Les katiba d’Al-Qaida au Maghreb islamique s’arrogent l’Ouest du Sahel
Du sud-ouest de l’Algérie, en passant par le nord du Mali, jusqu’aux confins du sud-ouest de la Mauritanie, une vaste bande de territoire, plus grande que la superficie de la France (soit quelques 550 000 km²), est le terrain de jeu préféré des djihadistes formant les katiba d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Ces terroristes quadrillent ce vaste territoire kalashnikov en bandoulière ou à la main, imposant leur loi et leurs exigences financières sur les populations de la région. Leur fief se situe dans la région de Kidal, au nord du Mali, non loin de la frontière algéro-malienne.
Il n’est donc pas étonnant que de nombreux « émirs » et ex-cadres du GSPC constituent l’ossature et le bras armé d’AQMI. Un reportage récent du quotidien « Le Figaro » mentionnait la présence de figures historiques du mouvement dans le désert du Sahel, à l’image de Mokhtar Benmokhtar, un des leaders fondateur de l’insurrection islamique algérienne, de Yahia Djaoudi (dit Abou Ammar, un bien piètre emprunt du nom de guerre de Yasser Arafat comme de celui de Ammar Ben Yasser, un compagnon du prophète Mahomet et premier martyr de l’Islam), ou encore de Abdelhamid Abou Zayed, responsable de l’exécution féroce du ressortissant britannique Edwin Dyer et des rapts des citoyens français Pierre Camatte (libéré depuis, après d’intenses tractations) et Michel Germaneau (78 ans, toujours détenu).
Des éléments, venus des rangs du Polisario, complices de la dérive affairiste et mafieuse du mouvement, se sont à leur tour intégrés au sein de ces groupuscules.
L’objectif de ces katiba (étymologiquement, nom donné à une compagnie légère de l’Armée de Libération Nationale algérienne, de l’ordre d’une centaine de combattants, voire d’une section d’une trentaine d’hommes) est clair : capturer – par tous les moyens – des otages occidentaux afin de les échanger contre des criminels emprisonnés dans les geôles des pays de la région, accessoirement dans d’autres Etats du Moyen-Orient, voire européens, mais aussi les monnayer contre des devises fortes.
L’idéal étant bien sûr la conclusion d’un deal « échange + rançon ». Pour parvenir à leur fin, tous les moyens sont bons, surtout la motivation financière des sous-traitants : AQMI offre près de 100 000 US$ pour la livraison d’un ressortissant français, ce qui peut engendrer bien des trahisons ou vente d’informations… C’est ainsi que le nombre des enlèvements a bondi de 4 à 19 entre 2007 et 2009. Un chiffre qui devrait encore progresser en 2010, le territoire couvert étant un véritable « grenier à otages ».
L’organisation terroriste AQMI retrouve dans le désert un troisième souffle et de nouveaux repères. Chassée par les forces armées algériennes d’Alger et des centres urbains, l’organisation s’est d’abord repliée sur la Kabylie, mais s’est trouvé confrontée à l’hostilité et à son rejet par la population.
Elle a donc à nouveau déménager précipitamment ses quartiers, vers le sud cette fois. Les vastes étendues désertiques, non contrôlées par les forces armées maliennes, pauvres en effectifs et moyens militaires, offrent un terrain de chasse privilégié aux otages, avec en ligne de mire, scientifiques, touristes et humanitaires.
Pour se ravitailler en kérosène, eau, vivres et munitions, les katiba installent des réserves souterraines au bord des pistes, puis enregistrent leurs coordonnées géographiques grâce à des GPS.
Pour se financer, les terroristes taxent les convois, qui transportent cigarettes de contrebande, immigrés clandestins, armes, drogue, voire cocaïne. La meilleure illustration est sans doute l’incendie d’un Boeing cargo le 17 novembre 2009 à 15 km de Gao au nord-est du Mali, ayant raté son atterrissage, et qui transportait une cargaison de cocaïne estimée à plus de dix tonnes. Les terroristes d’AQMI escorteraient les convois traversant clandestinement le Sahara.
Il serait donc possible d’établir une véritable convergence entre narcotrafiquants et terroristes. Les liens mafieux entre AQMI et les chefs de tribus, qui traditionnellement bénéficient de taxes ou droits de passage, sont aussi complexes mais semblent se tisser au fil du temps. AQMI assoie et sécurise ses implantations.
D’après certaines estimations, le « trésor de guerre » d’AQMI se chiffrerait à plusieurs dizaines de millions d’US$. Ce qui lui permet d’arroser largement la population autochtone, très pauvre et oubliée du pouvoir central, et de recruter de nombreux jeunes, attirés par l’aventure, le culte des armes, les promesses et un discours intégriste pseudo-religieux.
Face à ces dérives, une coopération régionale commence progressivement à se mettre en place. Mais certains calculs politiques et stratégiques, à savoir une volonté manifestement hégémonique de la part de l’Algérie d’imposer son leadership sur un mécanisme de coopération régional entravent le processus.
Le Maroc, via la voix de son ministre des Affaires étrangères et de la coopération, M. Taïb Fassi-Fihri, manifeste sa bonne volonté et a fait part de « sa totale disponibilité pour participer et contribuer activement au succès de toute réunion » visant au renforcement et à lutte contre le terrorisme dans la région. Le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger, la Libye entendent se joindre à ces efforts et contribuer eux aussi à une action collective pour contrer les groupes terroristes quadrillant le Sahel et lançant des attaques contre des civils innocents.
Le combat contre AQMI devra au final mobiliser tous les Etats prenants, sans exclusive aucune, dans un vaste cadre régional. Il ne peut y avoir aucun leadership, car il en va de la sécurité et de la stabilité de la région. C’est un véritable enjeu et défi, qui nécessiterait peut-être une aide de la communauté internationale et de certaines grandes puissances.
Didier Lacaze