militaires des deux parties aient apparemment été renforcées, l’impact des groupes armés étrangers sur le règlement du conflit est resté en réalité limité", précisent toutefois les experts.
Remis le 29 octobre aux 15 membres du Conseil de sécurité, le rapport assure que "les parties des deux côtés ont reçu des armes et de l’équipement militaire, du soutien technique et des avions de combat non-libyens en violation de l’embargo sur les armes".
Le document qui porte sur une période d’un an fait 85 pages et comprend plus de 300 pages d’annexes: photos, cartes, manifestes de cargaisons livrées par bateaux… Il doit être débattu en fin de mois par les 15 membres du Conseil de sécurité au sein du Comité de sanctions chargé de la Libye et être approuvé avant d’être publié, probablement en décembre.
"Le groupe d’experts a identifié de multiples actes qui menacent la sécurité, la paix et la stabilité en Libye", soulignent les experts.
Depuis le déclenchement de l’offensive du maréchal Haftar, une "nouvelle phase d’instabilité, combinée avec des intérêts de plusieurs Etats et d’acteurs non étatiques, a amplifié le conflit par procuration qui s’est développé depuis 2011", dénoncent-ils.
– Trafic de pétrole –
Selon des diplomates, le rapport s’interroge sur plusieurs interférences étrangères et évoque outre les pays déjà cités l’Egypte, la France, l’Arabie Saoudite ou le Qatar.
"Les opérations militaires ont été dominées par le recours à des munitions guidées de précision tirées par des drones, ce qui a permis dans une certaine mesure de limiter les dommages collatéraux attendus dans un conflit de ce type", notent aussi les experts.
Le recours aux drones "est massif et pour les deux côtés", affirme un diplomate, confirmant les inquiétudes cet été à ce sujet de l’émissaire de l’ONU Ghassan Salamé.
Selon un autre diplomate s’exprimant aussi sous anonymat, le rapport n’évoque pas la présence de mercenaires russes en Libye.
Plusieurs centaines d’entre eux auraient été déployés sur le territoire libyen ces derniers mois en soutien aux troupes du maréchal Haftar, selon des médias américains. Moscou a démenti jeudi ces informations des quotidiens New York Times et Washington Post.
Le rapport souligne par ailleurs que le trafic de migrants, "même réduit considérablement", "continue de financer des réseaux contribuant à l’instabilité". Il dénonce aussi "quatre tentatives" par la National oil Corporation dans l’est du pays "d’exporter illégalement du pétrole brut". "Des produits raffinés continuent d’être détournés par voie maritime et terrestre, mais à un niveau inférieur à celui des années précédentes", selon les experts.