Moscou met à rude épreuve l’axe Ryad-Le Caire
En décidant de frapper militairement les bastions de Daech en Syrie, la Russie n’a pas fait que donner un coup de fouet à la guerre internationale contre l’organisation terroriste, elle a aussi provoqué des dissensions au sein du monde arabe aux alliances et aux obédiences clairement définies. Un des exemples les plus flagrants de cette reconfiguration est l’axe Le Caire/ Ryad qui vient de perdre la boussole de sa stratégie.
Par Mustapha Tossa
À voir l’intimité de cette relation, il était presque impossible d’imaginer la moindre divergence politique entre les deux capitales. L’intimité stratégique entre les deux pays est si forte que le royaume d’Arabie finance deux gigantesques contrats d’armements que sont les ventes des bijoux de l’armement français, les avions Rafale et deux navires de guerre Mistral. L’Égypte se proposant d’une manière à peine déguisée d’assurer la protection des pays du Golfe contre les menaces terroristes de Daech et les éventuels appétits de domination et d’expansion du concurrent iranien.
Or, tout ce bel échafaudage est menacé de tomber en ruine. Quand l’Arabie Saoudite grince les dents d’amertume face aux bombardements russes en Syrie, estimant qu’ils visent en priorité les organisations qu’elle soutient dans la très compliquée crise syrienne, le président égyptien Abdelfath Sissi, visiteur assidu de Moscou depuis qu’il a été élu, applaudit des deux mains la démarche russe. Les sirènes militaires russes ont trouvé oreille compréhensive en Égypte.
Le ministre égyptien desAaffaires étrangères Sameh Choukri ne mâche pas son enthousiasme: "L’arrivée de la Russie, compte tenu de son potentiel et de ses capacités, va, nous le pensons, avoir pour effet de contenir et d’éradiquer le terrorisme en Syrie". Cette position fait écho à la visite de Sissi en Russie pour rencontrer Vladimir Poutine. Les deux hommes ont alors lancé un appel en faveur de la formation d’une coalition contre le terrorisme au Moyen Orient.
Quand Ryad met tout son poids politique dans la balance pour exiger le départ de Bachar al Assad du pouvoir, Le Caire fait les yeux doux au raiss syrien, ouvrant même la voie à une possible normalisation des relations avec lui. La stratégie saoudien était bâtie sur une volonté d’isoler le président syrien alors que l’Egypte, siège de la Ligue arabe, tend à le réintégrer éventuellement dans le jeu politique arabe.
La mauvaise humeur saoudienne à l’encontre de la démarche russe est si vivace qu’une cinquantaine de dignitaires religieux saoudiens ont lancé un appel aux Etats musulmans à appuyer militairement les rebelles syriens contre ce qu’ils appellent l’alliance "occidentalo-russe":
"Les moujahidine (les rebelles, ) défendent toute l’oumma. Faites leur confiance et fournissez leur un soutien moral, financier, militaire et politique". Dans ce même communiqué aux accents qui rappellent la guerre en Afghanistan, les religieux saoudiens accusent les nations occidentales d’échouer à protéger le peuple syrien et appellent en outre les pays arabes sunnites à protéger la Syrie "de l’influence des Russes et des Perses".
Logiquement inséparables alliés, L’Arabie Saoudite et L’Egypte sont en train d’entonner sur la crise syrienne des chants différents. Les divergences existaient déjà. Mais elles étaient feutrées et souterraines. Aujourd’hui avec l’intervention militaire russe, elles apparaissent au grand jour. Le grand risque étant pour l’Arabie saoudite de devoir réécrire les bases de cette alliance et pour l’Egypte d’ajuster son attitude en conséquence.